Initiales BB. Non, ce n’est pas Brigitte Bardot qui s’est vu décerner cette année le prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel, mais bien Ben Bernanke. L’ancien président de la Réserve fédérale américaine (Fed) partage cette distinction avec ses compatriotes Douglas Diamond et Philip Dybvig. Il y a, on le sait, deux types de récompenses. Celles qui couronnent des avancées théoriques majeures. Et celles qui indiquent les priorités du moment.

Assurément, le millésime de cette année, comme avant lui le prix Nobel de la paix qui a couronné deux Russes et un Ukrainien, s’inscrit dans cette dernière catégorie, au moment où bien des pays basculent dans la récession. Ben Bernanke et ses deux co-lauréats ont « significativement amélioré notre compréhension du rôle des banques dans notre économie, particulièrement durant les crises financières, ainsi que la façon de réguler les marchés financiers », a indiqué dans son communiqué officiel le jury Nobel.

« Les travaux de Bernanke, Diamond et Dybvig, qui datent de 1983, ont permis de mieux comprendre la Grande Dépression, le Graal de tous les économistes, en donnant à la théorie de Milton Friedman des fondements plus rigoureux dans les comportements individuels », fait valoir au Point Pierre-Cyrille Hautcoeur, professeur à la Paris School of Economics (PSE), lui-même spécialiste des crises. Ils ont notamment aidé à identifier les conditions menant à une panique bancaire. En clair : quand tous les épargnants veulent retirer leur argent en même temps, une banque peut faire faillite même quand ses finances sont saines. Il faut donc l’aider. « Leurs analyses sont toujours utilisées par les banques centrales. Même si plusieurs générations d’économistes les ont, depuis, approfondies. »

Douglas Diamond et Philip Dybvig enseignent toujours à l’université, le premier à Chicago et le second à Saint-Louis, tandis que Ben Bernanke est consultant – pour de richissimes fonds d’investissement américains ou encore pour le Brookings Institution, l’un des plus influents laboratoires d’idées de Washington. Au moment où le monde est secoué par une violente inflation, il peut sembler paradoxal de récompenser ce dernier. Car, précisément, la « doctrine Bernanke », mise en place pour lutter contre la précédente crise, a été le contraire de ce que les banquiers centraux pratiquent aujourd’hui. Pour faire la peau à la déflation, le président de la Fed de 2006 à 2014 a fait tourner à fond la planche à billets verts. À tel point qu’il était surnommé « Helicopter Ben » de Washington à Wall Street. Parallèlement, il a ramené les taux directeurs à un niveau plancher, les faisant passer de 5,5 % à 0 % en moins d’un an. Résultat : la crise de 2008 a été rapidement jugulée. Mais le bilan de la Fed est passé de 800 à 4 000 milliards de dollars entre son entrée en fonction et son départ.

Était-ce le prix à payer ? Certains spécialistes de la politique monétaire se sont inquiétés publiquement de la méthode au bazooka du grand argentier Bernanke. À l’instar de la grande monétariste américaine Anna Schwarz. Voici ce qu’elle écrivait en juillet 2009 dans une contribution au New York Times visant le patron de la Fed. « Pourquoi une politique monétaire accommodante est-elle un péché ? Parce que dans un tel environnement, les prêts sont bon marché et les emprunteurs peuvent financer tous les projets qu’ils imaginent. Cela se traduit par des excès, et accroît également la sévérité de la récession qui suit inévitablement l’éclatement de la bulle. » Cela étant, une majorité de ses pairs ont approuvé ses choix. « Sans ses actions au moment de la crise financière, le PIB se serait effondré bien plus qu’il ne l’a fait, » a estimé l’ancien directeur des études du FMI, Olivier Blanchard, dans un tweet.

Nouvelle époque, autres priorités. L’actuel président de la Fed, Jérôme Powell, multiplie les hausses de taux pour enrayer l’inflation comme on essayerait de faire rentrer du dentifrice dans son tube. La politique bernankienne a-t-elle en partie créé les conditions du choc actuel ? Pierre-Cyrille Hautcoeur tempère ce jugement. « Certes aujourd’hui, une partie des économistes estiment que Ben Bernanke est allé trop loin quand il dirigeait la Fed, alertant sur le risque inflationniste de sa politique. Mais l’inflation actuelle a démarré très longtemps après son départ et il est donc difficile de lui imputer. De nombreux économistes, dont je fais partie, estiment qu’elle est essentiellement liée à des chocs indépendants de la politique monétaire : la guerre en Ukraine et le Covid. »

Reste la déception chez une partie de la profession de voir encore trois sexagénaires américains rafler la mise. Depuis la création du prix Nobel d’économie en 1968, près de 70 % des prix sont allés à des titulaires d’un passeport américain. Et seules deux femmes sont parvenues à décrocher la timbale : l’Américaine Elinor Ostrom (en 2009) et la Franco-Américaine Esther Duflo (en 2019, avec son mari Abhijit Banerjee). Les trois nouveaux lauréats empocheront chacun 10 millions de couronnes suédoises, soit 912 000 euros.

Par François Miguet (Le Point)