Le 16 décembre au Palais du Peuple, le volet Recettes de la Loi de Finance Initiale 2021 a été adopté à l’unanimité moins une voix contre ; et deux abstentions. Il s’élève à vingt-trois mille milliards de francs guinéens.
Les remarques et réflexions de Mamadou Baadiko Bah, Député à l’Assemblée nationale
Après une première revue du projet de Budget 2021 et après l’Inter-commission du 11 décembre 2020, nous allons livrer nos réflexions pour la plénière sur le volet Recettes.
Note préliminaire
Nous espérons que les honorables députés qui ont assisté à l’investiture du 15 décembre, ont bien écouté et compris le discours solennel du président de la Cour Constitutionnelle, Son Excellence Lamine Bangoura. Interpelant le président investi de façon directe et non équivoque, il a flétri la corruption des élites dirigeantes, les détournements des deniers publics et la mal-gouvernance en général, ces maux chroniques qui empêchent le développement de notre pays et le bien-être de ses habitants. Il appelle le président élu à « gouverner autrement » et à respecter scrupuleusement les lois du pays. Ayant dénoncé ces tares bien connues de la société guinéenne depuis que notre parti, l’UFD existe, nous ne pouvons que féliciter ce haut magistrat pour son courage. Nous espérons vivement qu’il ne subira pas le sort de son malheureux prédécesseur, Feu Kelefa Sall. En tout cas, il répond ainsi, même indirectement au défi que nous avions lancé à la haute juridiction en juin 2020 lors du vote de la Loi organique régissant la Cour constitutionnelle, au sujet du refus catégorique des concernés à s’acquitter de leurs obligations en matière de déclaration des biens. C’est déjà un grand pas vers l’indépendance de cette institution et nous tenons à saluer le geste. Pourvu que la Haute Cour aille de l’avant, en dépit de tous les obstacles, en répondant ainsi aux vœux ardents du peuple de Guinée qui compte sur son impartialité en toutes circonstances. Bien entendu, les actes devront suivre les paroles, les Guinéens étant hélas habitués aux grandes proclamations, jamais suivies d’effet.
Questions posées aux ministres des Finances et du Budget
- Documents d’information demandés à la Direction Nationale des Impôts
Nous avions précédemment relevé que la DNI avait mis beaucoup de temps à répondre à cette demande portant sur les impôts et taxes payés par les sociétés minières. La réponse reçue était incomplète, ce qui ne nous permet pas de nous faire une idée sur le sérieux de la taxation de ces contribuables.
Le Directeur national des impôts qui était présent à cette séance a promis de faire le nécessaire pour que ses services fournissent les informations manquantes. Il a regretté que la comparaison quelque peu désobligeante que nous avons faite avec la Direction des Douanes, en ignorant les efforts de mobilisation des recettes fournis par son administration ces dernières années. Il est vrai que les recettes apportées par la DNI au budget de l’Etat ont été multipliées par quatre en quelques années. Le Directeur national des impôts a promis de maintenir le dialogue avec nous pour bien éclairer la situation de sa régie. Le nouveau Code général des impôts en cours de préparation, devrait apporter des améliorations notables sur les recettes fiscales. Nous restons donc dans l’attente.
2. Quelles sont les dispositions prises en douane pour contrôler les quantités de minerais exportées ?
Exposé des motifs : Depuis très longtemps, nous savons que nos richesses minières sont parfois frauduleusement exportées. Le scandale d’Aredor dans les années 1990, avec les avions bourrés de diamants qui sortaient librement du pays sans passer par Conakry, sans aucun contrôle, ou encore cet avion saisi par hasard à Mandiana avec 71 kilogrammes d’or appartenant à une société qui ne disposait que d’un permis de recherche, l’exportation massive et frauduleuse d’or vers le Mali pour Dubaï, sont là pour nous rappeler l’hémorragie quotidienne subie par la richesse nationale à cause de la corruption ambiante à tous les niveaux du pouvoir d’Etat.
Réponse : Le ministre du Budget a dit que la Douane était assistée par une structure qui évalue les cargaisons déclarées ainsi que la qualité (teneur) du minerai exporté. En ce qui concerne les exportations transfrontalières, il dit que ce phénomène se produit dans les deux sens avec les pays voisins et qu’il est difficile à maîtriser.
Commentaires : Notre grave interrogation demeure donc, sachant qu’il y a de très forts soupçons que l’activité d’extraction d’or dans toute la Haute Guinée est utilisée par les élites prédatrices et corrompues
du pays pour faire sortir clandestinement d’énormes richesses volées et déposées dans des paradis fiscaux.
3. A quelle ligne trouve-t-on les contributions reçues des Nations Unies, au titre du déploiement d’un bataillon au Mali, à Kidal ?
Exposé des motifs : Par le projet de Loi de Programmation militaire, nous savons que la Guinée perçoit des revenus, en contrepartie de sa participation à la force des Nations Unies au Mali. Notre préoccupation est de savoir où sont passées ces recettes qui auraient dû figurer au budget du ministère de la Défense. La crainte légitime est que toute cette manne gérée dans l’opacité totale, comme sait si bien le faire le régime, soit détournée purement et simplement. L’excédent dégagé, après paiement des primes et perdiems aux soldats, aurait dû venir en atténuation des dépenses militaires inscrites au budget. Or, il n’en n’est rien.
Réponse : Les ministres des Finances et du Budget n’ont pas répondu. A leur place, l’Honorable Ali Kaba, chef du Groupe parlementaire RPG-Arc-en-Ciel a donné un éclairage sur les dispositions prises, sur instructions du Président de la République, afin de garantir que tous les soldats déployés au Mali percevront en dollars leurs primes, dans des comptes de banques à leur nom.
Commentaires : Malheureusement, cette précision ne répond pas à la question que nous avons posée. Le problème reste donc entier.
4. Recettes des établissements publics administratifs : Pourquoi ces recettes ne sont-elles pas reprises dans le budget ?
Exposé des motifs : En dépit des dispositions réglementaires prises depuis 2011 instituant l’unicité de caisse, beaucoup d’établissements publics générateurs d’importants revenus ne figurent au budget de l’Etat : ARPT, Patrimoine Bâti, Lonagui, Office guinéen de publicité, Office des Chargeurs, etc. Cette situation d’opacité totale a été régulièrement dénoncée car tout se passe comme s’il ne s’agissait que de caisses clandestines du pouvoir. Ainsi, les lignes budgétaires de recettes telles que les taxes sur les jeux de hasard, la publicité, les billets d’avion, etc. (Lignes 1143) sont vides.
Réponse du ministre du Budget : Les soldes des comptes de ces établissements publics sont compris dans la position du Trésor à la Banque centrale.
Commentaires : A la suite de l’interpellation faite par le président de l’Assemblée nationale, certains de ces établissements sont venus en commission pour répondre aux questions des députés. Malheureusement, au lieu de s’engager à rester transparents sur toute la ligne (recettes et dépenses), ils se sont tous contentés de dire qu’ils reversent leurs excédents au Trésor. A combien se montent les recettes, les dépenses ? Pas de réponse. Le scandale de la corruption, du pillage du bien public, de l’enrichissement illicite ne sauraient mieux s’illustrer que par le spectacle de ces structures étatiques hors de contrôle.
5. Fiscalité minière – Les recettes ne suivent pas la hausse spectaculaire de l’exploitation
Exposé des motifs : Dans son exposé des motifs pour la présentation de la Loi de Finances rectificative 2020, le ministre du Budget dit : « L’augmentation du volume de la production des sociétés minières évoluant dans le secteur de la bauxite et autres, telles que la Société Minière de Boké (SMB), la Compagnie de Développement des Mines de Chine (CDM-Chine), la Guinéenne de Mines ( GDM), les Compagnies Bel Air Mining et COBAD qui ont réconforté le niveau des recettes d’exportation (DFS). » Or, cette explosion de l’exploitation minière est loin de se traduire dans les recettes budgétaires correspondantes. Notre pays est en train de se vider à vitesse accélérée de ses précieuses richesses non renouvelables du sous-sol sans pour autant qu’il y ait un effet d’entraînement positif pour le développement et le bien-être de la majorité de la population. Le tout, sans compter les énormes dégâts irréversibles infligés à l’environnement. La plupart des sociétés en exploitation bénéficient d’agréments fiscaux très généraux et pour au moins dix ans chacune. Une révision du Code Minier s’impose donc pour corriger ces abus. Les avantages les plus importants doivent être réservés aux seuls investisseurs qui transforment le minerai sur place.
6. Autres revenus non inscrites au budget
Exposé des motifs : Des recettes administratives (recettes de services) sont encaissées par les services relevant de la justice, de la santé, des universités, sans apparaître nulle part dans le budget. De même, les lignes : amendes et pénalités de police ou de la justice sont absentes. On ne voit pas non plus de référence aux prévisions de recettes pour amendes, pénalités et confiscations ou remboursements de sommes détournées, alors que le Chef de l’Etat s’est fermement engagé à lancer des poursuites contre les fonctionnaires ayant porté atteinte à la fortune publique.
7. Propositions de taxation des produits de consommation de luxe importés
Exposé des motifs : Je propose l’institution de taxes spéciales sur la consommation de luxe importée – j’insiste, seulement importés : alcools, eaux minérales, tabacs, bijouterie, parfumerie, cosmétiques, fruits et légumes, véhicules de luxe (plus de 9 CV). Pour moi, il ne s’agira pas du tout de réprimer quiconque veut consommer ces produits, mais ce sont des produits de luxe sur lesquels, par simple mesure de justice sociale, l’Etat doit prélever des taxes pour financer des postes aussi importants que les pistes rurales, les forages d’eau potable, la santé des populations les plus vulnérables et l’éducation.
Sur ce chapitre de la taxation des produits importés de luxe et pour favoriser la production locale, il est réconfortant de noter que des organisations de la société civile sont montées au créneau pour exiger la mise en place immédiate de ces mesures salutaires. Pour moi, l’Etat peut facilement y gagner 300 à 500 milliards.
Réponse du ministre du Budget : Les Directives de la CEDEAO en matière de droits et taxes à l’importation ne permettent pas de lever ces taxes.
Commentaires : Malheureusement, cet argument ne tient pas du tout, car les directives en question ne touchent absolument pas les taxes (intérieures) sur la consommation. C’est une simple question de volonté politique. Les techniciens chargés de la législation aux Impôts et à la Douane savent parfaitement comment procéder pour instituer ces taxes, sans violer en aucune façon des traités internationaux. Nous nous retrouvons hélas dans la même situation qu’à l’époque du régime du général Lansana Conté, lorsque de puissants lobbies avaient réussi à empêcher l’institution de ces surtaxes. Le problème est plus que jamais d’actualité. C’est une exigence minimale de justice sociale.
Mamadou Baadiko Bah