Le 18 septembre 2001, le président Érythréen Issaias Afeworki profitait de la sidération provoquée par les attentats du 11 septembre pour transformer son pays en dictature et interdire tous les médias indépendants du pays. Vingt ans plus tard, l’Érythrée demeure un trou noir de l’information. Reporters sans frontières (RSF) demande la libération des journalistes détenus et appelle les pays partenaires de l’Érythrée à faire pression sur le régime d’Asmara pour mettre fin à deux décennies de chape de plomb sur l’information.
«Tous les journaux sont interdits, vous n’avez pas entendu la radio? » Lorsque Tedros Abraham Tsegay descend chercher Setit, le journal pour lequel il écrit depuis un an et demi, l’un des plus renommés d’Érythrée, la vendeuse lui fait comprendre que cette édition du 18 septembre 2001 à laquelle il a contribué pourrait bien être la dernière. A l’aube, un communiqué a été lu à la radio nationale. Tous les médias indépendants sont désormais interdits. Les responsables politiques qui ont signé une tribune appelant à la mise en œuvre de réformes démocratiques publiée par Setit trois mois plus tôt sont déjà recherchés. Et les journalistes suivront. Lorsque Tedros arrive à la rédaction du journal ce matin-là, la police est déjà sur place. Il n’y remettra plus jamais les pieds.
Dawit Isaak, l’un des rédacteurs les plus aguerris de ce bihebdomadaire et l’un des mentors de Tedros, est arrêté le 23 septembre. Ce journaliste suédo-érythréen est détenu au secret depuis 20 ans sans avoir été jugé. En 2005, il sera brièvement libéré pendant deux jours avant d’être de nouveau enlevé à sa famille. «Nous avons discuté une minute au téléphone, se souvient son frère Esayas. Il voulait venir me voir pour Noël en Suède.» C’est la toute dernière fois qu’il a pu lui parler.
Depuis, les informations se font rares. Et inquiétantes. En 2010, un ancien gardien de prison qui était parvenu à fuir le pays avait détaillé les conditions de détention atroces auxquelles Dawit et d’autres prisonniers étaient exposés : absence de visites, chaleur extrême, torture… Puis, plus rien ou presque jusqu’à une communication publiée il y a un mois par le groupe d’experts des Nations unies sur les disparitions forcées indiquant que le journaliste était encore vivant en septembre 2020 selon le témoignage d’une source qualifiée de ‘“crédible”.
Parmi la douzaine de journalistes arrêtés en septembre 2001, seuls trois seraient encore vivants et détenus au secret. En tout, au moins onze journalistes croupissent dans les geôles du pays sans accès à un avocat et sans qu’aucun procès ne soit prévu. Certains sont sans doute détenus dans la prison d’Eiraeiro, un lieu de détention construit spécialement pour les prisonniers d’opinion. Au-dessus de sa salle d’interrogatoire, figure cette inscription glaçante : «si vous n’aimez pas le message, tuez le messager.»
«Vingt ans après l’instauration de la dictature, l’Érythrée demeure un désert de l’information dans lequel les journalistes ont été systématiquement arrêtés, torturés, contraints de se cacher ou de fuir leur pays, déclare le responsable du bureau Afrique de RSF Arnaud Froger. Cette situation dramatique, presque unique au monde, résulte d’une politique de prédation continue au mépris de la dignité humaine la plus élémentaire. Nous exhortons les pays partenaires de l’Érythrée à accentuer la pression pour qu’Asmara libère les journalistes qu’elle détient dans des conditions atroces et fournisse au plus vite des preuves de vie de ceux qu’elle maintient au secret depuis deux décennies».
RSF continue à se battre pour obtenir la libération de Dawit Isaak et de tous les journalistes détenus en Érythrée. En octobre 2020, notre organisation a déposé une plainte pour crime contre l’humanité auprès de la justice suédoise visant huit hauts responsables politiques et sécuritaires du régime d’Asmara dont le président Issaias Afeworki considéré par notre organisation comme un prédateur de l’information.
Cette plainte a été rejetée en raison de la difficulté à conduire des investigations et en l’absence de coopération des autorités érythréennes. Des motifs qui ne sont pas acceptables selon RSF si l’on souhaite rendre justice à Dawit Isaak et ne pas laisser impunies deux décennies de crimes répétés contre le plus ancien journaliste prisonnier au monde. RSF travaille à de nouveaux recours afin que la justice suédoise revienne sur sa décision.
L’Érythrée, 180e, figure à la toute dernière place du Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF.
Reporters Sans Frontières