Une semaine après avoir annoncé un tour de vis dans les accréditations délivrées aux journalistes étrangers, les autorités maliennes viennent d’expulser un journaliste français moins de 24h après son arrivée à Bamako. Reporters sans frontières (RSF) condamne cette expulsion inédite et dénonce l’utilisation d’un prétexte administratif pour empêcher ce journaliste de travailler.
Benjamin Roger aura passé moins de 24h sur le sol malien. Le journaliste du mensuel français Jeune Afrique qui couvre le Sahel depuis une dizaine d’années a été expulsé hier soir après avoir été arrêté à son hôtel en fin de matinée lundi 7 février. Arrivé dans la nuit de dimanche à lundi à Bamako, la capitale du Mali, l’envoyé spécial du journal panafricain circulait avec un visa en règle mais les autorités lui reprochent de ne pas être accrédité pour ses reportages.
Cette accréditation était rarement exigée jusque-là. Le fait de ne pas la détenir n’empêchait pas les journalistes de travailler librement et cela n’avait jamais été utilisé comme prétexte pour les expulser. Dernièrement, les conditions d’obtention de ce document sont devenues plus contraignantes. Plus opaques aussi… La semaine dernière, les principaux correspondants de la presse étrangère ont été convoqués par le ministre de la Communication du gouvernement de transition qui leur a annoncé que les accréditations seront plus difficiles à obtenir et qu’un nouveau formulaire sera prochainement disponible pour effectuer la demande sans donner plus de précisions.
«Jamais ces dernières années, les autorités maliennes n’avaient expulsé un journaliste étranger pour un problème d’accréditation. C’est à la fois inédit sur la forme et très préoccupant sur le fond, déclare le responsable du bureau Afrique de RSF, Arnaud Froger. Dans un pays dirigé depuis un an et demi par des militaires, cette décision envoie un signal inquiétant aux journalistes. Les prétextes administratifs utilisés pour les empêcher de travailler ne trompent personne. Ils ne profitent qu’à ceux qui cherchent à empêcher les sujets d’intérêt public d’être couverts.»
Dans un communiqué transmis à RSF, Jeune Afrique à condamné une décision “injustifiée”, précisant que son envoyé spécial n’avait jamais dissimulé sa profession de journaliste lors de son entrée sur le territoire malien.
Ces dernières semaines, le climat est de plus en plus hostile pour les médias et leurs correspondants, notamment celles et ceux de la presse internationale. En janvier, dans une lettre adressée au ministère de la Communication, le “Collectif pour la défense des militaires” (CDM), un groupe de soldats réputés proches de la junte au pouvoir, avait accusé les correspondants de RFI et de France 24 d’intoxication et de désinformation et demandé le retrait de leur accréditation. Plus récemment, lors des funérailles de l’ancien président Ibrahim Boubacar Keïta, le directeur de la cellule Communication de la présidence avait publiquement qualifié certains journalistes de “menteurs” et de “manipulateurs”.
Alors que le Mali a entamé un rapprochement avec la Russie et fait venir des mercenaires de Wagner, une société privée de paramilitaires russes, la multiplication de ces menaces et de ces pressions n’est pas sans rappeler ce qui avait été observé lors de l’arrivée des Russes dans les sphères politique et sécuritaire de la République centrafricaine (RCA) à partir de 2018. Des campagnes de désinformation visant notamment la France et les journalistes français s’étaient alors multipliées, notamment sur les réseaux sociaux et dans certains “journaux”.
Le Mali occupe la 99e place sur 180 au Classement mondial de la liberté de la presse 2021 publié par RSF.
Reporters Sans Frontières