Peut-on affirmer que les mines guinée-haines sont bradées ? Ce secteur a connu la plus grande croissance ces 10 dernières années. Entre les conditions floues d’attribution des permis et la gestion opaque des recettes minières par des administrateurs publics, les retombées des activités d’exploitation, notamment dans la zone de Boké, tardent à se faire sentir, au grand dam des populations qui subissent les impacts de l’extraction et du transport des minerais. Cette enquête fait partie de la série d’articles que Le Lynx vous propose sur la gouvernance économique en Guinée. Elle est réalisée avec l’appui d’OSIWA (Open Society Initiative for West Africa).

Pourtant la situation n’est pas nouvelle. De l’attribution des marchés publics à la gestion des revenus miniers en passant par la sous-traitance, tout baigne dans un océan de magouille depuis des années. En 2011, «l’assainissement du cadastre a permis le retrait de plus de 800 permis miniers», selon une déclaration du ministère des Mines et de la Géologie. Ce nombre a mis à nu l’incurie qui s’était enracinée dans le secteur. Certes, l’adoption d’un nouveau Code minier en 2011, révisé en 2013, a eu quelques résultats positifs, mais de nombreuses zones d’ombres demeurent. Le secteur minier guinéen est loin de faire sa mue.

Le projet de l’exploitation des blocs 1 et 2 de Simandou, en Guinée Forestière, avec une teneur de plus de 60% de qualité, en dit long. Il a connu tant de rebondissements, avec l’implication de plusieurs acteurs non des moindres. Le magnat franco-israélien, Beny Steinmetz, a acquis le titre d’exploitation des blocs 1 et 2 de Simandou via sa société BSGR (Beny Steinmetz Group Resources) dans des conditions non conformes à la loi, sous le règne de feu Fory Coco, au détriment de Rio Tinto, le géant anglo-australien qui en a obtenu le permis de recherche en 1997.

Le patron de BSGR qui évolue dans le secteur minier devrait comparaître ce 11 janvier 2021, pour «corruption d’agents publics étrangers» et «faux dans les titres dans le contexte de l’attribution de licences minières en République de Guinée». Ce sera devant le tribunal correctionnel de Genève, en Suisse. Beny Steinmetz aurait versé au moins 8,5  millions de dollars ricains de pots-de-vin à la dame, Mamadie Touré, sentimentalement proche de feu Fory Coco. Que l’on n’a pas hésité de qualifier de quatrième épouse de celui-ci. Le but, «influencer»  notre Fory Coco national afin d’obtenir une concession sur les blocs 1 et 2 de Simandou pour BSGR. «L’acte d’accusation détaille comment des intermédiaires lui ont versé 8,5  millions de dollars de pots-de-vin, plus de 2  millions en cash, entre 2006 et 2012. Mamadie Touré exerçait une influence de type et de niveau gouvernemental sur son «mari» et ses ministres. Elle se mêlait directement et personnellement du projet guinéen de BSGR», précise un article paru chez nos confrères de la Tribune de Genève, le 3 janvier 2021. Mais, il n’est pas le seul poursuivi dans cette affaire. Il y a deux autres prévenus, dont le Français Frédéric Cilins, condamnés à de la prison ferme aux Etats-Unis en 2014 dans ce dossier, écrit Jeune Afrique. Quant à Mamadie Touré, qui vit actuellement aux Etats-Unis, où elle bénéficie d’un statut de témoin protégé, elle devrait être entendue en tant que témoin. Elle avait été soupçonnée à l’époque «d’avoir coopéré» avec les limiers que l’Oncle Sam avait mis sur la piste.

Mais, le milliardaire franco-israélien n’est pas allé jusqu’à l’exploitation du gisement. En 2010, il a revendu 51% de ses droits miniers à 2,5 milliards de dollars des États-Unis à la société brésilienne Vale. En 2019, la Guinée a abandonné les poursuites contre le sieur Beny dans cette affaire, alors que le Prési Alpha Grimpeur accusait ce minier d’avoir corrompu Fory Coco pour obtenir les blocs 1 et 2 du gisement de Simandou. Les ardeurs se sont subitement calmées depuis la rencontre d’un certain Nicolas Sarkozy avec les autorités guinéennes et la visite «inopinée» de l’ancien locataire de l’Elysée à Cona-cris.

En tout état de cause, ce gisement est la plus grande réserve inexploitée de fer, de haute teneur, dans le monde. Il est situé sur un espace protégé, unique espace de vie de nombreuses espèces animales. C’est également le plus grand projet intégré mines-infrastructures en développement en Afrique. Les partenaires du projet sont la République de Guinée (7,5%), CHINALCO (Aluminium Corporation of China, avec 41,3%), Rio Tinto (46,57%) et la Société financière internationale du groupe de la Banque mondiale (4,625%). Il est peu sûr que conflits d’intérêts, appétits et contentieux aient définitivement enterré la hache de guerre dans la zone.

Quel flou !

Pour sa part, l’Assemblée nationale a adopté, le 21 novembre 2020, les conventions d’infrastructures ferroviaires et portuaires pour le transport et l’exportation du minerai des blocs 1 et 2 du Simandou. Au grand dam d’administrateurs judiciaires du BSGR (Beny Steinmetz Group Resources), qui sont revenus à la charge. Ils indiquent avoir protesté, selon nos sources, contre le traitement «accéléré» de la procédure d’attribution de ces blocs au profit des investisseurs chinois, alors qu’il y a des conventions qui traînent sans être ratifiées, notamment celle de Zogota, détenue par la société Niron Metal.

«Les députés ont été appelés à examiner ces conventions de manière urgente, sans même attendre l’investiture pour le 3e mandat du président de la République le 15 décembre dernier, parce que le gouvernement a indiqué avoir besoin du paiement de la première tranche de 40% de la compensation financière principale de 100 millions de dollars promises par la société Winning Consortium Simandou dans les dispositions de la convention de base pour l’exploitation des blocs 1 et 2 de Simandou», écrit Akoumba Diallo, journaliste-spécialiste des mines. L’engagement de la Société Winning Consortium Simandou est de procéder, en contrepartie de l’octroi de la concession minière, «au paiement d’une compensation financière à l’Etat composé d’un montant principal de 100 millions de dollars et d’un montant complètement de 2 millions de dollars correspondant à la prise en charge, à titre forfaitaire des frais de négociations de l’Etat au titre de l’ensemble du projet», ajoute-t-il. Une broutille, en comparaison des 2,5 milliards de dollars ricains qu’en a tirés Steinmetz. Sans parler des exonérations fiscales. Le Premier ministre, Ibrahima Cas-Sorry Fofana, aurait attiré l’attention sur ce sujet dès son arrivée à la Primature. Dans une lettre en date du 23 octobre 2018 dans laquelle il prenait l’exemple de la SMB dont «la production a triplé entre 2015 et 2017 mais (qui) ne déclare toujours aucun bénéfice au titre de l’impôt sur les sociétés (IS).»

Autre « détournement »

La gestion opaque et douteuse des fonds tirés des mines ne manque pas, non plus. Selon Guineenews, un décaissement douteux de plus de 34 milliards GNF en 18 mois, a été opéré à la Banque centrale, du compte de FIM, Fonds d’investissement minier. Selon le site, les 5% des revenus miniers destinés à cette structure n’atterrissent pas à son compte. Ce scandale financier aligne plusieurs décaissements au compte du FIM, sans destination précise. «Pour la période du 1er janvier 2019 au 11 août 2020, plus de 34 milliards de francs guinéens ont été décaissés pour la plupart en espèces, en virements bancaires, représentation débit, crédit-cash (émettre un chèque pour payer les dettes d’une tierce personne), écriture de masse, émission de chèques pour des dépenses supposément douteuses qui n’ont rien à avoir avec la vocation du FIM. Le 1er janvier 2019, le solde du compte du FIM domicilié à la Banque centrale de la République de Guinée, BCRG, était de 37 milliards francs guinéens. Déjà, au 22 novembre 2019, il n’est resté que 7 milliards GNF avec d’énormes retraits en liquidité : parfois de 600 à 900 millions de francs guinéens par jour.»

Amadou Bah, le directeur exécutif de l’ONG Actions Mines Guinée, explique que tous les textes d’applications du Code minier, révisé en 2010, ne sont pas encore en vigueur. «On a des énoncés globaux, mais dans le détail, l’application convenable de cette volonté politique affichée dans le Code minier n’est pas encore une réalité», constate-t-il.

UMS aussi !

United Mining Supply (UMS), une société de transport et de logistique française, évoluant en Guinée, cache son jeu en France, alors qu’elle est attributaire dans le projet des blocs 1 et 2 de Simandou. UMS évolue dans la région bauxite de Boké. En 2019, l’entreprise a réalisé un chiffre d’affaires de 300 millions de dollars. «Elle s’est associée avec la Société minière de Boké (SMB) et le transporteur chinois Winning pour former un consortium à l’efficacité redoutable, qui, en cinq ans à peine, a fait main basse sur le secteur de la bauxite et ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. À la tête d’UMS mais aussi du Conseil d’administration de la SMB, un personnage incarne cette fulgurante réussite : Fadi Wazni. Cet homme d’affaires franco-libano-guinéen est réputé proche du président guinéen, Alpha Condé, et de son fils, Mohamed.» Dans sa première offre de reprise du site de Gardanne, «UMS propose pourtant de réaliser un ‘’audit environnemental’’ de l’usine. De plus, UMS compte importer à Gardanne de la bauxite déjà traitée, ce qui évitera la pollution aux ‘’boues rouges’’. Là où le bât blesse, c’est que l’offre de reprise proposée par UMS ne précise pas vraiment comment. Car le consortium SMB-UMS-Winning ne dispose pas de raffinerie en Guinée qui permettrait l’extraction d’hydrates d’alumine à partir de la bauxite brute», indique le site Le Media. Selon nos informations, l’UMS aurait fait une offre qui a transité par deux paradis fiscaux avant d’être retenue pour la reprise de la direction de l’usine Alteo de Gardanne, en France. Le site a été racheté à plusieurs, après un énorme scandale écologique. Déjà, le 7 janvier 2021, rapporte l’AFP, la justice française a confié le site à UMS. De quel droit, de quel statut, UMS dispose-t-il pour opérer une telle transaction ?  Comme le crédit en Afrique, le flou ne tue pas.

Yaya Doumbouya