Les Gambiens se sont rendus en masse samedi dans les bureaux de vote pour élire leur président, vote crucial pour une jeune démocratie qui cherche à surmonter son passé dictatorial et les effets du Covid-19 sur une économie fragile.

Des files de centaines de personnes s’étaient déjà formées devant les bureaux de vote de la capitale Banjul et de ses environs avant même leur ouverture à 8H 00 (locales et GMT).

Alice Jarjue, 27 ans, qui travaille dans la restauration, est arrivée à 5H00 au marché de Manjakunda. Quatre heures plus tard, son tour est venu alors que plus de 500 personnes, hommes, femmes, jeunes et vieux, faisaient la queue sans impatience sous les halles vidées de leurs vendeurs, mais où couraient encore poules et poussins.

Après vérification de son identité, les agents de vote en tee-shirt blanc lui ont fait tremper l’index dans une encre violette indélébile plusieurs heures pour qu’elle n’aille pas voter ailleurs, et lui ont remis une bille puisée dans un sac en tissu. Elle est entrée dans l’isoloir drapé de noir et a glissé la bille à travers un tuyau dans un des bidons aux couleurs et à l’effigie de chacun des candidats, technique de vote propre à la Gambie instituée sous la colonisation à cause d’un illettrisme répandu.

Comme les autres, elle souligne l’importance du vote et espère surtout qu’il se déroulera dans le calme. «La Gambie est un pays pacifique. Il faut qu’elle le reste. Si c’est un autre qui gagne (que votre candidat), il faut le respecter ».

on de deux millions, étaient appelés à choisir parmi six candidats, tous des hommes, celui qui dirigera pendant cinq ans le plus petit pays d’Afrique continentale, qui est aussi un des plus pauvres au monde.

Il n’y a qu’un tour. Les premiers résultats pourraient être connus dès dimanche.

Le sortant Adama Barrow a affirmé sa foi dans la victoire en votant près du palais présidentiel. «Ce sera le plus grand raz de marée électoral dans l’histoire de ce pays (…) Dans 24 heures, nos électeurs feront la fête dans les rues ».

Celui qui est présenté comme son principal concurrent, Ousainou Darboe, 73 ans, venu voter appuyé sur un déambulateur à Serekunda, près de Banjul, a remercié Dieu de lui avoir «donné la force de diriger ce pays.» 

Il y a cinq ans, Adama Barrow, ancien promoteur immobilier aujourd’hui âgé de 56 ans et alors quasiment inconnu, avait déjoué les pronostics et battu le dictateur Yahya Jammeh après plus de vingt ans de régime caractérisé par une multitude d’atrocités commises par l’Etat et ses agents: assassinats, disparitions forcées, viols, actes de torture…

M. Jammeh, qui refusait de reconnaître sa défaite, a finalement été forcé à s’exiler en Guinée équatoriale sous la pression d’une intervention militaire ouest-africaine.

La présidentielle de 2021 est la première sans lui depuis 1996.

L’éventualité qu’il ait à rendre des comptes est un des enjeux de l’élection, avec la crise économique.

Adama Barrow revendique le retour des libertés, la construction de routes et de marchés, et la pacification des relations avec la communauté internationale.

Eternel second –

Ousainou Darboe, avocat défenseur des droits humains, quatre fois deuxième derrière Yahya Jammeh à la présidentielle, accuse M. Barrow d’avoir manqué à tous ses engagements pour rester au pouvoir. 

M. Barrow est revenu sur sa promesse initiale de ne rester que trois ans au pouvoir. Il a beaucoup atténué ses engagements passés à faire rendre justice aux responsables des crimes des années Jammeh.

Son parti nouvellement créé a au contraire noué une alliance avec celui de l’ancien autocrate. 

Le prochain président devra décider s’il suit ou non les recommandations d’une commission chargée d’enquête sur la période Jammeh, qui a demandé que les responsables des crimes commis à cette époque soient jugés.

Les Gambiens interrogés samedi exprimaient l’espoir que les résultats du vote soient acceptés et que leur démocratie s’en trouve consolidée. D’autres évoquaient une autre préoccupation.

Près de la moitié des Gambiens vivent sous le seuil de pauvreté. Le pays a été durement touché par le Covid-19. En dehors de l’agriculture, le pays, avec ses plages sur l’Atlantique, vivait du tourisme, dont les flux se sont taris. Les Gambiens souffrent du chômage, de l’augmentation des prix du riz, du sucre ou de l’huile, mais aussi des coupures d’eau et du manque d’accès aux soins.

Babacar Diallo, 48 ans, commerçant, est lui aussi  allé voter très tôt. «C’est très important, parce que nous voulons le changement. Les temps sont très durs.»

AFP