Alors que plusieurs journalistes ont récemment été arrêtés ou expulsés, l’autorité de de régulation vient de révoquer l’accréditation d’un média en ligne dans des conditions opaques. Reporters sans frontières (RSF) dénonce un tour de vis sans précédent contre la liberté d’information depuis l’arrivée au pouvoir d’Abiy Ahmed.
La lune de miel entre les médias et le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed est bien terminée. Jeudi 15 juillet, plusieurs responsables d’Addis Standard, un média en ligne consulté par plusieurs millions de personnes tous les mois et parmi les plus critiques du pays, se sont rendus au siège de l’autorité des médias éthiopiens (EMA) pour y déposer l’original de leur licence. Convoqué par le régulateur pour régler «un problème d’ordre administratif», le média s’est finalement vu retirer sa licence au terme d’un rendez-vous d’une vingtaine de minutes dans lequel aucun article pouvant justifier cette décision n’a été cité.
«Nous nous réjouissions dernièrement de l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi sur les médias plus progressiste mais aucune des nouvelles dispositions applicables en cas de litige n’a été appliquée. C’est déprimant», déplore Tsedale Lemma, la fondatrice et rédactrice en chef d’Addis Standard. Le média n’a pas reçu de notification écrite l’informant de sa suspension, comme le prévoit pourtant la loi votée par le parlement en février dernier. De plus, la mise en place progressive des sanctions administratives n’a pas non plus été respectée. Le texte prévoit notamment de laisser 30 jours à un média pour retirer un article litigieux, puis le cas échéant d’imposer une amende, avant que la suspension ne soit appliquée.
L’autorité des médias éthiopiens ne s’est pas montrée plus convaincante pour expliquer sa décision. Dans un très bref communiqué, elle reproche à Addis Standard d’utiliser le terme «forces de défense» pour un groupe, le Front de Libération du peuple du Tigré (TPLF), qualifié de “terroriste” par les autorités. Depuis le mois de novembre, un conflit armé oppose l’État fédéral éthiopien à l’une de ses régions, le Tigré, dirigée par le TPLF. L’organe de régulation n’a pas répondu aux mails, messages et appels de RSF à propos de cette suspension.
«Il est regrettable que l’autorité qui est chargée de faire respecter la nouvelle loi sur les médias la foule au pied à la première occasion en prenant une sanction hâtive, non fondée et en dehors de toutes les dispositions légales prévues, déplore le responsable du bureau Afrique de RSF, Arnaud Froger. Nous appelons les autorités éthiopiennes à cesser d’utiliser le conflit dans le Tigré comme prétexte pour faire taire les voix indépendantes et critiques. Ce média doit pouvoir reprendre son activité, les journalistes emprisonnés être libérés, et les reporters être libres de travailler sans crainte de représailles.»
La couverture de ce conflit, qui a fait plusieurs milliers de morts et des millions de déplacés, est extrêmement difficile pour les journalistes éthiopiens et internationaux. RSF a récemment dénoncé l’arrestation d’une dizaine de journalistes accusés de complicité avec le TPLF. En mai, le correspondant du New York Times en Ethiopie, Simon Marks, s’était fait expulser en raison de sa couverture du conflit dans le Tigré. Une sanction inédite depuis l’arrivée au pouvoir du Premier ministre Abiy Ahmed en 2018.
L’Ethiopie occupe la 101e position sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2021.
Reporters Sans Frontières