En février 2011, le printemps arabe soufflait sur la Libye. Les Libyens réclamaient à Mouammar Kadhafi plus de liberté. Mais la contestation a très vite viré à la révolution. Un peu à travers le pays, les libyens demandaient le départ du Guide. Ils ont finalement réussi à le faire tomber, avec l’aide militaire de la coalition internationale en octobre 2011. L’espoir d’une instauration de la démocratie a laissé place à la guerre civile. Dix années sans un gouvernement pérenne, une décennie marquée surtout par les guerres qui ont fait un nombre de « victimes incalculables », d’après l’ONU.
Ce 17 février, les Libyens célèbrent les dix ans du début de l’insurrection. Mais ils n’ont en réalité pas le cœur à la fête. En 2019, le maréchal Khalifa Haftar lançait une vaste offensive contre le Gouvernement d’union nationale de Tripoli. Cette guerre a laissé des séquelles. Le sud de la capitale est toujours jonché de mines et de munitions non explosées… Les familles ne peuvent plus rentrer chez elles. La situation économique déjà désastreuse à cause de la crise financière s’est aggravée avec la crise sanitaire. Désormais, c’est Abdel Hamid Dbeibah, l’homme d’affaires choisi par une plateforme composée de 75 Libyens parrainés par l’ONU, qui cherche à rapprocher les positions.
Pour réussir à mettre en place un gouvernement d’Union nationale, le président du Conseil présidentiel Mohamed Menfi démarche les différentes factions des régions, Haftar y compris. Mais il fait face à d’énormes problèmes : « Cela posera un problème si ces nombreuses visites aboutissent à mettre sous le boisseau l’impératif de justice transitionnelle. Cela avait déjà été le cas en 2015 avant la mise en place de l’actuel gouvernement. Personne n’avait rendu de comptes sur les crimes commis depuis 2011. Mais les efforts de l’équipe Dbeibah sont louables. Il faudra voir ce qu’il en sort et comment vont se répartir les portefeuilles économiques et sécuritaires notamment », analyse Emadeddin Badi, chercheur spécialiste de la Libye, cité par Rfi.
L’autre défi majeur, c’est le partage des ressources issues du pétrole. Dès la fin de la guerre de 2011, l’est et le sud-libyens ont réclamé un bien meilleur partage des ressources et une gestion plus transparente. En 2019, selon Luis Martinez, spécialiste de la Libye, le conflit visait à contrôler les institutions du pétrole : «La bataille de 2019 de Haftar, c’était pas pour contrôler Tripoli, c’était pour prendre le contrôle de la Banque centrale et le contrôle du siège de la NOC. Tripoli en elle-même, il n’en a rien à faire, c’est plus un problème qu’autre chose. Mais s’il avait pris la Banque centrale et la NOC, il avait le circuit complet sur le plan pétrolier pour pouvoir inverser la tendance.»
Syrte, la ville natale de Kadhafi, est également au cœur de cette ‘’bataille’’. Envahi par les combattants de Daech, reprise par la brigade de Misrata, pleine d’explosifs, elle est concernée par les enjeux sécuritaires et énergétiques car non loin de là se trouvent les principaux terminaux pétroliers.
Partition du pays
Des opérations de déminage prévu par l’accord de cessez-le-feu entre les deux camps ont commencé à Syrte, mais cela ne suffira pas à ramener la paix, selon le chercheur Emadeddin Badi : «La réouverture de la route côtière entre Syrte et Tripoli est en bonne voie. Il y a eu beaucoup de communication là-dessus. Mais cela montre qu’il n’est toujours pas possible de traiter la présence des mercenaires, les forcer à se retirer. Je pense qu’à terme, on risque de voir un conflit gelé. Il sera dans l’intérêt des pays qui sont parties prenantes dans le conflit en Libye. Ce n’est pas vraiment une partition du pays. Mais ce n’est pas non plus sa réunification. Mais avec cette vision bornée, vous préparez le terrain au prochain conflit d’ordre international. Ce sera dans quelques mois ou quelques années, mais c’est le risque tant que les mercenaires seront là.»
Outre les djihadistes étrangers, il faut également régler la question des mercenaires qui combattent dans les deux camps en violation de l’embargo sur les armes décrété par l’ONU, il y a dix ans.
Avec RFI