Fonfi ou foté, polé, pouuli, ainsi sont nommées les personnes atteintes d’albinisme en Guinée. Des gens qui crachent quand ils passent, qui refusent de s’asseoir à côté d’eux dans le taxi ou à l’école, qui refusent de leur serrer la main… A quoi ressemble la vie d’un parent ou d’une personne atteinte d’albinisme dans une société qui, à tort, les persécute et les stigmatise ?
Selon la définition, l’albinisme est une maladie héréditaire qui affecte la pigmentation et se caractérise par un déficit de production de la mélanine, la matière qui donne la couleur à la peau. Elle touche les humains, les oiseaux, les poissons, même les reptiles. Dans notre pays, les personnes atteintes d’albinisme font partie de cette catégorie de personnes vulnérables.
Vulnérabilité physique avec une peau très sensible à la chaleur et lumière du soleil qui leur donnent des taches ou des boutons sur la peau, voire des cancers. Et vulnérabilité sociale du fait de la stigmatisation qui fait que ces personnes souffrent de manque d’intégration. Être atteint d’albinisme en Guinée peut vous fermer la porte de la scolarité, du travail, des soins adéquats.
Camara M’Mah, étudiante Licence II Sonfonia dit avoir des problèmes à voir au tableau. «Je m’assois toujours devant depuis l’école primaire. Les copines se moquaient de moi, que j’étais aveugle». Elle demande au gouvernement de créer une structure sanitaire spécialisée, leur distribuer gratuitement des crèmes solaires, des lunettes et des vêtements de protection, parce qu’en Guinée, dit-elle, ce n’est pas facile d’éviter le soleil et le soleil est « notre ennemi mortel ».
Seydou Konaté habite Siguiri, réputé chaud et ensoleillé, ne trouve pas du travail :«Si tu demandes, on te dit que tu n’es pas apte à travailler. Du coup, nos enfants ne vont pas à l’école. J’ai perdu deux amis albinos suite au cancer (un en 2020 et un autre en 2021), ils n’ont pas pu se soigner faute de moyens et on ne peut avoir des moyens sans un emploi ».
Le nombre de personnes atteintes d’albinisme est de 1 600, officiellement, selon M. Mohamed Diaby, Directeur national des personnes vulnérables qui cite le recensement général de la population 2014, publié en 2017.
Ce chiffre n’est évidemment pas fiable. Rien qu’à Conakry, des dizaines de personnes atteintes d’albinisme mendient dans les rues, sous le soleil. Un véritable problème de santé, beaucoup en meurent suite au cancer. Dr Ibrahima Traoré, dermatologue à la Clinique dermatologique, explique que la peau des personnes atteintes d’albinisme est très vulnérable aux rayons UV du soleil qui favorise le cancer de la peau.
Cancer de la peau
Selon le médecin, les albinos font tous les 3 types de cancer de peau. Et ceux qui les développent ne sont souvent pas pris en charge ou sont pris en charge tardivement. Ce qui fait qu’il y a un taux « élevé de décès des albinos suite au cancer». D’un côté, ils manquent de moyens et de l’autre, le plateau technique de prise en charge n’est pas riche, souligne Dr Traoré.
Si le tableau est sombre, tout n’est pas perdu pour autant. Dr Ibrahima Traoré dit qu’on peut prévenir le cancer : éviter le soleilen portant des vêtements qui couvrent tout le corps, des chapeaux à bords larges, des lunettes de soleil, éviter de s’exposer au soleil entre 10h et 16h.
Utiliser également les crèmes solaires toutes les heures. Problèmes : ces crèmes ne sont pas vendues en Guinée ou sont trop chères, Dr Traoré plaide auprès du gouvernement de se battre pour les produire ici. Toujours dans le cadre de la prévention, il informe que sa cliniquetraite les lésions précancéreuses des albinos, « c’est si on ne les traite pas qu’elles deviennent cancéreuses ». Et les consultations sont gratuites.
Des incidents fâcheux
En Guinée, les personnes atteintes d’albinisme sont persécutées. Si cela débouche rarement à des violences physiques, il y a tout de même des incidents quasi-quotidiens et très peu sont judiciarisés. Fatoumata Touré, atteinte d’albinisme, mère de deux enfants albinos raconte qu’il y a unmois, « une dame m’a regardé et a craché ». Dame Touré a voulu la jouer douce : « Je lui ai répondu que c’est le même sang qui coule dans nos veines ; elle a craché encore. C’est très humiliant, vous savez ? »
Habitante à Petit-Simbaya, Camara Mariam Siré, mère de 3 albinos dont deux filles, témoigne que l’année dernière, une dame est venue chez elle. « Elle me dit que ma fille a fait caca, d’aller chercher une couche. Sans vérifier, je suis allée à la boutique en acheter. Mais, j’ai eu comme un pressentiment que c’était peut-être pour m’éloigner. Alors, j’ai fait vite. A peine revenue, je l’ai vu fuir avec ma fille sur son dos. Je l’ai rattrapée pour demander ce qu’elle faisait. Elle n’a pas répondu. J’ai repris ma fille et elle est partie ».
Fatoumata Lamarana Bah, de Sonfonia est atteinte d’albinisme ainsi que deux de ses sœurs. Dans la rue, dit-elle, les gens nous injurient, crachent quand on passe ou bien nous repoussent. « Ce matin (lundi 3 octobre), une dame nous a vues, ma petite sœur et moi. Etonnée, elle dit à haute voix : ehhhh, deux filles albinos. Je lui ai répondu que nous sommes toutes pareilles, elle et nous ». Mlle Bah dit qu’elle est habituée, mais que sa petite sœur Aissatou qui fait la 6è année, en est très affectée. Des copines qui n’acceptent pas de jouer avec elle, de s’asseoir avec elle, la trouvent « répugnante ».
Mody Sory Barry, enseignant résidant à Bentourayah (Coyah). Lui n’est pas atteint d’albinisme, mais pas ses trois sœurs et sa fille. Dans sa famille, deux incidents en un an ! En mars 2021, « on a été victime de cambriolage dans la chambre de ma maman. On trouve que rien n’a été emporté. Quelques jours après, on trouve une lettre adressée à ma famille sous un fauteuil au salon. Il était écrit : Famille Barry, je n’ai rien trouvé à emporter, la prochaine fois, si je ne trouve rien, j’emporterais votre benjamine albinos ». M. Barry a porté plainte contre X au tribunal de Coyah, les enquêtes sont restées « sans suite ». Si lui n’avait pas eu « peur », sa maman était « traumatisée ».
Le second incident a touché sa fille de 4 ans, à la fin de l’année scolaire 2021, quand un jeune est entré dans la cour de l’école de sa fille à Bentourayah, un petit poussin dans ses mains. « Il voulait donner le poussin à ma fille albinos, ma fille a tendu sa main pour prendre. Un petit garçon non albinos avec qui elle chemine a tapé sa main, lui intimant de refuser ».
Le jeune a insisté, le petit s’est interposé encore et encore. L’incident a attiré l’attention des autres élèves qui se sont attroupés. La maitresse de ma fille est venue dire au jeune de sortir de la cour immédiatement ». Cette fois, M. Barry n’a pas porté plainte à la justice. Il s’est mis à rechercher le jeune avec des amis à lui. Sans suite. Comme toujours, il dit n’avoir pas eu peur, mais sa femme a demandé d’éloigner sa fille de Bentourayah un moment, ce qu’il a fait en l’envoyant chez sa sœur.
Que faire pour améliorer les conditions de vie des personnes atteintes d’albinisme ?
En avril 2021, les députés guinéens ont adopté des textes de loi portant protection et promotion des droits des albinos. Théoriquement, cette loi permet aux albinos de faire valoir leur droit à l’éducation, aux soins de santé et à bien d’autres. Hadjiratou Bah, atteinte d’albinisme, présidente de l’Union pour le bien-être des personnes atteintes d’albinisme en Guinée (UBPAG) mène le combat par la sensibilisation et l’information : « Certaines personnes agissent par ignorance ».
Elle a rappelé que l’albinisme est un problème génétique qui existe chez les blancs, chez les noirs, chez les animaux. Elle sensibilise les membres et les parents qui sont membres. Au sein de l’union, ils apprennent à mieux connaître l’albinisme, à gérer pacifiquement les incidents, à comment appliquer les crèmes solaires, à comment s’habiller pour éviter le soleil, etc. A l’école par exemple, la loi autorise les élèves atteints d’albinisme à porter une tenue à manche longue, à s’assoir devant. Aux enseignants, injonction d’écrire gros au tableau ou dicter les leçons.
Mais, ce n’est pas suffisant estime Dr Moustapha Diallo, socio-anthropologue, universitaire, à lutter contre la marginalisation et l’exclusion socio-anthropologique des personnes atteintes d’albinisme qui découle à de la stigmatisation, discrimination, abandon et rejet. Ce sont des « attitudes culturelles, séculaires difficiles à s’en débarrasser » qui sont devenues des « violences symboliques », regrette l’universitaire.
Dr Diallo recommande d’insister sur la sensibilisation et l’information. Par exemple, les nommer : « personnes atteintes d’albinisme », non « albinos (c’est péjoratif) ». Et profiter de la Journée internationale sur l’albinisme célébrée le 13 juin, pour éduquer et sensibiliser, revendiquer leur droit à la vie, à la santé, au bien-être, etc. c’est peut-être là la solution.
Baly Diallo