Le Colonel Mamadi Doumbouya, le Président de la Transition, fait de la refondation de l’Etat une priorité. Pour apporter de l’eau au moulin du Colonel, Antoine Akoï II Sovogui, le président du Conseil supérieur de la diaspora forestière, CSDF, explique ici le rôle du futur CNT (Conseil national de la transition) afin que la mission du CNRD devienne une réalité. Pour Akoï II Sovogui, «l’édification d’une nation est un processus dynamique qui consiste à faire participer tous les citoyens à l’élaboration de la cohésion sociale, de la prospérité économique et de la stabilité politique, de manière démocratique.»

Dans son message de nouvel An 2022, le Président du Comité National du Rassemblement pour le Développement (CNRD) a mis un accent sur la nécessité de refondre l’Etat guinéen et de consolider la nation. C’est une vision politique qui catalyserait un meilleur repositionnement international de la Guinée, ce pays selon Funds for Peace, figure parmi les Etats les plus fragiles du monde, depuis 2015. Ce projet à la fois de nature sociale et politique, s’il était exécuté, entrainerait la dynamique d’unification des citoyens, généralement regroupés autour d’identités ethno-régionales.

Toutefois, si le concept de cette vision est admirable, son application n’est pas aisée. Les notions « d’Etat » et de « Nation » ont des points de complémentarité, mais elles sont différentes. Dans la pratique, généralement, il n’existe pas d’Etat sans nation(s) mais il existe des nations sans Etat : par exemple, la Nation Kurde, dispersée entre quatre pays du Moyen-Orient. Un Etat est « un territoire souverain ayant des frontières reconnues par les autres Etats, qui est soumis à une autorité institutionnalisée qui le gouverne par le biais d’un système administratif qui repose sur des règles et de lois. » La « Nation » se définit comme « une Communauté humaine ayant conscience d’être unie par une identité historique, et des normes culturelles, linguistiques et/ou religieuses. »

Partant, l’Etat est une « création » humaine qui s’élabore par voie de lois faites par les législateurs. Il s’enrichit essentiellement, et de manière évolutive, par le biais de décrets et d’arrêtés qui émanent de la branche exécutive du gouvernement, en régime libéral. L’Etat est donc le produit de décisions politiques prises et exécutées par les différentes branches du gouvernement. Sa refonte est donc réalisable, parce qu’étant l’aboutissement de volontés humaines.

Par contre, les éléments constitutifs de l’identité d’une nation ne résultent pas de législations ni d’autres sources similaires. Dans les conditions normales, il n’y a pas de loi qui institue ou éteint une communauté-nation. La Nation est à la fois le produit du cours de développement sociohistorique d’une communauté et des environnements naturels et psychosociaux qui ont forgé sa culture et ses civilisations. S’il est possible d’influencer le présent du cours de l’histoire, il est impossible de changer ses trames passées. La nation est donc moins malléable que l’Etat et c’est pourquoi sa reformulation s’avère plus complexe.

Cette problématique est d’autant accentuée dans le contexte guinéen que le peuple de ce pays est composé de plusieurs « communautés-nations » qui sont reparties entre quatre régions naturelles. En fait, chacune de ces nations a sa langue et ses mœurs qui constituent son identité sociale distinctive. Par exemple, le rite de mariage chez les Bandiarankés de Koundara est diffèrent de celui qui se pratique chez les Tomas de Macenta ; la langue Lélé (Kissidougou) a son identité linguistique qui la distingue du Manon (Yomou)… Cette réalité irréversible de coexistence de diverses nations dans le même espace géographique à deux explications principales : la première serait la successive série historique de vagues migratoires de différents groupements humains dans l’actuelle Guinée. La seconde est le tracé arbitraire des frontières par les puissances coloniales britannique, française et portugaise suites aux accords de la Conférence de Berlin, entre 1884 et 1885. A la suite de quoi, les puissances européennes se sont engagées dans des expéditions débridées sur le continent africain. Sans tenir compte des frontières naturelles entre les « espaces-nations ». Cette réalité n’est pas propre qu’à la Guinée, elle l’est pour nombre de pays africains postcoloniaux. Par exemple, la Nation Yorouba est écartelée entre Nigeria, Togo et Bénin. Ainsi, la présence de la Nation Kissi entre Guinée, Sierra Leone et Libéria.

Toutefois, en Guinée, depuis 1958 les multiples nations sont en train de bâtir leur histoire commune tout le long de laquelle elles ont des amarres collectives. On citerait par exemple, le 2 Octobre et le 28 Septembre 1958, le 22 Novembre 1970, le 26 Mars et le 3 Avril 1984 et le 5 Septembre 2021, parmi d’autres. En outre, ces diverses nations ont même amorcé un subtile mouvement d’absorption de certains aspects des civilisations des unes par les autres et vice-versa. Par exemple, le contraste entre leurs modes vestimentaires n’est plus si tranchant qu’il l’était en 1940. Le peuple de Guinée, dans sa globalité, vit donc une subtile transculturation qui élargit graduellement les « Commonalités » de ses identités sociales tout en réduisant lentement leurs différences. Toutefois, il faut signaler que le point de « fusion » de normes et valeurs spécifiques aux uns et aux autres n’est pas encore atteint.

De toutes les façons, les attitudes ethnocentriques exprimées par les uns ou par les autres est l’expression d’une position mentale conséquente qu’il faudrait réorienter avec méthode. Pour ce faire, il faudrait déprogrammer les structures mentales des uns et des autres puis les reprogrammer afin de stimuler des comportements d’acceptation des uns par les autres et vice-versa. Cette reconversion multidimensionnelle pourrait se faire par voie de communications sociales et de pédagogies d’unification. Les leaders religieux devraient être mis à contribution pour cette cause noble. Concomitamment, il faudrait concevoir et enseigner un programme d’instruction civique pour tout le cycle pré-universitaire.

En conclusion, le Gouvernement devrait œuvrer au renforcement de l’Etat guinéen, comme l’entend le Président de la Transition. En fait, cette réforme relève de sa volonté politique et de ses prérogatives juridiques. C’est en fait un Etat guinéen fort qui, en endiguant l’ethno-régionalisme, stimulerait l’avènement de la NATION GUINEENE. Comme le dit la maxime de gouvernance, « le leader doit bien voir ; et le manager doit bien faire ». Le leader du CNRD a exprimé clairement sa vision. Dans cette réforme à dimension historique, le Conseil National de Transition (CNT), qui sera l’organe législatif, devra élaborer des lois et règles qui cadrent avec la perspective d’Etat nouveau. Ensuite, une fois ces lois passées et ces décrets et arêtes promulgués, en tant que gardien de ces lois, il appartiendra au judiciaire d’interpréter le droit avec impartialité et de l’appliquer avec rigueur.

L’édification d’une nation est un processus dynamique qui consiste à faire participer tous les citoyens à l’élaboration de la cohésion sociale, de la prospérité économique et de la stabilité politique, de manière démocratique. C’est pour étayer l’esprit de cette philosophie que le CNT devrait mettre tout en œuvre afin que la vision du Colonel Mamadi Doumbouya devienne une réalité. Il faut retenir que c’est seulement UN PEUPLE de Guinée UNI derrière une vision commune qui bâtirait de grands destins collectifs.

Antoine Akoï II Sovogui