Les résultats des examens nationaux, session 2022 sont tous tombés ! Ils sont tout simplement catastrophiques ; ceux des filles sont encore plus minables, reflétant ainsi toutes les entraves que la société et le système éducatif leur imposent : travaux de maison, harcèlements divers, manque de soutien spécifique :

9.37 % de réussite au Baccalauréat unique dont 2.53 % pour les filles

15.04 % de réussite au Brevet d’Études du Premier Cycle dont 6.57 % pour les filles

17.62 % de réussite à l’Examen de Fin d’Études Élémentaires dont 7.99 % pour les filles.

Tout Guinéen conscient doit se sentir concerné par ces résultats, surtout s’il a assumé des responsabilités dans le système éducatif. C’est à ce titre que j’apporte ma modeste contribution à l’analyse des causes de cet échec massif et surtout à la mise en perspective de solutions aux différents problèmes soulevés.

Le fond du problème

I           Le diagnostic

Tout système éducatif fiable repose sur les piliers suivants : les enseignants, les élèves, les salles de classe, les programmes d’enseignement, les méthodes pédagogiques, les manuels scolaires, le matériel didactique, l’encadrement pédagogique, l’évaluation des apprentissages, la formation continue des enseignants, leurs conditions de vie et de travail.

1.         Les enseignants

Ceux qui enseignent actuellement à l’école primaire publique sont censés avoir été formés dans les Ecoles Normales d’Instituteurs (E.N.I.), ou avoir intégré la fonction publique à l’issue d’une formation rapide. Quant aux écoles privées, elles emploient comme enseignants ou enseignantes, des personnes de formation disparate, rarement diplômées des ENI, le plus souvent qui apprennent le métier en enseignant.

Dans l’enseignement secondaire public, devraient enseigner les professeurs formés à l’Institut Supérieur des Sciences de l’Education de Guinée (I.S.S.E.G.) ou ceux recrutés par voie de concours parmi les candidats universitaires. Dans l’enseignement secondaire privé, on retrouve des professeurs du public et surtout des sortants d’universités sans formation pédagogique. La très mauvaise répartition des enseignants à travers le pays fait que le Grand Conakry, les capitales régionales et les chefs-lieux des préfectures sont saturés, alors que les zones rurales en manquent totalement.

La mise à la retraite massive de nombreux enseignants du primaire et du secondaire en 2021-2022 a soustrait du système éducatif un important contingent de personnes expérimentées, plus consciencieuses et plus motivées que celles qui vont les remplacer.

2.         Les élèves

Il est notoire que les élèves guinéens deviennent de plus en plus faibles. On remarque cette faiblesse dès qu’on observe leur écriture, ou qu’on les soumet à la lecture. Une conversation avec eux révèle très rapidement la pauvreté de leur langage, due essentiellement à un vocabulaire limité et surtout à la méconnaissance des règles élémentaires de grammaire. La maîtrise imparfaite du français, langue d’enseignement, constitue pour les élèves guinéens, un handicap sérieux pour leur accès aux diverses disciplines enseignées : sciences exactes, sciences de la vie et de la terre, sciences humaines… Rarement les élèves guinéens s’entretiennent librement en français. Ils préfèrent échanger en langue nationale, réduisant ainsi considérablement leur chance d’apprentissage du français oral si nécessaire. Par ailleurs, ce que les enseignants leur apprennent, c’est fondamentalement la récitation de certains résumés de cours, mais pas un raisonnement construit et argumenté. Le résultat, ce sont des élèves peut- être aptes à restituer des formules toutes faites, mais rarement capables d’innover et de développer leur propre raisonnement.

Toutes les écoles ne présentent heureusement pas le même degré de faiblesse. Certaines écoles privées, du fait de leur encadrement sérieux et efficace, de l’impact des enseignants bien formés et des effectifs par classe très limités, parviennent à maintenir un niveau acceptable.

3.         Les effectifs dans les classes

Généralement, les classes des écoles urbaines sont toutes pléthoriques, aussi bien dans le public qu’hélas et parfois dans le privé. Pour gérer les grands effectifs, on fait recours à la double vacation. Ceci est le résultat du manque notoire de construction et d’application de la règle élémentaire d’ajustement de la poussée démographique et de la satisfaction des besoins sociaux. Dans les zones rurales et semi-urbaines, les effectifs par classe sont acceptables, sauf que le manque d’enseignants entraîne très souvent le regroupement des élèves dans des classes multigrades.

4.         Les manuels scolaires et le matériel didactique

Un enseignement efficace est toujours fondé sur l’utilisation de manuels scolaires appropriés et suffisants et d’un matériel didactique adapté. Malheureusement, lorsque les manuels existent, les enseignants ne les utilisent pas à bon escient ; et partout le matériel didactique fait défaut, les enseignants, faute de connaissance, de volonté et de moyens, ne les fabriquent guère. Ils ne pensent même pas à associer leurs élèves à la recherche et à la collecte de certains supports didactiques : roches, plantes, petits animaux, divers écrits éparpillés …

5.         Les Programmes d’enseignement et les Méthodes pédagogiques

Les programmes d’enseignement conçus et diffusés par l’Institut National de Recherche et d’Action Pédagogique (I.N.R.A.P.) sont tous anciens et aujourd’hui inadaptés. Un toilettage ou une rénovation s’impose depuis longtemps ; mais, faute de moyens et de compétences, ils brillent par leur vétusté et leur obsolescence.

Il est devenu nécessaire de diversifier les filières d’enseignement pour les adapter aux besoins du monde du travail, tout comme il est impératif de rénover le contenu des programmes.

Les méthodes pédagogiques préconisées tiennent rarement compte des possibilités et des compétences des enseignants, car étant le plus souvent des tentatives de transposition de méthodes nouvelles, copiées sur l’extérieur (Pédagogie par objectifs (P.P.O) ; Approche par les compétences (A.P.C. …)

6.         L’encadrement pédagogique

Pour qu’un enseignant effectue correctement son travail et obtienne des résultats appréciables au niveau de ses élèves, il est indispensable qu’il dispose d’un encadrement rapproché chargé de le contrôler, de le conseiller et éventuellement de le sanctionner (Directeur, Conseiller pédagogique, Animateur pédagogique, Inspecteur). Depuis que les structures en charge d’inspection ne disposent plus de ressources suffisantes (moyens de déplacement, ressources humaines …), l’Inspection Générale, les Inspections Régionales de l’Education (I.R.E.), les Directions Préfectorales de l’Education (D.P.E.), les Délégations Scolaires de l’Enseignement Elémentaire (D.S.E.E.) sont devenues inopérantes. Lorsque des « inspecteurs » débarquent dans une école, c’est celle-ci qui supporte leur prise en charge (frais de déplacement, collation …) ; ce qui n’est pas loin d’une certaine corruption !

7.         L’Evaluation

L’évaluation est une étape incontournable de toute activité de formation ou d’enseignement-apprentissage. Pour mener une bonne évaluation, il est indispensable de maîtriser le concept et de savoir l’appliquer au fur et à mesure du déroulement de l’activité : évaluation critériée, évaluation diagnostique, évaluation formative, évaluation à chaud, évaluation sommative, évaluation certificative.

En Guinée, il n’est pas évident que les enseignants soient suffisamment formés sur l’évaluation des apprentissages. Malheureusement, à l’instar de toute la société, la communauté enseignante n’est pas à l’abri de la fraude et de la corruption qui constituent de nos jours la gangrène mortelle de tout système éducatif.

A l’occasion des examens de fin d’année scolaire, trop d’argent est dépensé sans que cela ne se justifie raisonnablement. En plus des milliards engagés par l’Etat et qui devraient objectivement couvrir toutes les dépenses, les structures déconcentrées ont créé des occasions malsaines pour se faire de l’argent sur le dos des élèves. Au niveau de la DPE de Coyah par exemple, les élèves sont obligés de verser de l’argent à chacune des nombreuses étapes du processus : frais de révision, dépôt de la liste électronique des candidats, photos et badges des candidats, accessibilité aux numéros de table et même retrait des attestations d’admission !

8.         La Formation continue des enseignants

La formation des enseignants est un processus qui s’étale tout au long de leur carrière. Elle débute à l’ENI, à l’ISSEG ou à l’Université et devrait se poursuivre tant que les intéressés sont en activité. En Guinée, la formation continue des enseignants a été abandonnée à la discrétion de la coopération avec les pays étrangers : intervention du Sénégal au milieu des années 80, coopération française (CPL1, CPL2, CFC, CAPL, RESAFAD, Formation des PEN-CPMF, des APES …), coopération allemande avec la GIZ (PAPEEMGUI, FIERE …), coopération japonaise, assistance de l’US-AID (NFQE …), soutien de la Banque Mondiale (Formation des PEN-CPMF, des APES, PPSE, PREFICE …).

L’idéal serait que le gouvernement guinéen finance et pérennise les expériences réussies en formation continue des enseignants menées par ces diverses interventions. Hélas, tous les projets sont enterrés dès l’arrêt des financements externes. Les enseignants formés, toujours en nombre limité et faute de soutien et de suivi, se démotivent et se font absorber par la grande masse des profanes. Pire, la plupart d’entre eux participent aux séances de formation continue plus pour percevoir les per-diem distribués par les organisateurs que pour améliorer une quelconque maîtrise de savoirs ou de compétences professionnelles. Le réinvestissement des acquis de la formation au poste de travail n’étant pas contrôlé, presque personne ne se donne la peine de se remettre en cause et d’innover. Les infrastructures et les équipements générés se désagrègent et finissent par disparaître. Ce qu’il faut le plus déplorer dans ce domaine, c’est que n’ont été impliqués que les enseignants relevant du public. Ceux du système d’enseignement privé, de plus en plus nombreux et n’ayant presque pas reçu de formation initiale, sont mis de côté. Cependant ils sont tous soumis aux mêmes tâches et doivent produire les mêmes résultats : bien former les élèves et étudiants !

9.         Les conditions de vie et de travail des enseignants

Il est indéniable que la considération et le traitement faits à l’enseignant influencent directement sa motivation, son engagement et ses résultats au travail. On sait notamment qu’un enseignant consciencieux est attaché à son travail 24 heures sur 24 : recherche documentaire, préparation matérielle lointaine du cours, préparation écrite des leçons, présence active et obligatoire en classe, toute la journée, du lundi au samedi, correction à domicile des devoirs et des cahiers, aux heures dites de « repos » …  Ces diverses contraintes constituent les raisons objectives qui empêchent l’enseignant de mener des activités parallèles pouvant lui permettre d’arrondir les fins de mois et de mieux soutenir ainsi sa famille. D’où la nécessité d’un bon traitement salarial et d’une bonne considération sociale. Ce qui est loin d’être le cas, en considérant la misère dans laquelle baignent la plupart des enseignants.

Normalement, un bon enseignement se développe en un volume horaire déterminé.  Mais lorsque le calendrier scolaire est régulièrement perturbé par des faits de grèves syndicales, de manifestations politiques ou de pandémies paralysantes, cet enseignement est nécessairement affecté et dévalué. Les mesures palliatives de rattrapage, jamais coordonnées et uniformisées ne permettront hélas pas de combler les lacunes.

El Hadj BAM,

 Inspecteur de l’Enseignement à la retraite