Ce 17 janvier à Conakry, les avocats d’Ibrahima Kassory Fofana, ancien Premier ministre, Mohamed Diané, ancien ministre de la Défense et Oyé Guilavogui, ancien ministre de l’Environnement, ont dénoncé «multiples violations» de procédure dont ferait l’objet leurs clients : séquestration, acharnement, violations de droit.

Déférés en avril 2022 par-devant la Cour de répression des infractions économiques et financières (Crief), ces anciens dignitaires du régime renversé par le CNRD sont poursuivis pour, entre autres, corruption, détournement de deniers publics, enrichissement illicite. Le cas d’Ibrahima Kassory Fofana intriguerait davantage. Dans le cadre d’un flagrant délit orienté par le procureur spécial de la Crief, Aly Touré, l’ancien Premier ministre a été coffré le 6 avril 2022. Quelques heures plus tard, le procureur a renoncé à la procédure de flagrant délit, optant ainsi pour la saisie de la Chambre de l’instruction de la Crief. Pour ses avocats de l’ex PM, à partir du moment où le procureur a changé son fusil d’épaule, aucune raison ne pourrait maintenir Ibrahima Kassory Fofana en prison, vu que le procureur aurait fauché la procédure en changeant de cap. Normalement, selon la défense, l’ordonnance du procureur plaçant sous mandat de dépôt Ibrahima Kassory Fofana ne s’applique plus.

«Le procureur spécial a décerné le mandat de dépôt contre notre client le 6 avril, le lendemain il a renoncé à la procédure. Donc, le mandat de dépôt n’a plus de valeur, c’est caduc. Mais, il refuse de retirer le mandat de dépôt. On parle donc de séquestration, car il n’y a aucun mandat qui détient Ibrahima Kassory Fofana à la Maison centrale de Coronthie. Celui de la Chambre de l’instruction du 31 mai 2022 n’a pas été suivi d’effet, parce qu’il a été décerné qu’oralement, le papier physique n’a pas été déposé à la Maison centrale. En résumé, il n’y a aucun acte de détention valable le concernant. On s’amuse avec la dignité des citoyens dans la procédure», fustige Me Sidiki Bérété. «Rien qu’un acharnement, car le procureur ne trouve pas la moindre preuve contre notre client », renforce Me Sékou Kondiano. 

Quatre mises en liberté

D’avril à décembre 2022, Ibrahima Kassory Fofana a bénéficié de quatre ordonnances de mise en liberté provisoire de la part de la Chambre de l’instruction, «confirmées» par celle de contrôle de l’instruction. Mais, aucune d’elles n’a fait l’objet d’exécution, le procureur spécial ayant interjeté appel ou pourvoi en cassation à la Cour suprême. Le 19  mai, le 6 juillet, le 27 septembre et le 1er décembre 2022, sont les dates des différentes ordonnances de mise en liberté dont a bénéficié l’ancien Premier ministre. Sans succès.

Me Djibril Kouyaté estime que dans les conditions normales, son client devait être libre, mais il est retenu, poursuit-t-il, en détention pour «des raisons qui ne sont pas connues» de l’opinion.

«Que les gens se rassurent, notre client est innocent de tout ce qu’on lui reproche. Celui qui le poursuit a fouillé, cherché partout, mais jusqu’à date, il n’a trouvé aucune preuve. Notre client est maintenu en prison parce que celui qui le poursuit est en train chercher encore des preuves. Les aurait-il en 2050 ? Il n’est pas normal en droit de mettre quelqu’un en détention et aller chercher les preuves. Ibrahima Kassory Fofana est arbitrairement détenu, ses droits violés en flagrance. L’objectif est d’atteindre son moral, mais il se porte bien», explique-t-il.

Me Sidiki Bérété déclare qu’on n’est plus en procédure judiciaire, dénonçant «une détention purement politique.» Selon lui, il n’y a point de faits précis dans l’affaire. «Le procureur a tenté avec PLAZA DIAMOND disant qu’on est actionnaire là-bas, mais cela a été démontré que le dossier est vide. Il revient avec le MAMRI, là aussi, vide, puis il avance qu’on est propriétaire d’une banque aux Etats-Unis. Eh… ! C’est un dossier vide, même les juges d’instruction de la Crief sont fatigués de la procédure», soutient Me Bérété.

Tour à la Cour suprême

Le 1er décembre dernier, la Chambre de contrôle de l’instruction de la Crief a confirmé la dernière décision de mise en liberté sous caution d’Ibrahima Kassory Fofana, décidée par la Chambre de l’instruction. Contre cette décision, le Procureur spécial près la Crief a formulé un pourvoi en cassation à la Cour suprême. Celle-ci avait été saisie auparavant par le même procureur d’un pourvoi, en date du 31 mai. Le dossier a été mis en délibéré, pour décision être rendue le 19 novembre, renvoyé le 27 décembre 2022. Puis reprogrammé le 10 janvier 2023, avant d’être de nouveau renvoyée le 24 janvier.

La raison du dernier renvoi est que les magistrats gérant le dossier ont été envoyés à la retraite. Ainsi, la Chambre a décidé de la reprise des débats. Me Sidiki Bérété invite la plus haute juridiction du pays à s’assumer, à dire le droit. «C’est la maturité à la Cour suprême, les magistrats, il faut enter dans l’histoire par la grande porte», conseille-t-il.

Yaya Doumbouya