Après son collègue qui faisait valoir, en septembre, qu’il valait mieux des élections reportées que des élections bâclées, c’est le ministre malien des Affaires étrangères qui a laissé entendre, cette semaine, que l’échéance de février 2022 pourrait ne pas se tenir, en raison de la situation sécuritaire. La perspective d’un report des élections, au Mali, n’est-elle pas désormais une certitude ?
Étant donné le seuil de tolérance que l’Afrique de l’Ouest affiche par rapport aux coups d’État, on se demande en quoi la tenue des élections, dix-huit mois après le premier putsch, ou quelques années après le second, revêt une quelconque importance. Et pourquoi il a fallu aux dirigeants maliens procéder par approches successives, pour arriver à ce que suspectaient, depuis des mois, ceux des opposants qui ne participent pas à la conduite de cette transition.
Quant aux tiraillements avec les partenaires extérieurs, ils sont quelque peu surfaits et, avec le soutien de leurs concitoyens, ils peuvent toujours ignorer ces diktats que déplore le ministre.
Comment comprendre le calme imperturbable qu’affichent les putschistes guinéens, à qui aucun partenaire extérieur n’ose d’ailleurs, adresser quelque diktat que ce soit. Leurs décisions tombent au compte-gouttes, et lorsqu’elle ne les applaudit pas, la population les accueille avec une indifférence bienveillante, qui disqualifie, d’office, tout diktat extérieur.
Putschistes ou dirigeants élus à la régulière, il faut vraiment inspirer confiance à ses concitoyens, pour jouir de la liberté de le faire porter vers le meilleur.
Prolonger la transition n’est donc pas tabou ?
En quoi le serait-ce, sur un continent où l’on accorde dix-huit mois renouvelables à certains, douze à d’autres, et six aux Guinéens ? En vérité, si l’on considère chaque État avec ses insuffisances, la Cédéao n’a qu’une légitimité limitée, pour déclencher le chronomètre, lorsqu’un autre peuple, se relevant d’un échec, s’essaie à rebâtir son destin.
La confiance que vous inspirez à votre peuple est la voie royale de la liberté, face aux diktats de vos partenaires. Mais la liberté, c’est aussi être prêt à vivre des privations, à souffrir, lorsque les maîtres des diktats croient vous tenir par leur aide. Si l’exemple ghanéen est si emblématique de ce qu’un putschiste structuré et lucide peut réussir, c’est aussi parce que Jerry Rawlings a su faire accepter aux Ghanéens les privations, comme prix de la liberté. C’est ainsi qu’un peuple se réhabilite, par rapport à sa propre histoire.
Mais une bonne transition est aussi affaire de contenu !
Dans la mesure où elle doit mettre en place toutes les institutions prévues par la Constitution, de telle sorte que le président, élu en dernier, n’aie pas les moyens -même s’il en a la tentation-, de minimiser l’importance des contre-pouvoirs, en les privant de moyens, ou en les faisant chapeauter par des hommes à lui.
Après un coup d’État, une bonne transition doit concevoir une Constitution qui colmate toutes les brèches par lesquelles le président déchu a pu s’engouffrer pour travestir les textes et soumettre les institutions ou les adapter à son aversion pour les contre-pouvoirs. Les institutions qui équilibrent les pouvoirs du chef de l’État sont essentielles, et doivent être dotées des moyens de leur indépendance. L’ossature de la maison de l’état de droit et de la démocratie est construite pour tous, et il n’appartient pas au président de la République d’en casser les murs. Rawlings a mis onze ans pour bâtir celle de son pays.
Et tout le monde n’est pas Jerry Rawlings
Exact. Mais la seule excuse qu’un militaire puisse avoir de prendre le pouvoir est de réhabiliter une nation en péril. Et c’est à ses actes, à son attitude, à la clairvoyance de son leadership, que son peuple décidera s’il peut lui faire confiance ou pas. Mais la confiance, encore une fois, ne s’arrache ni ne s’achète. On l’inspire.