La protection et la gestion rationnelle des ressources en eau demeurent un défi majeur dans la lutte contre le changement climatique. Des initiatives collectives mettant ensemble des Etats, pour intensifier la lutte, émergent de plus en plus. L’OMVS est l’une des plus anciennes, mais les défis ne manquent pas. Nous avons rencontré Sao Sangaré, Expert Hydrologue et membre de la Cellule nationale de l’OMVS-Guinée, pour parler de la situation des pays du Bassin du fleuve Sénégal.
Quelle analyse faites-vous de la situation du réchauffement climatique dans le bassin du fleuve Sénégal ?
Les changements climatiques constituent aujourd’hui un phénomène global avec de graves répercussions pour de nombreux pays. Le réchauffement climatique mondial provoque des modifications durables de notre système climatique, qui font peser une menace aux conséquences irréversibles, (PNUD, 2018).
En raison de sa situation économique, de sa forte croissance démographique et de la dépendance d’une frange importante de la population aux ressources naturelles, la sous-région ouest-africaine compte parmi les zones les plus vulnérables et subira le plus, les impacts des changements climatiques. Pour exemples, il y a la détérioration évolutive de la Langue de Barbarie à Saint-Louis (embouchure du fleuve Sénégal sur l’océan atlantique). L’océan avale de jour en jour la ville de Saint-louis. En Guinée, il y avait plus de mille cours d’eau répertoriés, actuellement, si on refait un recensement, on en trouvera moins.
En dépit des efforts faits par la recherche, les connaissances scientifiques sur les changements climatiques et leurs impacts ont encore besoin d’être améliorées. Les experts hydrologues et les institutions doivent se mettre en action, pour renforcer la recherche de solutions pérennes. Ce défi doit être relevé par l’ensemble des pays du bassin du fleuve Sénégal. Parce que le changement climatique continue d’aggraver le stress hydrique dans la quasi-totalité des Etats riverains du bassin du fleuve Sénégal.
La Guinée est appelée Château d’eau d’Afrique de l’Ouest. Quels sont les défis auxquels elle doit faire face pour qu’il n’y ait pas d’impact sur les autres pays ?
De manière générale, partout dans le monde, le changement climatique a un impact sérieux sur les ressources en eau. La Guinée avec ses multiples cours d’eaux dont certains desservent les pays de la sous-région, a d’énormes efforts à fournir pour préserver l’Afrique de l’Ouest des conséquences du changement climatique, dont les impacts sont déjà bien évidents et réels. S’engager sur les défis de protection de l’environnement est plus qu’urgent pour la stabilité politique et socio-économique et la croissance économique de nos pays. Réduire les impacts, commence par l’adaptation de ces impacts. Il y a un grand besoin de développer des stratégies d’adaptation par tous les pays de la sous-région sur la base de futurs scénarios subrégionaux, incluant des changements sur le cycle hydrologique et l’impact sur l’agriculture et la sécurité alimentaire.
Je pense notamment à la protection des berges dégradées par des gabions (mur de soutènement pour retenir la terre sur un terrain accidenté) ; des lavoirs pour les femmes au niveau des marigots et rivières, et des abreuvoirs pour les animaux. Il y a également, la réhabilitation des zones dégradées du bassin par le reboisement ; la protection des têtes de source et leur mise en défend ; l’aménagement des plaines et bas-fonds. L’autre action aussi importante, c’est la sensibilisation des riverains. Il faut les amener à quitter les coteaux pour des zones aménagées.
Ces actions doivent être menées sur tout le long du fleuve Sénégal, mais surtout en Guinée, qui se situe en amont des autres pays traversés par le fleuve Sénégal. Il doit en être de même pour les autres fleuves qui prennent leurs sources en Guinée. Donc, la protection de l’environnement et des cours d’eau est un enjeu capital pour la Guinée.
Quelles initiatives envisager pour réduire le réchauffement climatique ?
Les différentes COP (Conférence des Parties) organisées par la communauté internationale visent à trouver des accords pour réduire la production des gaz à effet de serre qui sont à l’origine du réchauffement de la planète. Il est extrêmement urgent de prendre des mesures contre les changements climatiques. La COP 26 a offert aux dirigeants mondiaux une occasion unique d’agir ensemble, pour limiter les hausses de température et les changements climatiques. Les principaux objectifs de la COP26 étaient les suivants : s’engager à atteindre des objectifs plus ambitieux pour réduire les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 ; débattre de mesures d’adaptation aux conséquences inévitables des changements climatiques ; accroître le financement de l’action climatique, en particulier pour les pays en développement.
Des progrès significatifs ont été accomplis lors de cette dernière conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (COP26) qui s’est terminée à Glasgow le 13 novembre 2021, après deux semaines de négociations entre les parties à la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC).
Parmi les initiatives clés figuraient : des engagements accrus des pays développés en faveur de financements pour aider les pays en développement à lutter contre les changements climatiques ; l’adoption de l’engagement mondial concernant le méthane ; la finalisation des règles d’application de l’Accord de Paris.
Toutefois, des efforts supplémentaires seront nécessaires dans les années à venir pour atteindre l’objectif de limitation de l’augmentation de la température moyenne à 1,5°c.
En Guinée, pour réduire le réchauffement climatique, il faut envisager des mesures de réduction de la production des gaz à effet de serre, en limitant la déforestation et en réhabilitant les zones dégradées par nos activités anthropiques. Pour cela, l’aide des pays développés est nécessaire et vivement souhaitée.
L’OMVS a pour objectif de mettre les pays ensemble, pour mutualiser leurs efforts à la gestion rationnelle des ressources en eau. Quel est le bilan après tant d’années d’existence et quel défi pour le futur ?
L’OMVS est reconnue comme l’organisme de bassin exemplaire dans le monde pour la gestion rationnelle des ressources en eau du bassin du fleuve Sénégal. L’une de ces instances qui a prévalu cette position de leader dans le secteur de l’eau, est l’élaboration de la charte des eaux du fleuve, l’organisation, 4 fois dans l’année, de la réunion de la Commission Permanente des Eaux, qui est un instrument de gestion équitable des ressources en eau dans le bassin du fleuve Sénégal. Il faut noter que la Convention relative au statut juridique des ouvrages communs du 21 décembre 1978, pour toutes les infrastructures construites dans le bassin adopté par tous les Etats membres fait partie du bilan de l’OMVS depuis sa création en 1972.
Les barrages de Manantali, Diama, Félou et Gouina déjà construits, sont une illustration de ce bilan élogieux de l’OMVS. La construction de ces barrages a permis la mise en place de cinq sociétés de patrimoine de l’OMVS, pour la Gestion de l’énergie de Manantali, Félou (SOGEM), de gestion de l’eau de Diama (SOGED) et la SOGENAV, pour la navigation sur le fleuve de Saint-Louis au Sénégal à Ambédédi au Mali.
De même, il est prévu la construction en Guinée des barrages de Koukoutamba, Boureya et Balassa. En prélude à la réalisation de ces ouvrages, la Société de Gestion de Ouvrages du Haut Bassin du fleuve Sénégal (SOGEOH) est créée en Guinée depuis 2015.
Il y a 20 ans, l’OMVS a adopté une charte des eaux. Que retenir de son exécution ?
La Charte des Eaux adoptée le 28 mai 2002, a pour objet de fixer les principes et les modalités de la répartition des eaux du Fleuve Sénégal entre les différents secteurs d’utilisation (Energie, Agriculture, Transport, Pêche, etc.) en tenant compte des usages domestiques; de définir les modalités d’examen et d’approbation des nouveaux projets utilisateurs d’eau ou affectant la qualité de l’eau; de déterminer les règles relatives à la préservation et à la protection de l’environnement, particulièrement la faune, la flore, les écosystèmes des plaines inondables et des zones humides; de définir le cadre et les modalités de participation des utilisateurs de l’eau dans la prise des décisions de gestion des ressources en eau du Fleuve Sénégal.
Cette charte s’applique à l’ensemble du bassin hydrographique du Fleuve Sénégal, y compris les affluents, les défluents et les dépressions associées. Toute répartition des eaux entre les usagers est fixée par la Commission Permanente des Eaux et soumise au Conseil des Ministres pour approbation, en prenant en considération, la disponibilité de la ressource et en intégrant la coopération sous régionale et la gestion intégrée des ressources en eau.
Interview réalisée par Asmaou Barry