Il y a 50 ans ce 20 janvier 2023, que l’artisan de la lutte de libération nationale de la Guinée Bissau et des Iles du Cap Vert, Amilcar Cabral, tombait sous les balles meurtrières et inavouées de l’impérialisme portugais. Cette sale besogne était commanditée par le gouverneur de la Guinée Bissau d’alors, Antonio de Spinola sur ordre du président portugais, Marcelo Caetano. L’événement attrista l’humanité entière, tant le leader qu’il fut était connu, admiré et magnifié.

C’est, pour moi, une occasion solennelle à saisir pour parler, encore une fois, de l’œuvre de cet illustre disparu. En dépit de nombreux travaux de recherches et de documentation sur sa vie et son œuvre, celles-ci restent toujours un sujet d’actualité et d’intérêts évidents.

J’ai déjà beaucoup écrit sur Amilcar Cabral et ce, depuis mes études universitaires en Guinée et aux États-Unis d’Amérique (comme en témoigne mon Mémoire de fin d’études supérieures de l’Université de Conakry qui porta sur « le PAIGC et la lutte de libération nationale en Guinée Bissau et aux Iles du cap Vert »). Ici, je ne reviens que sur quelques aspects qui me semblent être moins développés jusque-là et qui se résument ainsi qu’il suit:

  • Sa carrière professionnelle, celle d’ingénieur agronome, semble avoir été dictée et déterminée par son souci d’assurer la sécurité alimentaire dans son pays et donc de lutter contre la faim qui affectait la quasi-totalité des populations guinéennes et capverdiennes, toutes catégories confondues. En d’autres termes, c’est à cause des famines successives qui provoquèrent plus de 50 000 morts entre 1941 et 1948 au Cap-Vert (pour ne citer que ceux-là) qu’il choisit de s’orienter vers l’agronomie à l’université technique de Lisbonne où il resta jusqu’en 1952. N’eût été ce souci, il aurait pu, peut-être, choisir d’autres branches d’étude, car l’institution universitaire métropolitaine en disposait, tels : l’Institut supérieur d’économie et de gestion, l’Institut supérieur technique ; l’Institut supérieur des sciences sociales et politiques ; la Faculté de médecine vétérinaire ; la Faculté d’architecture ; la Faculté du mouvement humain. Une fois de retour dans son pays en 1952, il usera de sa formation académique, technique et professionnelle pour procéder à un recensement complet des conditions de vie des populations locales en lieu et place du recensement de la population auquel il était initialement commis par le gouvernement colonial (ce qui va lui valoir d’être expulsé du pays pendant plus de deux ans). Devant ces deux évidences (son constat sur le terrain et tracasseries du pouvoir colonial), il finit par comprendre qu’il a désormais d’autres choix à faire et d’autres fronts de lutte à mener : tous les deux furent basés sur des fondements et des motivations hautement politiques. De là est né le PAIGC qui lui servit de base, de moyen et de justification pour conduire victorieusement la lutte de libération nationale dans son pays et ce, face à un ennemi des plus redoutables à son temps, le fascisme portugais hérité du régime d’Antonio de Oliveira Salazar qui vécut de 1889 à 1970.
  • Sa carrière politique et militaire (le choix de lutte militaire résultant de l’échec des négociations politiques) fut marquée par une organisation politico-idéologique, économique et administrative à la fois originale et solide : celle qui aura démontré les qualités de mobilisation, de sensibilisation et d’éducation d’un meneur d’homme hors-normes que fut Amilcar Cabral. Sur les champs de batailles politiques et diplomatiques ou sur les fronts de combats militaires, il aura prouvé, éloquemment, que toute lutte de libération nationale qui se veut victorieuse et durable est une « affaire » du peuple et « uniquement » pour le même peuple. De là est née sa stratégie trilogique qui immortalisa « sa » lutte de libération nationale en Guinée Bissau et aux Iles du Cap Vert :

1) Education et adhésion des masses soutenue par la mise en place d’une superstructure politico-idéologique claire et partagée) ;

2) libération et construction territoriales à travers la mise en place des services sociaux de base de qualité ;  

3) coopération et intégration africaines et internationales basée sur une diplomatie qui prenait en compte conjointement des réalités internes et externes.

  • Le combat mené et les victoires gagnés sur ces deux fronts expliquent largement : 1) le tort des forces du mal à son égard, suivi de sa disparition prématurée et cruelle sur la scène politique africaine et internationale avant l’indépendance politique de son pays ;

2) la division du pays en deux Etats indépendants à la veille de la victoire politique et militaire finale entre 1973 et 1975.

Dans l’un ou dans l’autre cas, Amilcar Cabral est désormais dans le panthéon des grands leaders politico-militaires de l’Afrique contemporaine et du monde progressiste. Son héritage reste immense et inoubliable. Il continuera à galvaniser la conscience et les actes non seulement de ses contemporains mais aussi des générations à venir. Déjà, de partout s’érigent et s’imposent à jamais des monuments historiques en son nom. A titre illustratif, on notera: Une compétition de football, la Coupe Amilcar Cabral, porte son nom ; le lycée Cabral de Ségou au Mali ; le lycée technique Amilcar Cabral à Ouagadougou au Burkina Faso ; le lycée agricole Amilcar Cabral Brazzaville au Congo ; le collège CEMT Amilcar Cabral de Ziguinchor au Sénégal ; le lycée Amilcar Cabral à Mamou en Guinée ; le lycée Amilcar Cabral à Macenta en Guinée : l’école primaire Amilcar Cabral à la Minière à Dixinn (Conakry/Guinée) ; le lycée (cycle secondaire) Amilcar Cabral (Assomada/Cap-Vert) ; l’aéroport à Sal/Cap Vert qui porte son nom ; un boulevard à Fort-de-France en Mauritanie ; une rue à Kaolack au Sénégal ; un boulevard à Alger, en Algérie ; une avenue à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) en France ; une place Amilcar Cabral à Fameck (Moselle/Lorraine), le Quartier  Bairro à Sines au Portugal ; une bibliothèque communale (sur l’Asie, Afrique et Amérique latine) à Bologne, en Italie.

Et comme il le disait lui-même, « la dynamique de la lutte exige la pratique de la démocratie, de la critique et de l’autocritique, la participation croissante de la population à la gestion de leur vie, l’alphabétisation, la création d’écoles et de services sanitaires, la formation de cadres issus des milieux paysans et ouvriers, et bien d’autres réalisations qui impliquent une véritable marche forcée de la société sur la route du progrès culturel. Cela montre que la lutte de libération n’est pas qu’un fait culturel, elle est aussi un facteur culturel ».

Pr Maladho Siddy Baldé, historien

Université de Sonfonia-Conakry-Guinée