Tierno Monénembo : Vous êtes maire-adjoint de la ville de Ouro Preto (littéralement Or Noir), une ville marquée par l’Esclavage. Afro-descendant vous-même parlez-nous de votre ville et des liens tragiques qui la lient à l’Afrique.
Chiquinho de Assis : L’or est noir et notre peuple aussi . Les données du dernier recensement montrent que 70% de la population autochtone se déclare d’ascendance africaine. Avec une grande joie, je fais partie de ce groupe ethniquement majoritaire, mais qui lutte quotidiennement pour être inclus dans la majorité pour pouvoir jouir des droits. Ouro Preto est la petite Afrique de Minas, je n’en doute pas. Par la motivation de l’exploitation de l’or, des dizaines d’ethnies africaines, qui possédaient un savoir minier, sont venues ici réduites en esclavage et ici elles se sont perpétuées avec leurs descendants. La grande question est que la majorité absolue de la population reste en marge des politiques de logement, d’infrastructure, la santé publique et la sécurité. Ils représentent une grande partie de la population pauvre de la ville, qui est la majorité.
On ne peut évoquer Ouro Preto sans rappeler Chico-Reye, la figure centrale de la mémoire noire de cette ville. Qui était Chico-Reye ?
Galanga, roi tribal au Gabon, baptisé ici François. C’est le symbole de la victoire de la libération par le travail. C’est un symbole d’identité et d’estime de soi pour les Noirs d’ici. Galanga a inspiré des histoires, des croyances, des légendes. C’est un mythe libertaire constamment visité par différentes générations. Le symbole de ceux qui achètent leur liberté (manumission) à force de travail. Il est aussi la référence de l’esclave libre qui a réussi à acheter la liberté de tant d’autres, de son peuple.
La fabuleuse histoire de Chico-Rey : De son vrai nom, Galanga, Chico-Rey était un roi gabonais qui fut déporté en esclavage avec l’ensemble de sa cour. Le hasard des transactions négrières le conduisit dans les mines d’Ouro-Preto où il fut contraint d’extraire de l’or, les nombreuses années que dura sa servitude. Il eut la géniale idée de se laisser pouffer une grosse tignasse dans laquelle il dissimulait une partie de la poudre du précieux métal que chaque soir il devait livrer à son maître blanc. L’immense quantité d’or qu’il accumula par cette ruse lui permit de s’affranchir et d’affranchir sa cour. Devenu le premier noir propriétaire d’une mine, il bâtit l’une des plus belles églises de Ouro Preto, l’église Santa Ifigenia (Sainte Iphigénie est la seule sainte noire de la bible) et reconstitua sa cour dans cette pittoresque ville du brésil, telle qu’elle était au Gabon. |
A part Chico Rey, quelle autre figure ou quel fait historique marquant, l’Esclavage a laissé à Ouro Preto?
Nous avons à Ouro Preto la figure d’Antônio Francisco Lisboa, ou Aleijadinho. Fils d’une femme noire asservie et d’un architecte portugais, il est devenu le plus grand représentant de l’école esthétique de construction et de sculpture au XVIIIe siècle, non seulement à Ouro Preto mais aussi dans plusieurs villes du cycle de l’Or du Minas Gerais.
Existe-il aujourd’hui un lien ne serait que symbolique entre Ouro Preto et le Gabon, le pays d’origine de Chico-Rey?
Malheureusement non. Pour les consulats brésiliens, la représentation africaine était souvent prise comme référence de Bahia ou de la samba de Rio de Janeiro. Nous devons revoir cet endroit, démontrant l’importance et la force de l’Afro Minas Gerais, la force d’Ouro Preto, une ville qui, au 18ème siècle, était la plus peuplée d’Amérique, avec plus d’habitants que New York, où la majorité étaient des peuples africains.
Votre conseil municipal a-t-il tenté d’établir un jumelage avec une africaine, gabonaise par exemple ?
En vain, quelques initiatives. Nous devons agir avec plus de diplomatie à cet égard. Nous avons bon espoir avec le moment actuel du pays pour des activités de cette ampleur.
Ouro Preto est l’une des villes brésiliennes les plus touristiques, les plus marquées par l’Esclavage. Vous arrive-t-il de croiser des touristes africains dans vos rues et dans vos églises?
Oui. Mais moins que j’aurais aimé rencontrer. Aujourd’hui, l’université locale a un accord qui permet aux étudiants africains d’étudier ici, ce qui a aidé d’autres pays à en savoir plus sur la petite Afrique qu’est Ouro Preto.
Le Brésil et l’Afrique ont l’air de s’ignorer alors qu’ils sont voisins, que le Brésil est le deuxième pays noir du monde (juste après le Nigeria) et que leur complémentarité économique saute aux yeux. Là, je m’adresse à l’homme politique que vous êtes : comment corriger ce déficit diplomatique et commercial que beaucoup voient comme une aberration ?
Je pense qu’il faut resserrer les liens, construire des ponts, partager des histoires, des souvenirs, des traditions. La culture est une grande alliée à cet égard. Nous devons renforcer les productions culturelles des pays d’ascendance africaine afin que ces productions soient les liens qui permettent l’échange qui renforcera notre sentiment d’origine et d’appartenance. Je crois que la création d’un fonds international dans ce sens serait un grand allié pour tirer parti de cet objectif d’échange culturel.
Connaissez-vous l’Afrique ?
Je connais des Africains, malheureusement pas l’Afrique. C’est un vieux souhait, j’y arriverai.
Sinon, quel pays souhaiteriez-vous visiter en premier lieu et pourquoi ?
Angola et Guinée. A l’Angola, nous devons la capoiera et à la Guinée, les tous premiers Noirs du Brésil.
Encadré : Arrivés au XVIIème siècle à Salvador de Bahia, les premiers Noirs du Brésil venaient de l’actuelle Guinée. D’ethnie nalou ou baga, ils habitaient les régions de Boké et Boffa avant de sombrer dans les cales des bateaux négriers. En souvenir de ce sinistre épisode, c’est à Boké et non à Conakry que le Brésil a installé son consulat général en République de Guinée. |
Source : Le Point