Préalablement prévue pour le 5 décembre 2022, la première audition de l’ancien patron de la junte de 2010, Capitaine Moussa Dadis Camara, a été renvoyée à huitaine.  A la demande de l’acteur principal, parce que président de la république au moment des douloureux événements du 28 septembre 2009.  La formulation de la demande, le ton qui l’a accompagnée et l’obtention du renvoi ne sauraient laisser l’audience et les téléspectateurs indifférents ; mêmes ceux qui comptent parmi les victimes les plus expiatoires de la barbarie d’État perpétrée à cette date fatidique.

Les yeux perçants des témoins de la scène ne pouvaient pas ne pas aller au-delà de la simple personnalité d’un accusé qui joue sa vie, pour voir, ne serait-ce qu’en filigrane, la condition humaine en général, le destin singulier de l’individu en particulier. Était-il possible d’entendre la voix tremblotante du Capitaine Dadis à la barre ce lundi 5 décembre 2022 sans que surgissent certaines images fortes des Dadis Shows qui ont ponctué l’histoire guinéenne en 2009 ? L’ancien patron de la junte de 2009 ne pouvait pas reprendre sa place à côté de ses coaccusés sans troubler les esprits simplistes, déclencher chez le Guinéen lambda une foultitude de questions de fond sur le pouvoir temporel, sa nature profonde, l’action du temps sur la toute-puissance des hommes et quelques-unes des femmes qui nous gouvernent.

Sûr que nous sommes indépendants et fiers de l’être. Nous ne devons singer personne, surtout pas les impérialistes, les colonialistes et autres néo-colonialistes, prêts à nous délester de nos richesses. Mais, force est de réaliser enfin que la plupart des méchants colons sont encore plus indépendants, plus souverains que nous. Ils se sont frottés durablement à d’autres méchancetés infiniment plus sévères. Quand certains parmi eux nous parlent, c’est mi-figue, mi-raisin ; si ce n’est mi-fougue, mi raison. On ne doit pas y voir que l’expression d’une « domination naturelle », le reflet d’une leçon de maitre à esclave. Il y en a qui parlent et agissent par expérience.

Le Président Dadis avait certainement raison de rappeler que « la Guinée n’est pas une sous-préfecture de la France. » Elle n’en a été qu’une colonie récalcitrante. Le contexte se prêtait-il pour autant à affirmer qu’il était « l’égal de Merkel ? » Peu habitué à ce genre de langage, le diplomate allemand était visiblement troublé, surtout qu’il avait pris toutes les précautions diplomatiques et sémantiques pour indiquer qu’au moment précis où il s’adressait au Président guinéen, il était aussi l’égal de Merkel. Quand la même Angela Merkel a annoncé sa candidature pour un 4è mandat, elle était chouchoutée par la plupart des chefs d’État africains « démocratiquement élus. » Motus et bouches cousues dans tous les palais présidentiels africains à l’issue de son départ volontaire et définitif de son Bundestag chéri. Ses 16 ans au pouvoir collaient parfaitement à la volonté du peuple allemand.

Le 5 décembre, le bref échange de mots entre le Procureur et El Dadis a dû rappeler une autre cacophonie non moins célèbre entre Barack Obama, alors chef de l’État le plus puissant du monde et Blaise Compaoré, le président le plus redouté du Burkina Faso. Le premier affirme que l’Afrique a besoin d’institutions fortes, non d’hommes forts ; le second réplique que pour avoir des institutions fortes, il faut nécessairement des hommes forts. A écouter El Dadis devant la justice plaider pour un report d’audience, on est forcé d’écourter le débat pour souhaiter que le juge ne soit jamais plus puissant que la justice. Au moins, ça.