2020 est une année charnière en Afrique de l’Ouest. Comme les Guinéens le 18 octobre prochain, des millions d’Africains de l’Ouest sont appelés à élire leur président d’ici la fin 2020, sous l’œil inquiet des défenseurs de la démocratie, alarmés par son recul dans cette partie du continent autrefois jugée pionnière en la matière.
« Les temps sont difficiles pour nous autres observateurs de la démocratie dans la sous-région », explique Kojo Asante, un responsable du centre de recherche Ghana Center For Democratic Development. Le Ghana votera le 7 décembre. Guinéens, Ivoiriens, Burkinabé et Nigériens iront aussi aux urnes d’ici la fin de l’année. Après plusieurs alternances pacifiques, le Ghana est cité en exemple, en dépit de sujets de préoccupation comme les agressions de journalistes.
Ailleurs l’image est bien plus sombre. Elle s’est obscurcie avec le putsch qui a écarté au Mali le président Ibrahim Boubacar Keita le 18 août, sans effusion de sang. Cette pratique, répandue sous des formes brutales dans la seconde moitié du 20e siècle après les indépendances, a cédé la place à des coups d’État « beaucoup plus sophistiqués, plus propres et cosmétiques », constate le centre d’études Afrikajom dans un rapport récent: « coups d’Etat électoraux » ou « coups d’Etat constitutionnels » menés non par les armes, mais par la fraude et les révisions de la loi fondamentale.
En Guinée et en Côte d’Ivoire, les présidents sortants tirent argument du
changement de Constitution pour briguer un troisième mandat, causant une contestation qui a fait de nombreux morts et ajoutant leur nom à la longue liste des dirigeants ayant plié la loi fondamentale à leur ambition depuis 2000.
Désillusion démocratique
Au Niger par contraste, le président Mahamadou Issoufou est salué pour sa décision de ne pas se représenter le 22 novembre après deux mandats. Mais, dans ce pays comme au Burkina, ainsi que chez le géant nigérian et au Mali, la propagation des agissements jihadistes et des violences intercommunautaires alarment les défenseurs des droits et la communauté
internationale.
Les récents acquis au Liberia et en Sierra Leone après les guerres civiles
jusqu’au début des années 2000, en Gambie ou en Guinée-Bissau demeurent
fragiles. Le président sénégalais Macky Sall n’a pas fait taire les spéculations sur un troisième mandat.
« On observe sur plusieurs aspects un recul démocratique en Afrique de
l’Ouest », déplore Mathias Hounkpé, politologue pour la fondation Open Society en Afrique de l’Ouest (OSIWA).
« Dans les pays francophones particulièrement, on observe un durcissement des textes encadrant la création de partis, être candidat aux élections est de plus en plus difficile, comme en Côte d’Ivoire ou au Bénin », regrette-t-il.
Alan Doss, ancien haut responsable de l’ONU dans différents pays africains,
note pour l’Africa Center for Strategic Studies un « désenchantement démocratique », né de déceptions causées par les promesses électorales non
tenues, la persistance de la corruption, de l’impunité et de la mauvaise
gouvernance.
Les raisons invoquées sont multiples: difficultés économiques, pression
démographique, défaillance des contre-pouvoirs institutionnels, perte
d’influence des médiateurs traditionnels, crise du multilatéralisme,
affaiblissement des modèles américain ou britannique et montée en puissance de pays comme la Chine ou la Turquie…
Les grandes institutions régionales, la Communauté des Etats d’Afrique de
l’Ouest (Cédéao) et l’Union africaine (UA), « devraient jouer un rôle beaucoup plus important, un rôle de médiation », plaide Arsène Brice Bado, un responsable du Centre de recherche et d’action pour la paix d’Abidjan, « car il est difficile de trouver des médiateurs internes en Côte d’Ivoire ».
Or, le diagnostic des limites de la Cédéao et de l’UA est largement partagé.
Le Lynx avec AFP