Le 29 avril, Alpha Condé a nommé Tibou Kamara porte-parole du gouvernement, cumulativement à ses fonctions de ministre d’Etat conseiller personnel à la Présidence, ministre de l’Industrie et des PME. Dans cette première partie de la longue interview que le nouveau promu a accordée à La Lance, Tibou évoque sa vieille amitié avec Alpha Condé, leur brouille entre 2010 et 2015, ses relations avec Cellou Dalein Diallo affectées par la bataille pour (ou contre) le troisième mandat.
La Lance : De retour en exil à l’occasion de l’investiture du président Alpha Condé, vous disiez que vous n’êtes pas obsédé par le pouvoir mais aujourd’hui vous êtes au cœur du pouvoir Condé. Comment expliquez-vous votre ascension ?
Tibou Kamara : Je pense que le plus important, quelle que soit la position qu’on occupe, c’est d’être utile à son pays tant qu’on peut le servir. Le chef de l’Etat a décidé de me confier différentes responsabilités. Il est important d’honorer et de mériter cette confiance en s’acquittant des différentes tâches qu’il m’a confiées, avec loyauté pour obtenir le résultat attendu. Je me battrai pour y arriver.
Vous êtes considéré comme l’un des plus proches du président avec qui il échange de manière détendue. Vos relations ne sont pas nouvelles…
J’ai connu le président Alpha Condé lorsqu’il était leader politique, le président du RPG et moi journaliste. Nous nous sommes fréquentés longtemps avant son avènement au pouvoir, durant une période difficile de sa vie pendant laquelle il avait très peu de rencontre et de contacts avec beaucoup de Guinéens. Nous avons construit une relation de confiance et d’estime. C’est l’occasion pour moi de dire que ma relation avec le président est ancienne et ne tient pas à sa fonction de président de la République. Heureusement d’ailleurs. A l’époque, personne ne pariait sur un destin présidentiel. Le combat était difficile et l’objectif paraissait lointain, j’ai cultivé les meilleures relations avec lui pendant cette période difficile.
Est-ce que c’était la période de son incarcération ?
Non bien avant, lorsqu’il était dans le combat politique. C’était le début de la démocratisation dans notre pays. Nous n’avions pas encore atteint ce niveau de compréhension de la démocratie et d’expression des droits et des libertés. On était vraiment au balbutiement de la démocratie en Guinée. Vous pouvez imaginer les difficultés liées à cet apprentissage. Jusqu’à présent d’ailleurs nous sommes dans l’apprentissage de la démocratie avec des hauts et des bas, d’incertitude d’une société qui doit faire sa mutation vers d’autres valeurs pas nécessairement comprises par tout le monde. C’est une histoire ancienne. Nous avons eu des affinités, malgré des périodes d’incompréhension.
Justement, pourquoi vous vous êtes brouillés entre 2010 et 2015 ?
Cela peut arriver à tout le monde. Dans la vie politique, ce n’est jamais un long fleuve tranquille. Nous avons été plus souvent des amis et partenaires que nous avons été opposés.
Certes, mais dites-nous ce qui s’est passé.
Il venait d’arriver au pouvoir à l’issue d’une transition que nous avions conduite dont tout le monde n’avait certainement pas la même lecture et la même compréhension. Mais avec le recul et le temps, chacun a pu bien mesurer ce qui s’est passé et quel a été le rôle des acteurs. Je pense que ce qui s’est passé pendant la transition comme événement et situation, la lecture que chacun a pu avoir, a contribué à éloigner les acteurs et à créer les distanciations entre amis, mais le temps est le meilleur juge, le meilleur allié de chacun d’entre nous.
Votre proximité avec le Général Sékouba Konaté en a-t-elle été pour quelque chose ?
Non, on ne doit pas associer des conflits politiques à des relations personnelles ou des périodes d’incompréhension dans la vie à des conflits d’intérêt. A l’époque, chacun a fait ce qu’il croyait être utile et meilleur pour le pays, mais ce n’était pas évident et cela n’a pas été compris par tout le monde et de la même manière.
Est-ce qu’il y a eu des tireurs de ficelles derrière ?
Bien sûr ! La politique est perçue dans nos pays comme des conflits d’intérêts et de personnes. C’est ce qui l’a rendue difficile et compliquée, qui l’éloigne aussi des valeurs et des principes qui en font la force et la beauté ailleurs. Aujourd’hui, dans nos sociétés, la plus grande difficulté devant n’importe quelle situation, c’est de connaître la vérité et d’attendre de la sincérité des hommes. Le plus souvent, on se plait à opposer des amis et à créer plus de tensions entre les adversaires, parce qu’on pense que c’est dans les conflits qu’on peut prospérer. On s’imagine aussi que c’est en éliminant les personnes gênantes qui constituent une menace pour des intérêts politiques qu’on s’épanouirait davantage et réduirait les contraintes et les difficultés pour réaliser ses propres ambitions. Tous les pays sont confrontés à cela mais c’est un peu plus accentué en Guinée en raison de notre passé politique et de notre histoire, émaillés de mensonges et d’opposition entre les fils du pays pour retarder notre élan de développement. Il faut beaucoup d’expériences pour le savoir et le surmonter. Nous assistons à des conflits des personnes et d’intérêts qui minent parfois la conduite des affaires publiques et créent une distance entre des acteurs dont la vocation et l’ambition pour le pays condamnent à être ensemble et à regarder dans la même direction.
On dit que vous savez rebondir après une situation compliquée. Est-ce cela qui vous a permis de vous réconcilier avec le président ou il y a eu des artisans de ce rapprochement ?
Avant d’entamer ma carrière publique, je suis en train de suivre mon destin parce que Dieu est toujours du côté de la justice et de la vérité. Faisons bien ce que nous avons à faire, soyons utiles aux autres et loyaux envers le pays, Dieu nous départagea et le temps tranchera nécessairement en notre faveur. II n’y a pas d’autres secrets.
Au-delà de cette philosophie, comment avez-vous tourné la page ?
On s’est rendus compte que ce qui nous unit et nous rapproche est plus important. Entre lui et moi, il n’y a jamais eu d’intermédiaire. Au lendemain de sa réélection en 2015, il a adressé un message de rassemblement et de paix, pour aborder son deuxième mandat sur le signe de l’unité des Guinéens. Cela a été entendu par beaucoup, y compris moi-même. C’est lui qui a pris l’initiative de faire la paix avec tous les Guinéens et les a appelés à l’union sacrée pour se mobiliser pour le développement de notre pays. Il était convaincu qu’on ne peut rien construire sans l’union, la paix, la compréhension et même le compromis face à des questions qui divisent et fâchent certains d’entre nous.
Nous avons échangé plusieurs fois avant de nous rencontrer à Paris, lors du sommet environnemental de la COP21, si ma mémoire est bonne. À cette occasion, nous avons échangé longuement et il a été question de rentrer notamment pour participer à son investiture au cours de laquelle vous m’avez rencontré et j’estime que vous connaissez la suite.
Vous êtes également ami avec le Premier ministre. Pourrait-on parler d’un alignement de planètes favorable à votre ascension ?
Il faut d’abord dire que nous sommes dans un régime présidentiel. Seul le président élu a le pouvoir de nommer chacun d’entre nous, y compris le Premier ministre. Chacun de nous est redevable au chef de l’Etat des fonctions qu’il a bien voulu lui confier. Je n’ai pas attendu que le président Alpha Condé soit un président de la République pour être ami avec lui. Le Premier ministre aussi je l’ai connu avant qu’il ne soit là où il est. Demain, après la Primature, notre amitié continuera. Mes relations amicales ne sont pas circonstancielles. La plupart de ceux que j’ai connus, c’était avant qu’ils ne soient ce qu’ils sont. Cela est nécessaire à préciser. Je suis convaincu que l’amitié, c’est un peu les affinités qu’on peut avoir, les valeurs qu’on partage, parfois les objectifs qu’on a en commun. Cela donne plus de force et de sens à l’amitié. L’amitié c’est aussi que chacun respecte le choix et la conviction de l’autre et ne le juge pas dans ses choix et conviction. J’étais très lié au président Lansana Conté et avec beaucoup de ses ministres. Ce qui ne m’a pas empêché d’être ami au président Alpha Condé, alors principal opposant du régime. On s’est fréquenté ouvertement. Nous avons besoin de cette constance dans la vie, autre que des intérêts immédiats ou une ambition personnelle, pour construire des relations et d’estimer une confiance durable.
Comment avez-vous connu Ibrahima Kassory Fofana ?
J’ai connu le Premier ministre dans les mêmes circonstances que le président Alpha Condé : lui ministre du Budget, en 1998 et moi j’étais journaliste, comme vous. Nous nous sommes rencontrés pour la première fois dans le cadre professionnel. Nous avons développé par la suite des relations personnelles jusqu’à devenir des amis. Nous le sommes restés lorsqu’il a quitté le gouvernement et entamé sa longue traversée du désert au cours de laquelle il vivait des terribles moments de solitude, abandonné de tous. J’ai été là pour lui témoigner ma solidarité. Je pense que cela a contribué davantage à renforcer notre relation qui a résisté à toutes les épreuves de la vie.
Il semble, qu’avec son conseiller actuel Mamadou Dian Diallo, vous vous occupiez de sa communication…
Mamadou Dian avait un cabinet de communication qui prêtait ses services au Premier ministre. Quant à moi, je n’étais pas dans une fonction qui me permettait de le faire. Mais en tant qu’ami, il arrivait qu’il me consulte et que je donnais un conseil ou un avis.
Etes-vous toujours ami avec le président de l’UFDG, Cellou Dalein Diallo ?
J’ai connu Cellou, il n’était ni homme politique en tant que tel, encore moins leader politique ou opposant. Lorsque je fréquentais le président Alpha Condé, lui était déjà le principal opposant à Conté. Chacun de nous était loin d’imaginer qu’un jour il serait à la tête de notre pays et que Cellou entamerait une carrière politique jusqu’à devenir le principal opposant au président Alpha Condé. Je fais la différence entre les relations personnelles avec l’engagement et les convictions politiques. J’ai connu Cellou ministre dans le gouvernement de Conté. C’était là aussi le journaliste qui rencontrait l’officiel. Il y a eu des relations personnelles, une amitié connue de tous et pour laquelle j’ai eu à m’expliquer à maintes reprises.
Vous avez d’ailleurs était l’artisan du rapprochement entre Alpha Condé et Cellou Dalein en 2016.
C’est le rôle et la responsabilité de chaque Guinéen, tant qu’il le peut, d’œuvrer à apaiser et faciliter le dialogue, d’aider à ce qu’il y ait la compréhension dans le débat politique. Je ne crois pas que ce soit un mérite particulier, mais comme je l’ai indiqué, cela doit être la mission de chacun de nous, indépendamment de nos choix politiques. La stabilité du pays est la chose la plus importante.
Parlez-vous ces derniers temps ?
Cellou et moi, comme avec tous les autres acteurs guinéens qui comptent, le dialogue est nécessaire. Nous échangeons parfois sur des questions d’intérêt national. Si nous voulons que le pays avance, il n’y a pas de raison de se faire la guerre et de ne pas avoir un minimum de contacts. Cela ne n’implique pas qu’on change de camp politique. Nous avons l’obligation d’œuvrer ensemble pour la stabilité du pays et notre démocratie qui est perfectible.
Il a déclaré récemment que vos rapports sont plutôt distants ces derniers temps. Est-ce que à cause du troisième mandat pour lequel on vous a très impliqué ?
Je pense que ce n’est pas propre à nous deux. Depuis quelque temps, tous les acteurs sont éloignés les uns des autres (rires). Chacun a fait son choix et l’a assumé. Si cela peut constituer un facteur de division, je ne le crois pas mais de tensions, oui. Cela ne signifie pas que tout le monde est en guerre. Chacun à cette période importante de l’histoire du pays a eu à se déterminer très clairement. Je peux comprendre que cela ne soit pas du goût de certains.
Interview réalisée par
Diawo Labboyah