Nous vivons entre le mois de janvier et celui de février, le quatorzième anniversaire des événements qui ont déclenché le processus de changement dans notre pays. En effet, à partir du 22 janvier 2007, notre pays a enregistré le soulèvement populaire le plus important contre la gouvernance d’alors. Au fil du temps et par la faute des acteurs  de ce changement ainsi que des pouvoirs publics, les nombreuses victimes n’ont pas encore eu droit à la réparation qu’elles méritent. Avec en prime un gèle incompréhensible sur la mise en place de la commission indépendante d’enquête. A ce sujet, les responsabilités se situent à deux niveaux.

Il s’agit du gouvernement de consensus de Lansana Kouraté, et de celui de large ouverture d’Ahmed Tidiane  Soirée-bal-poussière.

 Installé à la primature à la suite du procès verbal de négociation conclu entre les différents acteurs de la crise, le premier ministre du gouvernement de consensus avait fermement promis la réalisation d’une stèle à la mémoire des victimes de la répression sanglante, et la mise en place d’une commission indépendante d’enquête. Le financement de cette commission avait été assuré par la France par la mise à disposition d’un fonds à la Banque centrale. 

Le gouvernement de large ouverture qui a succédé à celui de consensus n’a guère fait mieux. Malgré la disponibilité des ressources financières, la commission d’enquête indépendante n’a jamais vu le jour. Si des démarches avaient été entreprises pour établir la responsabilité des uns et des autres, il est clair que les tragiques événements du 28 septembre 2009 auraient pu être évités.

Quatorze  ans après ces folles journées qui ont endeuillé de nombreuses familles, il n’est pas superflu de revenir sur des séquences de cette tragédie nationale. En effet, dans l’Info 35 du 23 janvier 2007 publié par l’Inter centrale, on peut lire entre autres : « ’’ La journée du lundi 22 janvier 2007 a été la plus sanglante de l’histoire de la 2ème République. De mémoire d’homme, on  n’a jamais vu Conakry dans une telle effervescence ; on n’a jamais vu une telle marrée humaine déferler à travers toute la ville. La riposte des forces de l’ordre a été à la mesure de la mobilisation populaire : gaz lacrymogènes, matraques, grenades et balles réelles. Le bilan est lourd et même très lourd ; il dépasse de loin tous les chiffres avancés par les médias étrangers et les sources hospitalières. Les blessés se comptent par milliers. Même les hôpitaux n’ont pas été épargnés par les fusillades des tueurs à gages.

Ainsi, on peut dire adieu la démocratie, adieu l’Etat de droit, adieu la sécurité des personnes et des biens ! La question qui se pose aujourd’hui c’est comment l’armée guinéenne qui a volé au secours de Lumumba, qui a libéré l’Angola, le Mozambique ; la Guinée Bissau et qui a contribué au rétablissement de la paix et de la sécurité au Libéria et en Sierra Leone a-t-elle pu se rendre coupable d’une telle barbarie et de telles exactions à l’égard de sa propre population ? Comment une armée républicaine peut-elle tirer à balles réelles sur des êtres humains comme sur du gibier ? ‘’

 Ceux qui sont censés répondre à ces questions et à bien d’autres sont pour la plupart encore en vie et occupent diverses fonctions dans les rouages de l’Administration du pays. Pour certains, il faut tout simplement faire une jonction de procédure entre les événements de janvier février 2007 et ceux du 28 septembre 2009. A moins que les premières victimes soient passées à perte et profit au nom d’un délit d’oubli. Fer de lance des douloureux événements du 22 janvier 2007, l’Inter centrale syndicale n’a pas fière allure aujourd’hui. Engluée dans une guerre de leadership qui ne dit pas son nom, le mouvement syndical a d’autres chats à fouetter que d’exiger la justice et la réparation pour les victimes de janvier et février 2007. L’USTG quant à elle, est probablement beaucoup plus encline à dormir sur ses lauriers. Ce qui nous donne l’impression que ces événements sont désormais relégués au second plan de leur agenda. Comme pour dire que les priorités sont bien ailleurs. Et tant pis pour les victimes de la sanglante et sauvage répression !

Au sujet de l’Inter centrale, figure de proue de ce mouvement de contestation, notre compatriote Mamadi Camara, ci-devant aujourd’hui, ministre des Pitances anémiées, a publié en juillet 2012, à la maison d’édition l’Harmattan un livre digne d’intérêt, Où va la Guinée ?, préfacé par Albert Bourgi. Il traite des sujets brûlants du pays. Un chapitre est consacré à la grève de janvier février 2007. De façon détachée, l’auteur analyse les conditions de déroulement de ce mouvement social. Selon lui, alors qu’elle était dans une position de force, l’inter centrale syndicale a, au milieu du gué, renoncé à aller jusqu’au bout de sa revendication principale, à savoir le départ du Général Conté du pouvoir. Pourtant, le cri des enfants tués réclamait un changement de pouvoir. Les syndicalistes qui étaient leur porte parole ont inexorablement changé leur position, en demandant la nomination d’un Premier ministre de consensus. Cette première concession a permis au pouvoir en place de reconstituer ses forces et d’aborder la suite des événements avec plus d’assurance et possibilités de manœuvre. Nous vivons aujourd’hui les conséquences de cette reculade. A chacun d’en tirer les enseignements.

Cheick Tidiane