Faisant suite à la suppression d’un tweet du chef de l’Etat, les autorités nigérianes ont suspendu Twitter dans tout le pays. Au-delà du réseau social visé, les médias sont aussi attaqués et menacés comme le soulignent les journalistes joints par Reporters sans frontières (RSF).

Dans les rédactions nigérianes, la décision des autorités de suspendre Twitter sur l’ensemble du territoire et pour une durée indéterminée depuis le 4 juin, passe très mal. «C’est un coup dur», admet Jide Oyekunle, journaliste au Daily Independent. Le réseau est très populaire dans le pays. Avec ses 40 millions d’utilisateurs (cinq fois plus qu’en France), c’est «une source intarissable de sujets». Un excellent moyen de prendre le pouls de la société dont sont désormais privés les journalistes. «On ne sait plus ce qu’il se passe, ce qu’il se dit», confie un peu désarçonnée Lizzy Chikpi, reporter pour Order Paper un site d’information consacré à l’actualité législative.

Ironie de l’histoire, c’est sur le compte Twitter du ministère de l’information que la suspension a été annoncée. Lundi 7 juin, la commission nationale de l’audiovisuel (NBC), l’organe de régulation des médias, enfonce le clou en ordonnant aux radios et télévisions du pays de supprimer leur compte, précisant que la poursuite de l’utilisation de Twitter serait considérée comme «une attitude antipatriotique.» Une injonction qui n’a été suivie ni par le régulateur ni par les autorités, leurs comptes respectifs n’ayant pas été supprimés au moment de la rédaction de ces lignes…

Parmi les journalistes contactés, si quelques-uns affichent désormais une certaine prudence dans l’utilisation du réseau social, la plupart tentent de s’adapter malgré les menaces de sanctions. «J’ai dû installer un VPN en urgence pour accéder de nouveau au réseau», rapporte une journaliste du Premium Times, l’un des premiers quotidiens privés du pays.

Cette astuce de contournement sera-t-elle suffisante face aux velléités croissantes de contrôler beaucoup plus étroitement la liberté d’expression, notamment en ligne? «Aucune autre instance de régulation, que ce soit dans le secteur de la banque ou du monde médical n’a demandé à ses membres de supprimer leur compte Twitter», fait remarquer Samuel Ogundipe, le rédacteur en chef de Peoples Gazette, un site d’investigation qui a dû changer de nom de domaine après avoir été censuré par les autorités comme l’avait dénoncé RSF en début d’année. «Cette décision n’a rien de spontanée, elle s’inscrit dans la longue liste des tentatives de contrôler les médias et les réseaux sociaux», estime le journaliste.

La tentation du «modèle» chinois

Des inquiétudes que les récentes révélations de la fondation pour le journalisme d’investigation (FIJ) sont venues renforcer. Selon ce collectif de journalistes, une réunion a eu lieu le 5 juin, moins de 24h après l’annonce de la suspension de Twitter, entre la présidence nigériane et l’organe de régulation des médias chinois. Au menu des discussions, la possibilité pour le Nigéria de mettre en place une sorte de bouclier numérique afin de pouvoir contrôler et filtrer internet comme le fait le régime chinois. Un scénario qui fait craindre le pire pour l’avenir du journalisme au Nigéria et qui ne relève pas de la science-fiction. Déjà interrogé en octobre dernier par la commission information de l’Assemblée nationale, le ministre de l’Information Lai Mohammed avait déclaré : «lorsque nous sommes allés en Chine, nous ne pouvions pas accéder à Google, Facebook, Instagram. On ne pouvait même pas utiliser nos emails parce qu’ils font en sorte que ce soit censuré et bien régulé.» Contactés, ni ce ministre, ni son homologue de la Communication et de l’Économie numérique n’ont donné suite aux sollicitations de RSF sur ce sujet.

Le Nigéria a perdu cinq  places et occupe désormais la 120e position sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse publié en 2021 par RSF.

Reporters Sans Frontières