Le Président de la Transition, le colonel Mamadi Doumbouya, a offert vendredi 7 janvier 2022, un déjeuner de vœux à la famille des médias nationaux et internationaux accrédités en Guinée. Une grande première que pourraient retenir les historiens et les écrivains intéressés par l’évolution des rapports entre nos hommes d’État et la classe politique d’une part, et les médias de l’autre. À cette solennelle occasion, le Colonel Mamadi Doumbouya a accepté la revalorisation de la subvention annuelle accordée par l’Etat aux médias.  Cette annonce du président de la Transition coïncide, presque jour pour jour, au 21ème anniversaire, le mardi 9 janvier 2001, de l’institutionnalisation par le président Lansana Conté et son ministre de l’Économie et des Finances de l’époque, Cheick Amadou Camara, du principe de la subvention.

Aussi loin en profondeur que l’on fouille, il sera difficile, sinon impossible de retrouver dans les archives de l’Etat guinéen une cérémonie de vœux entre un président en exercice et les hommes et femmes médias nationaux et internationaux. Cela ne veut pas dire que les prédécesseurs de l’actuel chef de la junte étaient hostiles à la presse, loin s’en faut. Mais cet acte nouveau pourrait ouvrir une fenêtre supplémentaire dans les relations entre les médias guinéens et le pouvoir. Nul besoin de préciser que les leaders politiques Sidya Touré, président de l’UFR, Cellou Dalein Diallo, président de l’UFDG ou Alpha Condé, secrétaire général puis président du RPG, dans leur stature d’opposants ou hommes politiques, ont souvent organisé des cérémonies de vœux à la presse. Parmi eux, seul l’ancien président de la FEANF a exercé le pouvoir au plus haut sommet de l’Etat. En 11 ans de règne, le président Alpha Condé a reçu, certes, une fois les médias à dîner au Palais Sékhoutoureyah, mais jamais dans le cadre des vœux traditionnels de nouvel an que le leader du RPG avait institutionnalisé à sa résidence de  Mafanco, Madina,  dans ses années de plomb 90-2000.

Lors de la cérémonie de vœux du 7 janvier dernier au Palais Mohamed VI, le Colonel Mamadi Doumbouya a annoncé la revalorisation de la subvention annuelle accordée aux médias privés par l’Etat guinéen. Cette mesure d’oxygénation des pauvres caisses de ceux-ci, en cette période de toutes les crises, tombe 21 ans presque jour pour jour après la réunion décisive de formalisation, le 9 janvier 2001, du principe d’octroi de cette subvention.

Au cours de cette réunion tenue ce jour dans son bureau avec doyen Souleymane Diallo du Groupe Lynx-Lance, Abdoulaye Condé de la Nouvelle Tribune, Tibou Camara de L’Observateur,  Sanou Kerfalla Cisse du Diplomate, le ministre de l’Économie et des Finances de l’époque, Cheick Amadou Camara, a annoncé un geste personnel de 300 millions de francs guinéens du Président Lansana Conté aux patrons de journaux que nous étions. Après les sincères remerciements que suscite forcément une telle faveur à l’endroit du bienfaiteur, le doyen Souleymane Diallo, au nom du groupe, a formulé le souhait de voir ce  don personnel du président Lansana Conté » prendre la forme « d’une subvention institutionnalisée de l’État, » à inscrire dans la loi de finances 2001  qui, à cette date du 9 janvier, n’était pas encore adoptée par l’Assemblée nationale. La proposition a été acceptée très facilement par le Général Lansana Conté qui a demandé au ministre Cheick Amadou Camara d’œuvrer dans ce sens en lui recommandant de travailler sur la procédure de règlement de la nouvelle dépense. Initialement, la subvention devrait être versée directement dans les comptes des ayants-droit, c’est à dire les journaux privés écrits, bénéficiaires. A l’époque, il n’y avait ni radio ni site internet, encore moins, de télévision privées. Mais, un simple hasard de circonstances a détourné le payement direct vers le CNC, le Conseil National de la Communication de l’époque.

En effet, lors d’une réception à l’ambassade de la République Populaire de Corée à Belle-vue, quelques jours seulement après la réunion dans son bureau, le ministre Cheick Amadou Camara nous informe, en présence du doyen Émile Tompapa (Paix à son âme) de cette instruction présidentielle et du virement dans les jours suivants du montant dans les comptes de tous les journaux existants. Aussitôt, président du CNC qu’il était, le doyen Émile Tompapa demande au ministre des Finances de lui confier cette responsabilité en faisant transiter le montant dans les comptes bancaires de son institution. Le CNC se chargerait de la répartition sur la base des critères, notamment de régularité, de respect des lois et textes en vigueur, du nombre d’employés etc.

Malgré les tentatives de dissuasion du ministre des Finances, le président du CNC a fait prévaloir son statut de doyen ; « le jeune frère » finit par céder. C’est ainsi que le CNC, a été impliqué dans l’opération de répartition de la subvention. Il faut rappeler que Cheick Amadou Camara, grand commis de l’État, non moins militant engagé du PUP,  nommé ministre de l’Économie et des Finances le 20 janvier 2000, s’étonnait devant certains directeurs de médias qu’il rencontrait, de voir les opposants de l’époque (Bâ Mamadou,  Siradiou Diallo, Jean Marie Doré, Alpha Condé, Sidya Toure  Touré etc.) à la UNE des journaux. Mais, disait-il en substance : « je ne comprends pas que ces opposants soient toujours dans vos journaux pour attaquer, insulter le président Conté et le gouvernement.  Est-ce à cause de l’argent » ? Ceux-ci  de répliquer en expliquant au ministre que le journalisme est également une activité libérale, économique, et comme toute activité commerciale nécessitant de mettre sur le marché des produits consommables, des articles de bonne qualité, elle a également l’obligation de proposer à ses clients, ses lecteurs, les produits digestes, des articles crédibles et des points de vue de toutes les sensibilités, sans injures ni diffamation, bien entendu. Mais, sa propre perception l’a amené à prendre l’initiative et à démarcher le président Lansana Conté dans le sens du don initial.

Aujourd’hui, devoir de mémoire et honnêteté intellectuelle obligent, la décision de revalorisation de la cagnotte du Colonel Doumbouya coïncidant avec le 21ème anniversaire de l’institutionnalisation de la mesure, appelle à rendre à César les honneurs qu’il mérite en remerciant feu le président Lansana Conté (paix à son âme) et en lui rendant hommage. Ensemble avec les ministre Ibrahima Kassory Fofana qui avait contribué à initier les premières démarches et Cheick Amadou Camara qui les a vu aboutir. Aussi à Souleymane Diallo qui exprima l’idée de l’institutionnalisation de cette subvention.

C’est l’occasion de rappeler également que le Président Lansana Conté a énormément contribué à la promotion des femmes et des hommes de médias : Emmanuel Katty, Émile Tompapa, Justin Morel Junior,  Cheick Fantamady Condé, Mamadi Condé, Hadja Aissatou Bella Diallo, Boubacar Yacine Diallo, Issa Condé, Alpha Camara, Mamadouba Diabaté, Tibou Kamara qu’il a promus directeurs nationaux, ambassadeurs, ministres, présidents d’institutions.

Si les statistiques montrent que de tous les présidents guinéens, c’est bien le Général Lansana Conté qui demeure, à ce jour, le plus grand promoteur des acteurs de la profession, on peut également affirmer sans risque d’être contesté que le Responsable Suprême de la Révolution a été le plus proche de la profession elle-même. Directeur politique du Journal Horoya, le  président Ahmed Sékou  Touré définissait la ligne éditoriale et suivait de près l’orientation politique des articles, même d’ordre culturel ou sportif, paraissant dans l’hebdomadaire du Parti-Etat. Il avait également un œil plus  que regardant sur l’élaboration des programmes de la Voix de la Révolution (Radiodiffusion et Télévision Nationale) et une oreille pointue dans l’écoute des journaux parlés et des émissions. Ainsi, le dimanche 13 décembre 1976, au lendemain de la défaite du Hafia Football Club en finale de la Coupe d’Afrique des Clubs Champions au stade du 5 juillet 1962 face au Mouloudia d’Alger, il appelle dans les studios et ordonne la suspension jusqu’à nouvel ordre des émissions sportives sur les antennes de la RTG au moment où, après le jingle de lancement, Oumar Dieng s’apprêtait à livrer le sommaire. Il a fallu la victoire, en février 1977,  du Syli National contre le Black Star du Ghana (3-0) en match d’appui à Lomé pour que la sanction soit levée à la grande satisfaction du public sportif. 

Son intérêt pour la presse était singulier. Le Directeur général de la RTG était un de ses proches collaborateurs de tous les instants, présent à toutes les cérémonies au Palais et dans tous les voyages présidentiels. Dans cette logique, il a également contribué au renforcement de la notoriété professionnelle de certains et à la promotion administrative d’autres : Cheick Chérif, Ansoumane Bangoura, Oumar Diabaté, Amara Kaba, Bouba Camara, Kandet Oumar Touré, Bamboun Kaba, Abdoulaye Soumah “Pablito”, Modi Sory Barry, Emmanuel Katty, Hadiatou Sow. La liste n’est pas exhaustive.

Les différents successeurs du premier président de la Guinée ont, de leur côté, manifesté à leur manière, de l’égard pour les femmes et les hommes qui exercent la profession. Le capitaine Moussa Dadis Camara, très amoureux du petit écran, a promu des journalistes à des fonctions de ministre, de président d’institutions, de conseiller et s’y est fait des amis : Justin Morel Junior, Cheick Fantamady Condé, Abdoulaye Condé, Tibou Camara, Jean Raymond Soumah, El Hadj Thierno Mamadou Bah, Ibrahima Ahmed Barry, Alpha Kabinet Doumbouya, Yamoussa Sidibé et j’en passe.

Le Général Sékouba Konaté, plus attentif aux médias en ligne, a adopté Tibou Kamara et en a fait son éminence grise. Le chroniqueur politique, Ibrahima Sory Diallo DBeck, Thiernöo Balla Yimbering Missidè Diallo des Nouvelles de Guinée, étaient aussi des journalistes proches compagnons du président de la Transition  de 2010 qui a vu l’arrivée du président Alpha Condé au sommet de l’État. Même si Tibou Kamara était devenu l’un des hommes de premier ordre de son pouvoir, Alpha Condé n’a  pas eu la même attention pour la presse guinéenne que celle qu’il a manifestée en tant qu’opposant le plus en contact et le plus relayé par celle-ci.

Outre les “pionniers” exerçant au sein des  Groupes Lynx-Lance de Souleymane Diallo, l’Indépendant, l’Independant-Plus d’Aboubacar Sylla, dont Tity Faye, feu Aboubacar Condé, feu Mamadou Dian Pountchoun Diallo, feu Sékou Amadou Condé, feu Gassimou Magassouba, Albassirou Diallo, Abdoulaye Top Sylla, Bamba Bakary Gamalo, Benn Pepito, Mamadou Aliou  Barry, Sékouba Savané, Bintou-Fodéba Dioubaté, des signatures comme Aboubacar Sakho, Sacko Mamadou, Abdoulaye Youlaké Camara, Sékou Amadou Cissoko, Naby Moussa Camara, Ibrahima Sory Traoré, Alpha Abdoulaye Diallo et bien d’autres ont également mouillé l’encre à la diffusion des activités de l’opposant à défaut d’être des militants régulièrement recensés. Même le bureau de presse a semblé perdre ses lettres de noblesse malgré le dévouement   de ses directeurs, Moussa Cissé et Abdoulaye Sankara, Abou Maco.

Président de la République, Alpha Condé a plutôt privilégié la presse étrangère en adoptant et en accordant toutes ses primeurs à François un Soudan de JA, celui là-même qui, lors des présidentielles de 1993 et de 1998, a toujours décroché de gros marchés de communication auprès du Général Lansana Conté, candidat du PUP, chanté les louanges du président-candidat, méprisé ceux de l’opposition dont le même Alpha Condé. La moisson, pour chacune des occasions, a été si fructueuse que François Soudan a convié les journalistes guinéens à un déjeuner à la Gentilhommière par l’intermédiaire de l’ancien rédacteur en chef  de la Radio et ancien directeur du bureau de Presse de la présidence de la  République, Mamadouba Diabaté, le concepteur de la “Semaine du Soldat” sur les ondes de  la RTG, émission destinée aux hauts faits de l’armée guinéenne, à la veille de chaque 1er novembre, date anniversaire de sa création.

Mais, autres temps, autres mœurs. Que le déchu du 5 septembre 2021 ne soit guère surpris si, demain, le même François Soudan se retrouvait dans le Palais de son tombeur, le  Commandant des Forces Spéciales devenu depuis président de la nouvelle Transition guinéenne. Le Colonel Mamadi Doumbouya, en 4 mois, affiche également de l’intérêt pour les médias. Avec la promotion de quelques femmes et hommes de la profession : El Hadj Thierno Mamadou Bah, Kaba Condé, Fanah Soumah, Adèle Camara, Moussa Moïse Sylla, Mohamed Sita Cissé, Souleymane Thian’nguel Bah, Mandian Sidibé,  pour ne citer que ceux-là.

Enfin, outre la revalorisation promise de la subvention, il a créé, depuis le  5 septembre, et semble garder une forme de contact digne d’intérêt pour la noble profession, d’où cet échange de vœux de nouvel an. L’histoire ne citera jamais le Colonel Mamadi Doumbouya comme le premier putschiste, le premier président guinéen, ni le premier président de la Transition, encore moins le premier président démocratiquement élu, mais elle le retiendra comme le tout premier à avoir échangé formellement et solennellement les vœux de nouvel an avec les médias. Et en tenant compte du rapport temps-actes posés, ce n’est pas rien.

Abdoulaye Condé