C’est à l’aéroport Mohammed V de Casablanca, ce 24 décembre 2014, que notre confrère, Abdoulaye Condé de «La Nouvelle Tribune»,  apprend la nouvelle du décès de Hadja N’Sira Condé, sœur aînée du Président guinéen de l’époque, Alpha Condé, déchu le 5 Septembre 2021, par le commandant du Groupement des Forces spéciales, le Colonel Mamadi Doumbouya. 

Dans l’avion, il profite des 3 heures de vol qui séparent la capitale économique chérifienne de Paris, pour évoquer ses souvenirs sur la défunte qui était l’exact contraire de l’opposant devenu Président. Sept ans plus tard, décembre 2021, ce témoignage-hommage semble toujours d’actualité.

Dans le vol AF 755 du mercredi 17 décembre 2014, l’état d’une vieille femme, très souffrante mais calme, tête légèrement penchée sur le côté gauche, assise entre une brave dame, qui la soutenait soigneusement et un homme debout, tous affichant une certaine inquiétude, attire l’attention de nombreux passagers et  provoque l’émotion et la prière chez beaucoup parmi eux. Dans le même vol, l’ancien ministre, le doyen Cellou Diallo, ami d’enfance d’Alpha Condé et Conseiller à la Présidence, les ancien ministres, Alpha Ibrahima Keira, Bachir Touré, Almamy Kabélé Camara, actuel vice-président de la Confédération Africaine de Football (CAF), le PDG du GBM, Antonio Souaré, président du club Horoya.

Cette femme, rendue méconnaissable par une féroce maladie face à laquelle elle perdait le combat, effectuant son dernier voyage en France à la recherche d’une santé finalement introuvable, n’était autre que Hadja N’Sira Condé, la sœur aînée d’Alpha Condé.  Et pourtant, la présence de cet homme debout, Condé Mohamed Lamine dit COMOLAM, neveu et conseiller du président Alpha Condé, aurait pu davantage fouetter ma curiosité journalistique, toujours vive, de connaitre qui est bien cette passagère dans un état insupportable.

Et pourtant, mes activités professionnelles journalistiques et les circonstances politiques des années 90-2000 de la Guinée, m’avaient donné l’occasion de faire la connaissance de celle que j’avais du mal à reconnaître ce jour. Elles avaient même permis d’instaurer, entre la sœur du leader du RPG et moi, des relations d’ordre simplement familial.

À ce titre, je peux dire que cette image de la femme, subissant le mal qui la tenaillait sans déranger ses compagnons de voyage, résume la vie de Hadja N’Sira Condé. Depuis, tout au moins, que j’ai fait sa connaissance. 

En effet, avec le temps et à force de couvrir les mouvements du secrétaire général du RPG, j’ai eu l’opportunité de découvrir la simplicité, la bravoure, l’humilité d’une femme toujours sourire aux lèvres et toujours sereine face aux épreuves difficiles et nombreuses avec lesquelles elle a été confrontée du fait de l’engagement politique de son frère, Alpha Condé.

Comme son appartement, situé au rez-de-chaussée de la maison familiale à Madina-Mafanco (ses frères Malick et Alpha, respectivement au premier et au second étage), «confisqué» et transformé en QG du leader du parti, c’est bel et bien Hadja N’Sira, plus que quiconque, qui a subi et souffert des effets et conséquences de l’opposition acharnée d’Alpha Condé au régime du feu général Lansana Conté. 

Avant et après l’instauration du multipartisme intégral avec l’agrément des partis politiques à partir du 3 avril 1992, à chacun des retours populaires et bruyants d’Alpha Condé à Conakry et lors des campagnes électorales des présidentielles de 1993 et 1998, ou encore les législatives de 1995, Hadja N’Sira Condé a souvent été confrontée aux réactions de colère que suscitent généralement les mouvements de défiance d’un opposant chez les partisans du pouvoir en place en Afrique. Sans faire la politique, elle en a fait les frais. Le leader du RPG, souvent absent, Hadja N’Sira «gardienne» du temple familial, toujours sur place contre vents et marrées, aura été le principal rempart pour Alpha Condé. Elle a été la cible exposée aux fanatiques du pouvoir que les actes ou déclarations du leader du RPG mécontentaient. 

Mais, alors que son salon servait de cadre politique privilégié au président du RPG, là où Alpha Condé aimait recevoir ses amis étrangers, ses alliés politiques, la presse et même les militants, Hadja N’Sira Condé, elle, s’exerçait toujours à calmer l’ardeur des irréductibles partisans massés dans sa cour où ils ont élu domicile et prêts à tous les sacrifices pour leur leader.  Aussi, hors des murs de la concession familiale, elle ne se lassait jamais de maintenir ou de restaurer avec les familles voisines, devenues de farouches militants du PUP, des relations de bonne qualité ayant caractérisé leurs rapports avant l’instauration du multipartisme. Regrettant, face aux uns et aux autres, que les aléas des divergences politiques entre le parti de son frère, le RPG, et celui du pouvoir, le PUP, aient dégradé et déteint à ce point le bon voisinage semé et cultivé des décennies durant par les parents ou grands-parents.

Son effort d’apaiser la situation ne se limitait pas à ces niveaux. Il s’exerçait aussi sur son frère. Souvent, elle a demandé mon avis sur telle sortie ou tel propos de son frère, avant de conseiller, en Soussou,  langue dans laquelle elle s’exprime même avec Alpha Condé : « Il faut faire attention».

Je me souviens, comme si c’était hier, de Hadja N’Sira, voulant se tenir à l’écart des discussions politiques, quand dans son salon, son frère, Alpha Condé invitait les journalistes à dîner et à échanger, elle s’enfermait dans sa chambre, quand elle ne restait pas dans la cour jusqu’à la fin de la cérémonie. Parmi les convives de l’époque du leader du RPG, je revois les défunts Aboubacar Condé, de « L’Indépendant », futur patron du  «Soleil», Sékou Amadou Condé du « Lynx-Lance », Siaka Kouyaté du « Citoyen ». Que leurs âmes reposent en paix ! Mais aussi, le malade Thiernondjo Diallo alias Bebel de «La Vérité », aujourd’hui admis dans un hôpital au Maroc, Souleymane Diallo, patron du groupe de presse «Lynx-Lance», Mamadou Dian Diallo «Pountchoun» de « L’Indépendant », Abdoulaye Top Sylla de «L’Indépendant », fondateur du  «Sud Infos», El Béchir Diallo du « Lynx » puis de « L’Indépendant », Tibou Kamara de « L’Indépendant » et futur patron de « L’Observateur », Abdoulaye Sankara alias Abou Mako de « L’Indépendant », aujourd’hui Directeur adjoint du bureau de presse à la présidence, les téméraires Ben Daouda Sylla, correspondant d’Africa N° 1, banni de la RTG, Yamoussa Sidibé, présentateur vedette du journal télévisé de la RTG, Serge Daniel de RFI…

Loin de la chose politique, Hadja N’Sira n’était pas pour autant moins proche de ses frères Malick et Alpha. Dans ses prières et dans ses relations personnelles, elle veillait afin que rien de mal ne leur arrive. Elle était également sensible à son environnement immédiat et à tous ceux qui fréquentaient ses frères, y compris les journalistes. Souvent, elle me manifestait son attachement par l’expression d’une inquiétude du genre «Condé, tu n’as pas peur ?  Ils ne t’ont pas convoqué ? Fais attention… »,  chaque fois qu’un article, signé de ma plume ou paru, d’abord, dans « L’Indépendant », ensuite dans « La Nouvelle Tribune » (quand j’ai lancé ce journal en 1999), lui paraissait dur ou trop critique. 

Égale à elle-même, l’arrestation de son frère, Alpha Condé, en décembre 1998, a été des moments de souffrance pénible que Hadja N’Sira Condé a su contenir dans la dignité, le courage et la croyance en Allah. Jusqu’à la grâce présidentielle de juin 2001. Alors que, encore dans son salon, les amis, les militants célébraient la libération de son frère, loin des lieux, elle sut garder, pour elle, la satisfaction, l’immense joie qu’on éprouve de retrouver un être cher privé de liberté plus de deux ans. C’était ça Hadja N’Sira Condé, ni paniquer ni se laisser impressionner par les événements heureux ou malheureux, une manière, pour elle, de dire que sur cette terre « tout est éphémère, que seul Allah reste le chef Suprême ». 

Imperturbable, elle a gardé sa sérénité comme si elle savait que son frère allait s’en sortir et devenir, un jour, Président de la République. L’histoire lui a donné raison et Hadja N’Sira quitte ainsi ce monde, comblée. Comblée surtout d’avoir renoué avec un voisinage et son environnement de Mafanco qui, après de longues années d’hostilité, ont soutenu son frère au deuxième tour de la présidentielle de 2010. Pour le président Alpha Condé, cette perte d’une sœur synonyme de mère, laisse un grand vide.

Qu’Allah ouvre les portes de son paradis et accueille l’âme de Hadja N’Sira Condé pour l’éternité

Abdoulaye Condé