L’éditorial de Jean Baptiste Placca sur RFI se fait souvent sous forme d’interview. La semaine en cours a eu son lot de maux durs.

Ce sont les mots d’un avocat camerounais, atterré par la façon dont a été expédié, 17 septembre, le procès en appel de son client, Sisiku Ayuk Tabé, président autoproclamé de la République sécessionniste d’Ambazonie. De ces magistrats, qui ont confirmé la condamnation de son client sans l’entendre, lui, le défenseur, il dit qu’ils sont « des juges chargés de mission ». Ces mots, en convenez-vous, sont durs !

JBP : Durs, et même très durs. Mais, on conviendra aussi que l’image esquissée par Me Emmanuel Sim illustre à la perfection les réalités que vivent bien des peuples africains ! Comment ne pas penser que les magistrats, dans tel ou tel pays, sont « des chargés de mission » pour le pouvoir en place, lorsque, régulièrement et de manière systématique, ils rendent des verdicts en tous points conformes aux desiderata du pouvoir politique, au mépris du droit, et des droits des citoyens ordinaires !

Comment ne pas questionner l’indépendance de tant de commissions électorales, qui s’acharnent à toujours donner raison (et la victoire) au parti au pouvoir, envers et contre le choix des électeurs ! Et que dire de telle cour constitutionnelle, qui ignore les faits, les chiffres, les preuves et les arguments des opposants, pour toujours valider les certitudes et les manigances du pouvoir, comme autant de vérités révélées ! Ainsi, les organes chargés de veiller au respect de la volonté des citoyens, se muent en « chargés de mission » pour valider la fraude, sans même se préoccuper de sauver les apparences.

De quel pays parlons-nous ?

De tous, à quelques exceptions près… Mais l’Afrique francophone, ici, mène la danse, hélas ! Oui, les commissions électorales et autres cours constitutionnelles sont autant de « chargées de mission », sachant valider précisément les candidatures dont peut s’accommoder le pouvoir, et éliminant toutes celles dont il ne veut pas. Au fond, les véritables fossoyeurs de la démocratie, sur ce continent, sont incontestablement ces juges serviles, si habiles à se mettre au service de chaque pouvoir, si prompts à anticiper les désirs du président, quel qu’il soit…

Peut-être n’ont-ils tout simplement pas le choix…

Aux États-Unis, les décisions rendues par chaque magistrat, chaque juge de la Cour suprême sont archivées et le suivent durant toute sa carrière, et même au-delà. Croyez-le, les magistrats et autres membres des commissions électorales ou cours constitutionnelles réfléchiraient mûrement, avant de déshonorer leur robe ou leur serment, s’ils savaient qu’ils pourraient, un jour, être appelés à rendre des comptes pour les mauvaises décisions qu’ils prennent, que ce soit sous la contrainte ou par complaisance.

Il est des pays où les décisions rendues par la Cour suprême ou par le conseil constitutionnel sont attendues, tel un jugement divin, car les citoyens savent que c’est le lieu où se réparent les éventuelles erreurs de la chaîne judiciaire. Mais lorsque, délibérément, ces organes se révèlent être le terreau d’encore plus grandes injustices, alors, nous glissons vers ce qui devrait relever de l’imprescriptibilité.

La démocratie, surtout sur ce continent, n’est pas possible, sans une justice indépendante et crédible. Nombre d’exemples, entendus en cette année du 60è anniversaire des indépendances, confortent l’idée que l’indépendance octroyée aux États africains en 1960 n’était, souvent, qu’un semblant d’indépendance. Comme il serait désastreux, pour ces peuples, de passer des semblants d’indépendance à des semblants de démocratie !