Le fondateur de Jeune Afrique s’est éteint lundi, à Paris, il avait 93 ans. En 60 ans de carrière de journaliste, Béchir Ben Yahmed fut un grand témoin de l’Afrique contemporaine qui a côtoyé les grandes figures du monde (politique, littéraire…).

En plus d’être la Journée mondiale de la liberté de la presse, le 3 mai marquera désormais la date de la mort d’un des plus grands journalistes de notre siècle : Béchir Ben Yahmed, BBY pour les intimes. Il s’est éteint ce lundi à Paris à 93 ans, dont 60 ans consacrés au journalisme. Quand l’Afrique accède à l’indépendance en 1960, BBY fonde, à 33 ans, un média panafricain pour suivre le mouvement de décolonisation. D’où l’appellation « Jeune Afrique » pour désigner son média né (le 17 octobre 1960) des cendres de « Action » et « Afrique Action », deux hebdos abandonnés auparavant sous la pression de Habib Bourguiba, premier président de la Tunisie indépendante (1957 – 1987).

C’est la mort dans l’âme que ce dernier a vu son ministre de l’Information à 28 ans opter pour le métier d’informer alors qu’il était destiné à une prometteuse carrière politique. Quand ceux qui l’ont côtoyé lui demandaient ce qui s’était passé, BBY répondait (rapporte Jeune Afrique qui promet de publier prochainement ses mémoires) : « Il s’est passé que je ne l’ai pas voulu. Parce qu’il y a un prix à payer, que je refuse de payer. Je ne veux pas faire ce que font les hommes politiques pour avoir des voix : mendier, faire des sacrifices, des compromis qui sont des compromissions. J’en suis incapable. »

Quant à ses rapports conflictuels avec l’ancien président tunisien pour son choix, l’intéressé témoignait en 2010 : « Je suis allé voir Bourguiba pour lui dire voilà ce que je veux faire : mais je vous le répète, je veux le faire de manière indépendante. Il m’a dit : ce n’est pas pour toi ça ! Toi, tu viens avec moi…Pour dire qu’il avait adhéré, sans adhérer et moi je m’attendais juste à une neutralité bienveillante. Je dis : je ne vous demande rien, je veux juste avoir la distance nécessaire et que vous l’acceptiez ».

Béchir Ben Yahmed a dû s’éloigner de la Tunisie et de Bourguiba pour s’installer brièvement à Rome, puis définitivement dans le 16e arrondissement, à Paris (Rue d’Auteuil). « C’est terrible de commencer un journal sans argent, parce qu’on perd énormément de temps. Ça rend les choses dix fois, cent fois plus difficiles », expliquait ce dernier né d’une grande famille de cinq enfants (survivants) le 2 avril 1928 à Djerba, dans le sud de la Tunisie, d’un père commerçant.

Dans la cour des grands

De son vivant, Béchir Ben Yahmed a côtoyé les grands de ce monde : ami avec les présidents François Mitterrand, Léopold Sédar Senghor, mais surtout Alassane Ouattara, il a fréquenté le révolutionnaire argentin Che Guevara, le Congolais Patrice Lumumba ou encore le Ghanéen Nkwame Nkrumah, interviewé la figure anticolonialiste vietnamienne Ho Chi Minh, collaboré dans son journal avec des plumes célèbres comme Frantz Fanon, Kateb Yacine, Francis Kpatindé, les prix Goncourt Amin Maalouf et Leïla Slimani, mais également avec…Siradiou Diallo, opposant et fondateur de l’UPR, décédé en mars 2004. Son regret était de n’avoir pas connu notamment Nelson Mandela, écrit Jeune Afrique.

Plus vieux groupe de presse panafricain, Jeune Afrique Media Group est un grand témoin de l’évolution historique des soixante dernières années du continent dont il rend compte à travers ses différentes publications : Jeune Afrique (magazine et site internet), The Africa Report (version anglaise) et Jeune Afrique Business+. Le groupe JA, c’est aussi une maison d’édition et, depuis 2010, La Revue, « l’ultime projet » des vieux jours de Béchir Ben Yahmed. Un bimestriel francophone sur l’actualité internationale qui va bientôt fêter son centième numéro.

La même année, il cédait tous ses pouvoirs au sein du groupe à ses deux fils : l’ainé Amir (49 ans), directeur général du groupe et le cadet Marwane (44 ans), directeur de publication, à son homme de confiance de près de cinquante ans et directeur de la rédaction, François Soudan. Jusqu’à l’année dernière, BBY a continué, malgré l’âge, de rédiger sa célèbre chronique « Ce que je crois ». La dernière parue en mars 2020 était intitulée « L’année du coronavirus » : cette pandémie qui lui portera hélas, un an plus tard, le coup de grâce. Comme tant d’autres célébrités.

Diawo Labboyah Barry