Le 25 mai 2022 est un triste anniversaire pour la Guinée. Nous devrions fêter avec allégresse, et à double titre, l’anniversaire de l’Organisation de l’Unité Africaine, devenue Union Africaine. Parce que non seulement le Peuple de Guinée a participé à la création de cet outil d’intégration africaine à travers les actions de ses dirigeants de l’époque, au premier rang desquels l’on peut citer Sékou Touré, mais aussi et surtout l’un de ses plus brillants fils, Telli Diallo, qui a été la cheville ouvrière de la structuration de cette OUA naissante, et l’habile manœuvrier qui a rendu possible la réussite d’un grand nombre de combats initiés par les présidents africains, et exécutés avec maestria par cet homme rompu aux mécanismes administratifs supranationaux et fin diplomate agissant dans un environnement hostile dominé par les puissances coloniales de l’époque et des présidents jaloux de leur souveraineté nouvellement acquise.
Malheureusement, la Guinée a assisté, impuissante, à la rapide dérive d’un Sékou Touré présenté par une facétie de l’histoire sous le jour libérateur et d’un révolutionnaire aimé de son peuple. Il s’est vite dévoilé être un tyran sanguinaire qui a réussi la prouesse de détruire la structure sociale d’un pays jadis considéré comme la perle de l’Afrique francophone, et de faire exécuter des dizaines de milliers de ses concitoyens dans de nombreux camps de torture disséminés à travers le pays, dont l’une des plus célèbre des victimes n’est autre que le premier secrétaire général de l’OUA, Telli Diallo. A l’heure où la machine à tordre le cou à la vérité, technique dont Sékou Touré et le PDG s’étaient rendus maîtres, a repris du service, il est important de rappeler les faits à ceux qui content les « bienfaits » d’une période durant laquelle ils n’étaient pas encore nés pour la plupart, et que leurs ainés ont haï. Cette période a laissé des cicatrices indélébiles au sein de la population. Les réponses à plusieurs questions permettent de comprendre les rapports entre les deux hommes, ainsi que les conséquences de leurs interactions.
Qui était Telli Diallo ? Quelles intrigues montrent vraiment la nature des relations entre les deux hommes ? Qui a fait élire Telli en 1964 et qui l’a fait réélire en 1968 ? Quelle est la contribution de Telli à la reconnaissance de la Guinée et à l’Afrique ? Comment Telli Diallo a-t-il perdu l’élection pour son troisième mandat à la tête de l’OUA en 1972 ? Comment Sékou Touré a-t-il planifié l’exécution de Telli Diallo bien avant 1976 ? Pourquoi l’a-t-il cruellement fait exécuter ?
Quatre témoins (Barry Bassirou, Hassimiou Soumaré), à travers leurs écrits ou enregistrements (Kadiatou Diallo Telli, Kapet de Bana), ont directement contribué à enrichir nos connaissances sur la vie de Diallo Telli. Les deuxième et troisième chapitres sont extraits du livre « Hadja Kadiatou Diallo Telli – un destin de cheffe », écrit par Valérie A. N. Masumbuko, et publié aux éditions l’Harmattan-Guinée, alors que les interventions de Me Bassirou, recruté en octobre 1968 en qualité de conseiller juridique en chef de l’O.U.A., et Mr Hassimiou Soumaré, proche conseiller de Telli Diallo (de 1964, date de sa prise de fonction à 1972, date d’achèvement de son deuxième et ultime mandat), ont largement contribué à l’appréciation globale de l’œuvre de Telli Diallo. Quant à Kapet de Bana sur les raisons de l’exécution de Telli Diallo, son intervention est extraite d’une entrevue réalisée de son vivant par Tohany Onipogui et Paul Théa.
Qui était Telli Diallo ? Le cursus scolaire et universitaire de Telli a été assez spécial. Durant tout son parcours scolaire et universitaire, il a pratiquement toujours été major de sa promotion. Au concours d’entrée à l’école normale William Ponty au Sénégal il fut reçu major de sa promotion. Après l’obtention du diplôme de licence en droit en 1951 qui sanctionnait alors le cycle normal de l’université et permettait aux plus brillants des étudiants de concourir pour accéder aux grandes écoles françaises (école Normale Supérieure, école Polytechnique, école nationale des Mines…), la sélection était d’autant plus sévère que le nombre de retenus dépendait des besoins de l’administration au niveau national. Par exemple en 1957, selon Barry Bassirou, pour l’entrée à l’école nationale de la France d’Outre-Mer seules douze places étaient offertes sur concours aux étudiants de l’ensemble des colonies françaises. A la sortie de cette école, Telli a terminé major. C’était la première fois qu’un Noir était major dans l’histoire de cette grande école française. Cet événement avait fait les choux gras des quotidiens parisiens. Sa notoriété a démarré à cette époque. Malgré cela, il choisit l’option « magistrature », qui n’était pas la plus prisée à l’époque. Telli a été le seul magistrat guinéen formé par l’administration française jusqu’en 1958. D’autres guinéens ont été admis à ce prestigieux concours d’entrée dans les grandes écoles françaises, mais ils ont tous choisi des filières autres que la magistrature : par exemple, Camara Balla avait choisi l’Administration, tandis que Camara Faraban avait choisi l’Inspection du Travail. Telli est alors affecté à Thiès comme substitut du procureur de la République. Thiès était la troisième ville du Sénégal après Dakar et Saint-Louis, l’ancienne capitale. C’est là qu’il a été repéré et débauché par le gouverneur général de l’Afrique Occidentale Française, basé à Dakar, la capitale. Ce dernier le nomma à son cabinet. Telli y est resté jusqu’à ce que la France créé le Grand Conseil de l’A.O.F. dont le plus haut poste administratif était celui auquel Telli avait été nommé.
Après le vote négatif de la Guinée au référendum du 28 septembre 1958, la France a retiré tous ses fonctionnaires, laissant le pays sans personnel qualifié pour faire marcher l’Administration. C’est alors que Sékou Touré a fait appel à Diallo Telli et à Camara Balla, qui n’ont pas hésité un seul instant à tout laisser tomber pour se mettre au service de la Guinée. Tous deux ont disparu au Camp Boiro sans laisser de traces.
Le retour de Telli Diallo en Guinée est expliqué par son épouse Kadiatou : Telli se trouvait en vacances avec sa famille en France lorsque survint le référendum. Lorsque le général de Gaulle quitta la Guinée pour le Sénégal lors de son tour en Afrique de l’Ouest, Telli dut écourter ses vacances pour repartir participer à l’accueil du général à Dakar. En effet, il siégeait au grand conseil de l’A.O.F. Après le départ du Général de Gaulle, il retrouva sa famille en France et discuta de la rupture des relations entre la Guinée et la France. Il dit à sa femme :« maintenant que la Guinée a obtenu son indépendance, je vais devoir rentrer pour servir ma patrie. C’est sûr que la France nous le fera payer cher » « Et toi ? Penses-tu pouvoir arrêter cela ? » « Non, mais au moins, je peux aider le pays à contrer les attaques de la France. J’ai travaillé avec l’administration coloniale. Je sais de quoi ils sont capables, mais je connais aussi leurs points faibles ». « A ta place, je ne rentrerai pas en Guinée car ce serait dangereux pour toi », répondit-elle.
Quelles intrigues montre vraiment la nature des relations entre les deux hommes ?
Dotée d’un discernement hors pair, Kadiatou pouvait décrypter facilement les non-dits. Quand Sékou Touré nomma Telli à l’O.N.U., ce dernier y obtint l’admission de la Guinée comme 18è membre malgré l’opposition initiale de la France. C’était le 13 décembre 1958, le jour de l’anniversaire de Kadiatou. Sékou Touré lui téléphona. « Bonne fête madame Diallo, je profite de cette occasion pour vous informer que Telli vient de vous offrir un cadeau extraordinaire. »
– Ah, oui ? répondit-elle, loin de s’imaginer qu’il pouvait réduire un événement aussi important pour la nation en une histoire personnelle.
-Il a obtenu l’admission de la mission guinéenne aux Nations Unies.
– Merci Monsieur le Président, pour tous les efforts que vous avez fournis pour l’avancement de notre pays.
De même, pendant le premier rassemblement public à Conakry, le chef de l’Etat présenta la première équipe gouvernementale, ainsi que les militaires qui rentraient d’Algérie. Lorsque Sékou Touré annonça les succès de Diallo Telli à l’O.N.U., un concert d’acclamations s’éleva de la foule. Pourtant au cours du journal à la radio, les applaudissements furent coupés.
Quand Kadiatou le fit remarquer à son mari, celui-ci minimisa l’affaire car, selon lui, le reportage était trop long pour être retransmis en entier.
Le flair extraordinaire de Kadiatou lui permettait également de déjouer les pièges dans lesquels beaucoup d’autres personnes tombaient. Au cours du mandat de Diallo Telli à l’O.N.U., le ministre des affaires étrangères et le président offrirent à Kadiatou le poste de chargée des finances de l’ambassade. Telli n’y voyait aucun inconvénient, il était persuadé que cette proposition allait certainement plaire à son épouse. « Je ne peux pas prendre ce poste », déclara-t-elle, lorsqu’il le lui apprit. « Pourquoi ? » « D’abord, je n’ai pas étudié les finances, ensuite, c’est toi qui vas ordonner les dépenses, ce qui nous met dans une situation compliquée. Si les autorités guinéennes veulent nous incriminer à tort de détournement de fonds, nous ne pourrons pas nous défendre ».
Le poste échut finalement à Rosemonde, la femme d’Achkar Marof, l’attaché culturel, qui plus tard remplaça Telli à la représentation de la Guinée aux Nations Unies. Kadiatou avait bien vu. Lorsqu’Achkar Marof fut arrêté en 1971, les malversations figuraient en première position du chef d’accusation. Diallo Telli travailla deux ans à l’O.N.U., puis devint Ambassadeur à Washington pour une année, au cours de laquelle Kaba Sory lui succéda à l’O.N.U. avant d’être rappelé à Conakry. Telli revint à l’O.N.U. où il resta en poste pendant deux années additionnelles. (La fuite le 17 octobre 2022)
Par Baba Hady Maréga,
Membre du Bureau Exécutif de l’Association des Victimes du Camp Boiro