Ce lundi 24 septembre, les Tchadiens débutent une nouvelle semaine qu’ils espèrent moins sanglante que celle qui vient de s’achever. En effet, le jeudi dernier, le pays a été le théâtre d’une des manifestations les plus meurtrières de son histoire. Une cinquantaine de morts, selon le pouvoir, beaucoup plus selon les opposants. Des morts et des blessés consécutifs à la répression aveugle et sourde que le pouvoir de N’Djamena a réservée à des citoyens tchadiens dont le seul tort était d’exprimer leur désaccord vis-à-vis de l’extension de la période de transition. Mais cette répression, au-delà des questions se rapportant strictement à la gestion de la Transition, en dit long sur la volonté du clan des Deby de s’agripper au pouvoir. Envers et contre tout et quoi que cela puisse coûter. Au-delà d’une répression, il y avait une volonté de punir pour dissuader. Et c’est pourquoi le débat sur le rapport entre les Deby et le pouvoir au Tchad doit être clairement posé. Parce qu’il n’est pas non plus évident que les autres Tchadiens consentent à ce qu’après 30 ans de règne du père, il soit permis au fils de reprendre le flambeau. D’autant que tout cela est sous-tendu par des considérations régionalo-communautaristes.
De l’espoir au cauchemar
La communauté internationale devrait sortir des condamnations de principe et se saisir de la crise tchadienne par le bon bout. Jusqu’ici, elle a feint de ne pas voir la réalité en face. Mais après la journée de violences de jeudi dernier, personne ne peut plus se voiler la face. Le Tchad est une cocotte-minute qui peut exploser à tout moment. Les frustrations et les rancœurs sont telles que les populations n’en peuvent plus de les contenir. Et bien sûr, au premier rang du malaise qui tenaille les Tchadiens, il y a ce sentiment que dans ce pays, le pouvoir est une propriété exclusive des Deby. Ainsi, de 1990 à avril 2021, soit 31 ans, le pays n’a connu qu’un seul président, à savoir Idriss Deby Itno. Durant son long règne, les scrutins qu’il a organisés ne l’ont été que de façade. Avant même le vote, tout le monde était certain de sa victoire. Verrouillant l’espace civique et politique, Deby père, à sa mort, ne revendiquait pas non plus un bilan économique et social élogieux. Dans un tel contexte, sa mort au combat avait été perçue comme une opportunité d’alternance au sommet du pays. Sauf que plus le temps, plus cet espoir se mue en cauchemar. Surtout depuis qu’à la suite du dernier Dialogue national inclusif et souverain (DNIS), il est permis à son fils de rester à la tête pays pendant 2 nouvelles années. Et qu’il peut même, à la fin de cette transition, se porter candidat à la présidentielle devant mettre fin à la période d’exception. C’est cette sombre perspective que les Tchadiens ont voulu dénoncer. D’où l’ampleur exceptionnelle de leur mobilisation.
La force de la Kalach
Mais en face, on n’y est pas non plus allé avec le dos de la cuillère. Redoutant la perte du pouvoir, les faucons du régime n’ont pas que réprimer. Ils ont mâté la contestation. De cette façon, ils entendaient administrer à l’opposition une leçon qu’elle n’oublierait pas de sitôt. A la subtilité des négociations et du dialogue, ils préfèrent la force dissuasive du Kalach. Partisans assumés de l’approche radicale, ils sont inaccessibles au remords. C’est ainsi qu’alors que le pays se remet péniblement de la folle journée de jeudi et que les blessés pansent leurs plaies, les sécurocartes du régime continuent de traquer les opposants dont plusieurs centaines, raflés comme de banals malfrats, sont manu militari expédiés dans le nord du pays pour y être emprisonnés et peut-être torturés.
Considérations subjectives
Ce face-à-face dont le Tchad sortira absolument perdant, la communauté internationale doit aider à l’arrêter. D’autant qu’à la dimension strictement politique, pourraient très rapidement se greffer des considérations subjectives. En effet, même si on n’en parle que timidement pour le moment, il y a que la domination de l’ethnie des Zaghawas sur le pays commence à agacer. Ne représentant que 10 % de la population, le fait que ce soit pourtant elle qui tient les leviers du pouvoir depuis trop longtemps est de plus en plus insupportable. Par ailleurs, de manière plus globale, les Tchadiens de la partie sud du pays rongent leurs freins. Ils en ont de plus en plus marre de ce qu’ils assimilent à leur marginalisation. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si ce sont dans les villes se situant dans cette zone-là que les manifestations ont été les plus violentes. Ces menaces rampantes, il faudra y mettre un terme. Ce qui ne peut se faire avec l’arrogance et le déni qui caractérisent le pouvoir tchadien. Pourtant, dans un pays dont une partie de l’opposition est armée, l’arrogance n’est pas la meilleure des alliées.
Boubacar Sanso Barry