Alpha devrait prendre quelques jours de repos pour permettre aux Guinéens, même s’ils n’ont pas honte, d’être correctement situés sur l’état de santé de leur grimpeur de président. On peut dire que manifestement quelque chose ne va pas chez Alpha Condé. Voici trois jours pleins depuis qu’il s’est vertement attaqué à la presse française, mais les réactions n’arrivent guère à s’estomper. On peut bêtement penser qu’après sa chute flagada devant ce public select qu’il a solennellement invité pour inaugurer le forum sur l’investissement en Guinée, le Président Condé devrait avoir d’autres chats à fouetter. Mais le voici qui s’attaque à une presse qui l’avait soutenu quand il en avait fort besoin. Rassurez-vous ! Aucun homme ou femme de médias digne de ce nom n’a pensé à un quelconque retour d’ascenseur, puisque nous n’avons fait que notre devoir sacré, celui de défendre la liberté à tout prix. Mais puisque quelque 20 ans après, le même Alpha s’érige en obstacle principal pour combattre les valeurs au nom desquelles on le défendait, il faut bien que l’on nous comprenne quand nous parlons d’ingratitude. Encore que le terme s’avère des plus lénifiants.

Le 24 février 2021, Alpha dit ceci quasi gratuitement: « Les journalistes français ne respectent pas les chefs d’État africains. Moi, je n’accepte pas qu’on me manque de respect. On doit se comporter avec moi comme on le fait avec le président français. Ce que tu ne peux pas faire avec le président français, tu ne le feras pas avec moi. C’est pourquoi, RFI et France 24 racontent ce qu’ils veulent. »

L’ancienne directrice générale de RFI, Geneviève Göetzinger, qui sait de quoi elle parle, n’a pas manqué de tweeter : « La différence entre vous et un président français, c’est qu’un président français respecte sa constitution et n’envisagerait pas un instant de la violer pour s’arroger un troisième mandat. La différence entre vous, c’est aussi qu’un président français respecte la liberté de la presse. »

Nathalie Yamb, journaliste suissesse d’origine camerounaise, très active dans la société civile africaine, d’y ajouter : « Le président français ne fait pas tuer des centaines de civils ni arrêter des centaines d’opposants pour se maintenir au pouvoir. Seuls 37% de la population guinéenne sait lire et écrire après tes 10 ans au pouvoir et tu veux qu’on te respecte ? Tais-toi et va construire ton usine de bonbons. »

Me Mohamed Traoré, ancien bâtonnier de l’ordre des avocats, choisit le mot juste pour crever l’abcès: « Lorsque la presse occidentale usait de tous les mots pour dénoncer le régime de Conté et pour servir de porte-voix à ses opposants, ceux-ci ne parlaient pas de « manque de respect pour lui ou pour les présidents africains ». Maintenant, on est allergique à toute critique; on rejette aujourd’hui tout ce qu’on faisait subir au Général Lansana Conté. Tout semble être totalement oublié.»

Devant cette déception « globale et multiforme», l’on est en droit de rappeler deux choses bien regrettables. La première est une image. Après dix ans au pouvoir, Alpha Condé, produit authentique de la Sorbonne, se compare désavantageusement à El Dadis. Quand on écoute le président guinéen parler des relations de son homologue français avec les médias, on ne peut pas ne pas revoir en filigrane à la RTG, le capitaine Moussa Dadis Camara rappeler à l’ambassadeur d’Allemagne que lui, Dadis, il est « l’égal de Merkel. » Après que le diplomate allemand a pris la parole en tant qu’«ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République Fédérale d’Allemagne et de l’Union Européenne en Guinée…»

La seconde déception revêt la forme d’une ignorance. Ou d’une ingratitude. Si ce ne sont les deux à la fois. Quand, au début de la dernière décade de juillet 1999, Jacques Chirac a rendu une visite officielle à la Guinée du Général Lansana Conté, les journalistes guinéens ont été interdits de parole lors de la conférence de presse tenue au ministère des Affaires étrangères. Cette sage décision des autorités guinéennes qui ne souhaitaient pas entendre parler d’Alpha Condé, alors en prison, a été transmise par la voix encore audible de Moussa Solano, le ministre de l’intérieur qui abritait à l’époque la section des « Libertés publiques.» Les journalistes français qui accompagnaient Chirac ont demandé la parole pour essayer de la refiler à leurs homologues guinéens. Avec le succès que vous pouvez escompter.

A la dernière décade de février 2021, les splendeurs de l’hôtel Sheraton n’ont pas permis à Alpha Condé de s’en souvenir. Le pauvre !

DS