GENÈVE (15 août) – Un expert de l’ONU a salué aujourd’hui les mesures prises pour rétablir l’ordre constitutionnel et le retour à un régime civil au Mali, mais a exprimé de graves préoccupations quant à la résurgence de la violence extrémiste et à la détérioration rapide de la situation des droits humains dans le pays.

« La détérioration de la situation sécuritaire au Mali a un impact considérable sur la protection des droits humains et la situation humanitaire », a déclaré Alioune Tine, expert indépendant des Nations unies sur la situation des droits de l’homme au Mali.

Dans une déclaration publiée à l’issue d’une visite de dix jours dans le pays, l’expert a noté la résurgence et la fréquence des attaques et des violences commises par des groupes extrémistes violents dans le nord du pays, dans le centre et autour de la capitale Bamako.

« Il y a un climat délétère marqué par la suspicion et la méfiance, avec un rétrécissement continu de l’espace civique, le durcissement des autorités maliennes de transition, et un malaise qui n’épargne pas les partenaires internationaux », a ajouté Tine.

Tine a appelé les autorités maliennes de transition et les partenaires internationaux à réadapter de toute urgence les réponses et stratégies sécuritaires qui n’ont pas réussi à protéger efficacement les populations civiles et leurs droits humains fondamentaux.

L’expert de l’ONU a salué les récents progrès réalisés en vue du rétablissement de l’ordre constitutionnel au Mali et de la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation de 2015, malgré des défis persistants.

« Je salue l’adoption par les autorités maliennes d’un calendrier de transition d’une durée de 24 mois, ainsi que d’un chronogramme détaillant les différentes étapes menant aux élections et au retour à un régime civil », a déclaré M. Tine.

Il a noté que la feuille de route pour le retour à l’ordre constitutionnel au Mali comprenait la promulgation d’une nouvelle loi électorale et la mise en place d’une commission de rédaction de la constitution en juin 2022.

Lors d’une réunion de niveau décisionnel sur les aspects de l’accord de paix tenue en août 2022, un consensus a été atteint concernant l’intégration de 26 000 ex-combattants dans les forces armées et les services de l’État, a déclaré l’expert.

Toutefois, Tine a prévenu que le Mali est confronté à de graves problèmes de sécurité. 

L’expert de l’ONU a déclaré que lors des discussions avec les principaux acteurs de la région de Ménaka, ils étaient dans leur très grande majorité d’accord sur le fait que la situation en matière de sécurité et de droits humains s’était détériorée de manière alarmante depuis mars 2022. « Trois des quatre cercles de la région – soit 75 % du territoire – sont sous le contrôle de groupes extrémistes violents », a déclaré l’expert.

Les violations des droits humains et atteintes à ces droits ont également augmenté de façon spectaculaire, a déclaré l’expert, la MINUSMA ayant documenté 1304 violations et atteintes du 1er janvier au 30 juin, soit une augmentation de 47,17 % par rapport à la période de six mois précédente.

« Les groupes extrémistes violents restent les principaux auteurs présumés de violations des droits humains et atteintes à ces droits au Mali, mais le nombre élevé de violations attribuées aux forces de défense et de sécurité maliennes est très préoccupant », a déclaré l’expert.

Selon l’expert, des sources crédibles ont rapporté que dans certains cas, ces violations ont été commises par les forces de défense et de sécurité maliennes, accompagnées par du personnel militaire étranger décrit comme étant des militaires russes. Il a ajouté que les autorités maliennes continuent de nier les informations selon lesquelles une société militaire privée russe opère aux côtés des forces de sécurité maliennes. Elles insistent sur le fait que les militaires russes présents au Mali sont des instructeurs militaires déployés dans le cadre de la coopération bilatérale d’État à État.

« Quel que soit le statut du personnel militaire étranger, le Mali doit, conformément à ses obligations internationales en matière de droits humains, agir avec la diligence requise pour prévenir, enquêter et punir les violations des droits humains et atteintes à ces droits, qu’elles soient perpétrées par l’État ou par des tiers, y compris des individus, des sociétés ou d’autres entités, ainsi que des agents agissant sous leur autorité », a déclaré Tine.

Le Mali doit également veiller à ce que les victimes reçoivent des réparations justes et efficaces pour le préjudice qu’elles ont subi, a déclaré l’expert.

Tine a exhorté les autorités maliennes à accorder aux organisations et institutions nationales et internationales l’accès aux zones où des violations des droits de l’homme et atteintes à ces droits ont été commises, afin qu’elles puissent enquêter de manière indépendante et rendre compte des situations.

« J’ai été particulièrement choqué d’avoir vu de mes propres yeux des victimes portant sur leurs corps les marques visibles de tortures atroces cruelles et barbares qu’elles avaient subies aux mains des forces de sécurité maliennes. Leurs témoignages étaient insoutenables », a déclaré Tine.

Il a été consterné par le rétrécissement continu de l’espace civique, y compris la censure des médias et l’autocensure des journalistes, des professionnels des médias et des acteurs de la société civile par crainte de représailles.

« Ce climat délétère a conduit plusieurs acteurs à s’autocensurer, par crainte de représailles de la part des autorités maliennes de transition et/ou de leurs partisans », précise l’expert.

Tine a recommandé aux autorités maliennes, à la communauté africaine et à la communauté internationale de maintenir un dialogue constructif pour garantir la stabilité et la sécurité du Mali, renforcer les efforts de protection de la population civile et éviter l’isolement du pays. Il a également insisté sur l’urgence de soutenir la restauration de l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du territoire malien.

Au cours de sa visite, Tine a rencontré les autorités maliennes, la société civile et les associations de victimes, les organisations non gouvernementales, les diplomates et les agences des Nations unies.

Tine soumettra son rapport annuel au Conseil des droits de l’homme en mars 2023.

FIN

M. Alioune Tine (Sénégal) a pris ses fonctions d’expert indépendant sur la situation des droits de l’homme au Mali le 1er mai 2018. Le mandat d’expert indépendant a été renouvelé par le Conseil des droits de l’homme le 1er avril 2022 pour une période d’un an afin d’aider le gouvernement du Mali dans ses actions de promotion et de protection des droits de l’homme et dans la mise en œuvre des recommandations formulées dans les résolutions du Conseil. M. Tine a été membre fondateur et président de la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme (RADDHO) et coordinateur du Forum des ONG africaines lors de la Conférence mondiale contre le racisme en 2000. Entre 2014 et 2018, M. Tine a été le directeur régional d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre. Il a publié de nombreux articles et études sur la littérature et les droits de l’homme.

Les Experts indépendants font partie de ce qu’on appelle les procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme. Le terme « procédures spéciales », qui désigne le plus grand corps d’experts indépendants au sein du système onusien des droits de l’homme, est généralement attribué aux mécanismes indépendants d’enquête et de supervision mis en place par le Conseil des droits de l’homme afin de traiter de la situation spécifique d’un pays ou de questions thématiques dans toutes les régions du monde. Les experts des procédures spéciales travaillent bénévolement ; ils n’appartiennent pas au personnel de l’ONU et ne perçoivent pas de salaire pour leur travail. Ils sont indépendants de tout gouvernement ou de toute organisation et exercent leurs fonctions à titre individuel.