INÉDIT. Les députés français ont voté un mécanisme visant à restituer aux populations les avoirs confisqués par la justice, via de l’aide au développement.

Après la condamnation en février 2020 de Teodorin Obiang Nguema, fils du président de la Guinée équatoriale, à trois ans de prison avec sursis, 30 millions d’euros d’amende et des confiscations, la question de la restitution des avoirs confisqués en France dans le cadre des affaires de « biens mal acquis » est devenue un enjeu majeur. En effet, faut-il le rappeler, Teodorin Obiang Nguema était accusé de s’être constitué un patrimoine mobilier et immobilier de plusieurs millions d’euros en France. Le tribunal correctionnel qui a prononcé la condamnation avait souligné qu’il serait « moralement injustifié pour l’État prononçant la confiscation de bénéficier de celle-ci sans égard aux conséquences de l’infraction ». Faute de mécanisme de restitution, en l’état actuel, le droit français ne permet pas de restituer les fonds issus de la ­confiscation des biens mal ­acquis, ils sont rattachés directement en recettes au budget général de l’État français.

Combler le vide législatif

Le sujet a fait son chemin chez les élus français avec une proposition de loi du sénateur Jean-Pierre Sueur, adopté en 2019. La semaine dernière, l’Assemblée nationale française a planché sur le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire. Ce texte majeur doit revisiter les modalités de la politique de développement de la France. L’objectif pour le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian est de « faire plus et mieux », en recentrant notamment l’aide publique française sur l’Afrique subsaharienne et les dons plutôt que les prêts.

C’est dans ce contexte qu’a été introduit un mécanisme législatif qui prévoit de « restituer » aux populations, via des projets de développement, les avoirs confisqués par la justice française dans les affaires de « biens mal acquis » de dirigeants étrangers indélicats. Jusqu’ici, leurs victimes, c’est-à-dire les populations spoliées, n’en voyaient pas la couleur. Dans l’hémicycle, le secrétaire d’État Jean-Baptiste Lemoyne a insisté sur l’importance « de financer des actions de coopération et développement au plus près des populations » concernées par ces affaires de spoliation d’argent public à des fins privées.

Que prévoit concrètement le texte ?

Un rapport parlementaire des députés Jean-Luc Warsmann (LR) et Laurent Saint-Martin (LREM) préconisait déjà de renforcer l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc), en créant des antennes régionales pour mieux saisir et identifier les biens mal acquis. Dans leur rapport intitulé « Investir pour mieux saisir, confisquer pour mieux sanctionner », les députés ont plaidé concernant les « biens mal acquis » par des dirigeants étrangers en France pour un « modèle de restitution sur mesure », avec la création d’une cellule ad hoc au sein du ministère des Affaires étrangères afin de « mettre en œuvre un mécanisme de réaffectation sociale des BMA » via le financement de projets de développements par l’Agence française de développement (AFD) « au profit des populations victimes de corruption internationale ».

Des amendements ont été déposés pour faire figurer dans la loi une procédure de restitution des biens mal acquis, confisqués par la justice, via justement de l’aide au développement. Ces amendements de la majorité ont été adoptés en première lecture du projet de loi de programmation sur le développement. En les soutenant, le gouvernement a promis la création d’une ligne budgétaire spécifique. Les recettes proviendraient de « la cession des biens confisqués aux personnes définitivement condamnées pour blanchiment, recel ou blanchiment de recel ou d’autres infractions spécifiques du Code pénal », selon les amendements adoptés.

Vers la fin de l’impunité ?

Le rapporteur Hervé Berville (LREM) a souligné le « large consensus » sur cette « nécessité d’avancer fortement sur la restitution des biens mal acquis ». La non inscrite Émilie Cariou s’est réjouie d’« un premier pas », mais a redouté que la mesure n’ait « pas de portée normative immédiate ». Comme d’autres parlementaires, elle a aussi appelé à ce que les fonds soient « très clairement fléchés vers les populations spoliées ».

La France a longtemps fait figure de destination privilégiée pour les « biens mal acquis » de riches personnalités liées à des dirigeants politiques, notamment africains. Le 10 février 2020, la cour d’appel de Paris a condamné Teodorin Obiang, également vice-président de la Guinée équatoriale, à trois ans de prison avec sursis, 30 millions d’euros d’amende et des confiscations, pour s’être bâti frauduleusement un patrimoine considérable en France. Malabo a dénoncé une « ingérence inacceptable » de la justice française. Fin 2020, la Guinée équatoriale a été déboutée par la Cour internationale de justice, la plus haute juridiction des Nations unies, dans un bras de fer juridique entourant cette affaire. Depuis 2005, la convention des Nations unies contre la corruption a posé comme principe du droit international la restitution des avoirs détournés. Mais il faut que l’État spolié et l’État receleur se mettent d’accord.

En mars 2019, 22 affaires de biens mal acquis étaient confiées au Parquet national financier (PNF). L’an dernier, une première restitution a déjà eu lieu avec l’Ouzbékistan. Le pays avait récupéré 10 millions d’euros de la vente du duplex de Gulnara Karimova, la fille de l’ancien président Islam Karimov. Dans ce sillage, l’un des biens du fils Obiang Nguema pourrait être revendu prochainement. Il s’agit d’un immeuble situé avenue Foch et évalué à plus de 100 millions d’euros, dont la Cour de cassation doit confirmer d’ici l’été la sanction contre l’Équato-Guinéen.

Pour l’ONG Transparency International France, « les députés ont l’occasion avec ce texte de porter un coup sévère à la grande corruption internationale, en incorporant dans le droit français un mécanisme de restitution des avoirs illicites » aux populations victimes de la corruption. Mais « il faut s’assurer que la réforme aura une réelle portée normative », met en garde son président, Patrick Lefas. Des procédures judiciaires contre d’anciens ou actuels dirigeants du Gabon ou du Congo-Brazzaville à ce jour en cours. Le vote de ce texte est prévu le 2 mars, avant son examen au Sénat.

Le Point Afrique