A son accession à la magistrature suprême le 21 décembre 2010, Alpha Grimpeur avait inscrit l’autosuffisance alimentaire dans l’agenda de ses priorités. Il en avait fait une obsession. Le Prési de la République comptait booster l’agriculture pour permettre au populo de consommer 100% le Made in Guinée. Lui et son goubernement prévoyaient notamment relancer la culture du riz, un des aliments les plus prisés par les Guinéens. Un secteur, qui en réalité, n’a jamais connu de boom en 62 ans d’indépendance-dépendance, il reste toujours dans son sommeil. Le chef de l’État avait pourtant juré sur tous les toits que peu de temps lui suffiraient pour mettre faim à l’importation du riz en Guinée. Dix ans après, force est de constater que la promesse présidentielle est loin d’être tenue. Officiellement, on affirme compter sur le riz local pour satisfaire les besoins alimentaires du populo. Mais, les autorités guinéennes donnent une place de choix au riz importé. Et comment ! Cette enquête fait partie de la série d’articles que Le Lynx vous propose sur la gouvernance économique en Guinée. Elle est réalisée avec l’appui d’OSIWA (Open Society Initiative for West Africa ou Initiative pour des sociétés ouvertes en Afrique de l’Ouest).

L’importation explose d’année en année

Pendant que l’Etat fait croire que tout est mis en place pour faciliter les choses aux agriculteurs, que l’autosuffisance alimentaire est une réalité, c’est plutôt l’importation du riz qui semble avoir pignon sur rue en Guinée. Depuis 2010, l’importation de cette denrée monte crescendo. Avec en l’air, de petits millions de dollars américains qui auraient pu servir ne serait-ce qu’à l’aménagement des différentes plaines agricoles. En 2013, officiellement, 458 035 tonnes de riz ont été importées pour une valeur de 239,77 millions de dollars ricains contre 620 057 tonnes pour 284,63 millions de dollars l’année suivante. Quelque 545 088 tonnes de riz ont été importées en 2015 pour 250,97 millions de dollars. En 2016, 643 088 ont été importées pour 252,84 millions de dollars contre 662 030 tonnes à 202,32 millions de dollars en 2017 et 681 080 tonnes en 2018 à 220,28 millions de dollars. Soit 3 607,319 tonnes importées de 2013 à 2018, pour un coût total de 1 milliard 450 millions 81 mille dollars ricains.

Au APC (Port auto-norme de Cona-cris), d’autres chiffres sont plutôt évoqués pour quasiment la même période : 406,002 tonnes en 2012 ; 496,001 tonnes en 2013; 648,007 tonnes en 2014 ; 515,001 tonnes en 2015 ; 554,009 en 2016 ; 690,006 en 2017 et 791,006 en 2018. Le coût de ces importations n’a pas été fourni par les responsables du PAC.

Ces milliards de dollars dépensés dans l’importation du Riz ne viennent pas forcément des caisses de l’Etat, qui subventionne la plupart des produits de première nécessité qui entrent en Guinée. Officiellement, l’Etat justifie la subvention par la nécessité de diminuer le coût pour le consommateur. Mais des opérateurs comiques assurent que tout ou presque demeure flou : « C’est vrai que l’Etat subventionne le riz importé, mais c’est une très grosse mafia entre les importateurs et le ministère du commerce. Pourtant, nous avons plusieurs importateurs de riz dans notre organisation, mais ils ne te diront jamais ce qui s’y passe, ils sont hostiles aux chiffres », nous clame un opérateur comique. Même son de cloche à la Chambre régionale du commerce de Cona-cris : « On ne nous dit absolument rien de l’importation ou de la subvention. Ils font ce qu’ils veulent, ils ne nous associent à rien. Dites cela à qui vous voulez, c’est le ministère du Commerce, son entourage et leurs amis qui savent comment ils font », a expliqué un haut perché de ladite Chambre.

Les chiffres du goubernement et la réalité du terrain s’opposent

Depuis 2011, la filière riz connaît quelques progrès. Des chiffres fournis par le goubernement, qui résulteraient des différentes campagnes agricoles, montent au fil des années. En 2013, dans les sept régions administratives du bled, 1 913 338 tonnes de riz non décortiqué auraient été cultivées sur une superficie de 1 670 872 hectares contre 1 970 515 tonnes en 2014 sur 1690 869 ha. En 2015, 2 047 365 de tonnes sur 1 706 138 ha. Sur une superficie de 1 738 994, 2 173 742 de tonnes de riz ont été obtenues en 2016 ; 2 197 907 en 2017 sur 1 805 878 ha et 2 339 747 tonnes de riz en 2018 ont été cultivées sur 1 859 767 ha. A la Direction nationale de l’agriculture, les dernières statistiques remontent à 2002. Celles «récentes» ne reflètent pas non plus la réalité sur le terrain. Voyons voir ! En 2014, la Guinée comptait 1 470 388 ménages. Ces tonnages de riz susmentionnés auraient donc suffit à couvrir les besoins de la denrée pour la majorité de ces ménages. Ces millions de tonnes évoqués par le goubernement ne se vérifient pas forcément sur le terrain. Le riz local coûte beaucoup plus cher : 7 000 francs glissants le kilogramme, 350 000 gnf le sac de 50 kilogrammes. Au même moment, l’Etat concentre plus «ses efforts » sur la subvention que sur l’aide aux agriculteurs locaux. Conséquences, le consommateur se tourne donc vers le riz importé dont le prix du sac de 50 kilogrammes varie entre 265 000 et 305 000 francs glissants, selon les qualités. Un cadre (en bois) du mystère de l’agriculture accuse sur le bout des lèvres les ménagères de bouder délibérément le riz local : «Le riz importé a une qualité : les femmes qui préparent ne veulent fournir assez d’efforts. Quand le riz est très bien transformé, il contient moins de débris, la ménagère va acheter le riz qu’elle met directement dans la marmite, elle n’a pas besoin d’un travail complémentaire». Pour lui donc, la préférence des nounous du riz importé au détriment du riz local serait liée à la corvée (cuir, assécher, piler) qu’elles vivent avec ce dernier.

Cet argument n’est pas partagé par tout le monde, même au sein du département de l’Agriculture. Il y en a qui expliquent que le riz importé bénéficierait des appuis que l’Etat n’a pas voulus offrir aux producteurs locaux: «La riziculture moderne se fait sous aménagement, les aménagements coûtent cher, et l’argent est devenu rare sur le marché international. Donc pour l’instant, nous n’avons pas d’argent pour réaliser ces infrastructures. Le bât blesse aussi au niveau du matériel de la transformation du riz local dans notre pays». Mohamed Lamine Touré, dirlo national de l’Agriculture se défend : «Aujourd’hui, tout est renforcé. Les prestations sont subventionnées, les tracteurs sont à la portée des producteurs, l’accès est facile, avec une forte subvention».

Les choses ont quelque peu changé au niveau de l’approvisionnement en engrais. Jusqu’en 2008, l’Etat ne mettait que 2 000 tonnes à la disposition des agriculteurs, tout confondu. En 2011, elle a haussé jusqu’à 20 000 tonnes. De 2011 à 2017, cette fourniture est passée de 20 000 à 40 309 tonnes d’engrais. Malgré, elle reste faible face aux besoins. D’ailleurs les changements auxquels le Directeur de la DNA font allusion, les paysans les trouvent surprenants, ils seront aux antipodes de la réalité sur le terrain. La filière riz est plutôt confrontée à une multitude de difficultés : aménagement des plaines, choix des intrants, celui des semences et leur distribution aux producteurs du pays, le déficit de techniciens, excusez du peu, les écueils ne manquent pas. Nous nous sommes rendus dans la préfecture de Koundara pour constater ce que vivent les cultivateurs du riz.

Koundara, l’exemple ?

Situé au nord de la Guinée, à près de 700 kilomètres de Cona-cris, la préfecture de Koundara est l’une des zones à plus fort potentiel agricole. Dans cette zone tout le monde ou presque est producteur du riz. Mais les paysans se plient au dictat de la pluie. Nous y avons fait un saut entre le 10 et le 14 décembre dernier. Koundara seul compte au plus bas mot 8420 hectares cultivables, appartenant à l’Etat. Wédhou-Madiou : 150 hectares, Yéguen : 70 ha, Gonkou : 200 ha, dans la sous-préfecture de Guingan. Alkémé : 2 000 ha, Faro-Barou : 200 ha, dans la sous-préfecture de Kamabi. Yabadou : 200 ha, Faro Thianki : 400 ha, Pathiri : 200 ha dans la localité de Youkounkoun. Soutoumourou 1 000 ha, Akada : 4 000 ha, dans le buisson de Saré-boïdo. Des plaines très riches, avec un rendement souvent compris entre une et quatre tonnes (soit entre 20 et 80 sacs de riz) à l’hectare.

Seul bémol, dans toute la préfecture, aucune plaine n’est aménagée. Pourtant, Mamadou Alimou Diallo, agriculteur, explique que les opportunités de faire des aménagements ne manquent pas : «La réalité est qu’on n’en fait pas une priorité. Sinon à Koundara, on peut faire deux à trois récoltes dans l’année. Mais il n’y a aucune politique réelle d’aménagement, permettant aux producteurs de cultiver en toute saison». Le son de cloche est le même chez Youssouf Boiro, gendarme à la retraite : «En ma connaissance, la politique agricole de l’État s’arrête à l’engrais qu’on nous vend. Chacun se bat pour avoir de l’engrais en fonction du nombre d’hectares qu’il cultive. Il n’y a aucun aménagement. Dès qu’il commence à pleuvoir, nous labourons, mettons les herbicides et semons le riz. L’État n’a rien aménagé».

L’aménagement, ce grand hic qui défie les gouvernants

Si la filière riz peine à décoller, c’est parce que toutes les étapes sont semées d’embuches. A commencer par celle de l’aménagement, l’une des plus importantes. Les domaines agricoles ne manquent pas en Guinée, mais ils n’ont connu aucun début d’aménagement. Les paysans sont obligés de se conformer à la pluviométrie. Un responsable de la Direction nationale de l’Agriculture le concède : « Nous dépendons en très grande partie de la riziculture pluviale. Les aménagements ne sont pas très nombreux, la maîtrise de l’eau n’est pas totale». En réalité, il n’y a qu’une seule plaine qui serait en train d’être aménagée dans la sous-préfecture de Koundian, préfecture de Mandiana, en Haute-Guinée. Il avoue que l’Etat ne peut aménager que de petites superficies : « Nous n’avons pas les moyens d’aménager maintenant de très grandes superficies. Nous sommes obligés de faire la programmation. La production du riz, elle, augmente quand vous avez la maîtrise de l’eau. Il y a un schéma de l’irrigation qui a été aménagé par le ministère de l’Agriculture. Il reste maintenant de trouver les financements pour aménager progressivement les superficies, afin que notre production en riz soit à la hauteur de nos ambitions».

Chaque année, l’Etat promet l’aménagement des plaines, mais les agriculteurs attendent toujours : « Nous attendons toujours la pluie. Dans toute la préfecture de Koundara, il n’y a pas d’aménagements. Nous avons fait toutes sortes de sollicitations. Alors que des pays frontaliers au nôtre l’ont fait. Ça existe au Sénégal, ça travaille pendant les deux saisons. Nous n’avons pas de bonnes routes. Quand on finit la production, il est difficile de sortir le riz de la brousse. Des fois, les troupeaux s’infiltrent dans les champs, font ce qu’ils veulent, nous avons même des dizaines de litiges actuellement», se plaint El Hadj Chérif Mayantan Camara, prési de la Chambre préfectorale de l’agriculture.

Intrants et machines manquent

Dans la culture du riz à Koundara, c’est peut-être au niveau des intrants agricoles que l’Alphagouvernance a mis un peu du sien. De la fin de règne de feu Fory Coco à date, les dotations se sont multipliées. 20 tonnes d’engrais pour toute la préfecture en 2008, 1 016 tonnes en 2011, 1 600 tonnes et 900 000 litres d’herbicides en 2019. Sauf que ces intrants ne sont pas directement donnés par l’Etat. Il a plutôt mis la Chambre préfectorale de l’agriculture en relation avec une société spécialisée qui revend ses intrants au prix qui lui convient. En 2020, un sac d’engrais a coûté aux paysans 150 000 francs glissants, alors qu’en 2019, le même sac valait 135 000 Gnf. Pour la campagne agricole 2020, la zone n’aurait tout simplement pas eu d’engrais, selon un gars de la Chambre préfectorale de l’agriculture. Une info démentie par un paysan : «L’Etat a livré une petite quantité que la Chambre a failli trafiquer. C’est quand les gens ont voulu se révolter, qu’ils l’ont sorti au mois d’août, il n’avait plus d’importance, nous étions vers la fin de la période de culture.»

Des moyens rudimentaires

L’autre hic, c’est l’insuffisance des tracteurs et des moissonneuses batteuses. Là aussi, l’Etat a noué un partenariat avec une société malienne. Pour toute la préfecture, celle-ci n’a donné que 15 machines. Un calvaire. En juin 2020, une crise de tracteurs a été enregistrée à Koundara. Une file de demandeurs s’est formée derrière les proprios. Le producteur lambda doit verser l’argent et attendre son tour, au minimum pendant deux semaines, pour voir son domaine labouré. Et à un coût hors pair. D’aucuns ont casqué pas moins de 600 000 francs glissants à l’hectare. Pendant la récolte, même scénario. Des paysans ont perdu leur riz dans les champs faute des moissonneuses. Ils sont unanimes : la société malienne est trop cher, pendant que les particuliers qui ont les meilleures machines font payer 500 000 francs glissants à l’hectare, elle, elle exige 600 000 : «Nous avons beau parler, ils refusent. Nous ne sommes pas contents, les agriculteurs sont fâchés, parce que c’est l’État qui a donné des moyens à cette société » peste un producteur. Quid des machines mises à la disposition des producteurs par ladite société ? De la chinoiserie, selon El Hadj Chérif Mayantan Camara, prési de la Chambre préfectorale de l’agriculture : «Tu peux louer une machine, travailler un jour, elle tombe en panne trois jours. Nous demandons à l’État, s’il veut toujours nous aider, de nous trouver d’autres machines qui ne sont pas de marques chinoises». Nous n’avons pu vérifier cette info, faute d’interlocuteurs.

A l’échelle nationale, les chiffres sont édifiants sur le manque d’investissement. L’Etat n’a distribué que 174 tracteurs en 2014, 150 en 2015, 50 en 2016, 10 en 2017 et 50 en 2018. Seulement 1 554 décortiqueuses à riz ont été achetées et 270 moissonneuses-batteuses entre 2014 et 2018.

Salissant des semences, bien de producteurs se voient obligés de faire recours à celles qu’un agriculteur implanté dans la zone envoie pour expérimentation. C’est soit la CK21, la CK80, la CK90 ou encore une variété de la zone qu’on appelle Diouloukémé. Mais problème. Il manque aux paysans de techniciens pour les aider à faire le choix, le meilleur : «On doit permettre aux agriculteurs d’avoir à leurs côtés une expertise, une assistance technique pour définir notamment les types de productions. Mais à Koundara, les gens sont laissés pour compte, c’est cela la réalité. Sinon, Koundara seule peut assurer l’autosuffisance alimentaire à la Guinée», jure, la main sur le palpitant Mamadou Alimou Diallo.

Le Grimpeur, président paysan… informel

Pour, dit-on, inciter le populo à se lancer dans la culture du riz, le Prési Alpha Grimpeur à lui-même décidé d’ôter son manteau de chef de l’État pour revêtir celui du «cultivateur». Dans la préfecture de Koundara, il est en passe de devenir le plus grand cultivateur du riz, avec son ami Mamadou Bobo Diallo alias «Bobo Denken », proprio dune rizerie dans la préfecture de Boké. En 2020, il a fait au moins 3 champs : 144 hectares de riz à Bensané, dans la sous-préfecture de Guingan, 155 hectares à Soutoumourou (Saré-boïdo) et 75 hectares à Akadasso, dans la sous-préfecture de Kamabi. Dans ces champs, ce sont les flics et les pandores qui montent la garde. Les travaux sont chapeautés par les représentants de l’administration, le préfet, Aboubacar M’Bop Camara, en tête. Tout comme chez certains privilégiés ou ceux qui ont les moyens de louer une machine, le labour est fait par les tracteurs, la récolte par les moissonneuses batteuses. Pour le reste, on se débrouille avec la méthode classique : Le séchage sur des bâches, le nettoyage par des nounous, flics et pandores s’occupent du remplissage des sacs et leurs teufteufs transportent les sacs de riz des champs au bord des pistes carrossables où les attendent des camions de particuliers qui les acheminent dans la rizerie de Bobo Denken. Les plaines «présidentielles» n’ont connu aucun aménagement.

De sources proches de la préfecture, le champ présidentiel d’Akadasso aurait donné 3 500 sacs de riz de 60 kilogrammes chacun. Il restait encore quelques hectares à récolter. Nous étions le 12 décembre 2020. Pas moins de 1 400 sacs de 50 Kg chacun seraient sortis de son domaine de Soutoumourou. Le riz du Prési tout comme celui des producteurs désireux de vendre, auraient pour destination finale, la rizerie de Bobo Denken. Ce dernier achète le sac de riz de 60 kilos à 150 000 francs glissants. Cela n’a pas encore fait baisser le prix du riz pour la ménagère du pays, d’où qu’elle se trouve. Un agriculteur s’en moque : « Qu’est-ce que cela change quand le Président est lui-même agriculteur ? Rien». Président-paysan, t’entends ça ?

En tout cas, la faim de l’importation du riz n’est pas pour demain en Guinée, contrairement à ce que claironne partout l’Alphagouvernance. Avec la flambée actuelle du prix des denrées, due à la fermeture des frontières et aux perturbations liées à la pandémie de COVID-19, la Guinée n’a jamais eu autant besoin de se suffire à elle-même.

Yacine Diallo