Cellou Dalein Diallo défiera Alpha Condé dans les urnes pour la troisième fois, malgré les voix de contestataires prônant un boycott électoral.

( Par Christophe Châtelot, Monde Afrique )

Moins de cinq semaines de l’élection présidentielle en Guinée, l’opposition s’avance en ordre dispersé, affaiblie par ses divisions sur la question d’un boycott du scrutin face au chef de l’Etat sortant, Alpha Condé. Violemment contesté dans la rue ces derniers mois par une partie de la population, le président guinéen campe sur une position de force.

Pour prendre la mesure de ce climat délétère, il n’est qu’à écouter les mots prononcés, dimanche 6 septembre, par son principal opposant Cellou Dalein Diallo qui le défiera dans les urnes le 18 octobre pour la troisième fois depuis 2010. En clôture de la convention nationale de son parti, l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), qui venait d’entériner sa candidature à la présidentielle, Cellou Dalein Diallo dressait un constat alarmant avant une compétition électorale.

« Il ne faut pas se leurrer, a-t-il précisé à ses partisans, avec une Constitution falsifiée, un fichier électoral tronqué et taillé sur mesure, une CENI [Commission électorale nationale indépendante] et une cour constitutionnelle totalement inféodées à Alpha Condé, la tâche ne sera pas facile. »

En mars, c’est déjà sur la base de ce sombre diagnostic démocratique que l’UFDG, aux côtés de deux autres partis d’opposition représentatifs, avait boycotté les élections législatives. Le président avait également couplé ce scrutin à un référendum pour l’adoption d’une nouvelle Constitution, celle qui l’autorise, aujourd’hui, à briguer un troisième mandat. Pourquoi alors l’UFDG entre-t-elle aujourd’hui dans la course électorale alors que rien n’a changé depuis le mois de mars ?

« Un baroud d’honneur suicidaire »

Les conditions sont même peut-être pires. Les pressions extérieures exercées alors par les voisins de la Guinée et certains pays occidentaux – dont la France – sur le pouvoir guinéen pour qu’il renonce à l’adoption à la hussarde d’une nouvelle Constitution et qu’il assainisse le fichier électoral se sont éteintes. Le scrutin guinéen est sorti des radars internationaux. « Il n’y a plus vraiment de levier sur Alpha Condé », admet un diplomate français.

La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), qui avait dénoncé l’irrégularité du scrutin de mars, est aujourd’hui concentrée sur le Mali depuis le coup d’Etat militaire du 18 août. Ensuite, comment stigmatiser publiquement la décision controversée d’Alpha Condé sans en dire autant de celle de son homologue ivoirien, Alassane Ouattara. En août, celui-ci a également annoncé sa candidature pour un troisième mandat, revenant ainsi sur une promesse faite au préalable. « Mais le président ivoirien est beaucoup plus en vue en Europe et outre-Atlantique, alors on le ménage. Il y a deux poids deux mesures », regrette un diplomate guinéen. « Il reste que Ouattara nous a coupé l’herbe sous le pied en nous privant d’un argument », reconnaît-on à Paris.

Le candidat de l’UFDG ne pourra donc pas vraiment compter sur une aide extérieure franche. En interne, il devra aussi recoller les morceaux, y compris au sein de sa propre formation. « La décision de participer à la présidentielle a été difficile à prendre », raconte Kalémodou Yansané, membre du bureau politique du parti. « Au niveau de la direction nationale, les débats étaient houleux, les positions étaient divergentes. Mais si on croise les bras, on signe notre défaite », explique-t-il. Une défaite qu’un des intellectuels de l’UFDG, sous couvert d’anonymat, n’hésite pas à pronostiquer : « C’est un baroud d’honneur suicidaire. »

93 manifestants tués

Car Cellou Dalein Diallo devra aussi convaincre, à l’extérieur de sa formation, les autres opposants membres du Front national de défense de la Constitution (FNDC) de se ranger derrière lui le jour du vote. Ce vaste mouvement de contestation, hétéroclite, regroupant des partis politiques d’opposition, syndicats et organisations de la société civile s’est constitué en 2019 par amalgame autour d’idées fédératrices simples : non à la nouvelle Constitution, non au troisième mandat, non aux élections truquées.

Sous la bannière rouge du FNDC, des dizaines, parfois des centaines, de milliers de manifestants ont scandé ces slogans dans les rues de Conakry et d’autres grandes villes guinéennes au cours des mois écoulés. Parfois au péril de leur vie. Selon le FNDC. 93 manifestants ont été tués depuis octobre 2019, la plupart tombés sous les balles des forces de sécurité.

Le revirement de l’UFDG a donc semé le trouble au sein du FNDC qui prône toujours le boycott électoral. Pourtant, les destins de ces deux mouvements sont intimement liés. « Le FNDC est conscient que l’UFDG est leur principal contributeur financier et humain. En retour, l’UFDG a besoin du FNDC pour élargir sa base électorale », explique un acteur de la société civile. « Nous avons bon espoir que le Front nous rejoigne, reconnaît-on d’ailleurs dans l’entourage de Cellou Dalein Diallo, mais sans aucune certitude ». Implicitement, le candidat de l’opposition entend jouer tout à la fois les urnes et la rue pour chasser l’actuel président du pouvoir. Au risque de tout perdre ?

En attendant, les proches d’Alpha Condé se frottent les mains. « La candidature d’un opposant de poids légitime la nouvelle Constitution et le scrutin que nous n’imaginons pas perdre », se félicite l’un d’eux.

Christophe Châtelot