À force de laisser chaque chef d’État libre de bafouer les droits et libertés de ses concitoyens à l’intérieur des frontières de son pays, sous prétexte de souveraineté, les dirigeants de l’Union Africaine contribuent, de fait, à l’accumulation des frustrations et des rancœurs, souvent à l’origine des conflits, des guerres, et des coups d’État.

Au Forum international sur la paix et la sécurité en Afrique, cette semaine à Dakar, Moussa Faki Mahamat, le président de la Commission de l’Union Africaine s’est interrogé sur ce que l’Afrique a fait, pour être, aujourd’hui, le continent où le terrorisme s’étend, et où les changements non constitutionnels se multiplient, presque sans coup férir. Ne doit-on pas saluer la justesse de son diagnostic et ses questionnements ?

C’est le rapport malsain de certains dirigeants au pouvoir politique qui explique les maux qu’il déplore, et aucun Africain ne lui aurait fait l’affront de penser qu’il pouvait ne pas savoir de quels maux souffre exactement le continent. D’ailleurs, dans son discours, les réponses précédaient souvent les questions. Peut-être faut-il juste se demander à quoi il sert de poser sans cesse le bon diagnostic si, au moment d’agir, les dirigeants (des États, comme des institutions) s’abritent derrière ce que lui-même qualifie de « souverainisme de mauvais aloi ». Nous avons bien compris qu’il entendait, par-là, le fait que n’importe quel dirigeant, qu’il se soit saisi du pouvoir par la force ou par les urnes, putschiste ou élu, président ou roitelet, puisse invoquer la souveraineté nationale, pour refuser d’entendre que son comportement offense les élégances démocratiques, et les droits de son propre peuple.

C’est donc au nom de ce « souverainisme de mauvais aloi » que l’on se contente de contempler des régimes verser dans les abus et les violations des droits des citoyens, faisant le lit, comme il dit, de l’insécurité, de l’instabilité, de la désespérance. Si rien ni personne ne peut obliger un dirigeant à respecter son peuple, alors, les reculs persisteront, et l’Afrique continuera de sombrer…

Qu’est-ce qui doit, précisément, changer dans le rapport des Africains au pouvoir politique ?

Les frustrations des populations et la tentation de violence qu’elles génèrent découlent des rapports, parfois mercantiles, souvent confiscatoires, qu’ont certains dirigeants au pouvoir politique. Ils s’emparent des États comme s’ils venaient d’acquérir une multinationale, au franc symbolique. Dans la précipitation, leurs familles s’octroient des monopoles indus sur tout ce qui rapporte dans le pays. Le fils, ici ; un frère, là ; la belle-famille de tel autre frère, un peu plus loin… Et un clan, sinon une famille peut ainsi truster des pans entiers de l’économie nationale. Dans ce concert de gloutonnerie, les prédateurs, en nouveaux riches, narguent avec l’aplomb de la corruption assumée une population qui, elle, s’enfonce jour après jour dans le dénuement.

Tant que le pouvoir politique sera, pour certains, la courte échelle pour rattraper tout ce qu’ils n’ont pas réussi dans une vie professionnelle honorable, les reculs que déplorent le président de l’UA se poursuivront, et il le sait !

Que peut-il d’autre, sinon établir le bon diagnostic ?

Les bons diagnostics, répétés à longueur de discours – surtout par des personnes qui détiennent une parcelle du pouvoir pour agir –, finissent par agacer, et renforcent la tentation de la violence. Peu de dirigeants africains ont le courage de rappeler fermement à l’ordre leurs pairs qui brutalisent leurs peuples et bafouent leurs droits, parfois avec la complaisance de juges qui préfèrent servir les désirs du pouvoir du moment, plutôt que la loi.

Chaque chef d’État ne peut pas faire ce qu’il veut, à l’abri des frontières de son pays, au mépris de l’Union, de la Communauté à laquelle prétend appartenir son pays. Pour les hommes, comme pour les Etats, la vie en communauté impose des règles. Et si l’Afrique, sous prétexte de souveraineté nationale, perd chaque occasion de ramener les dirigeants qui s’égarent dans la bonne voie, alors, l’Union que l’on prétend bâtir ne sera qu’une Afrique de la couardise, sans aucune chance d’espérer peser, demain, dans le concert des nations.