Le 5 avril 1973, à Dakar Aboubacar Demba Camara était victime d’un grave accident de circulation. Il rendait l’âme à l’hôpital principal. Le Bembeya Jazz était invité aux festivités de l’indépendance du Sénégal. Le 31 mars, sur le trajet de l’aéroport au centre-ville, le véhicule, à son bord, entre autres, Demba, négociait mal un virage pour un tonneau. Sékou Bembeya et Salif Kaba s’en sortiront légèrement blessés.

Aboubacar Demba Camara est né en 1944 à Conakry, d’une famille d’ouvriers de Saraya, petite gare de Kouroussa. Il a fréquenté l’école primaire de Coléah jusqu’en 1952 puis celle de Kankan jusqu’en 1957. A Conakry, il termine ses études primaires, retourne à Kankan où il s’inscrit à la section manuelle. Il en sort avec le diplôme d’ébéniste. C’est en 1963, à la section manuelle de Beyla, à 1000 Km au sud de Conakry, que nait sa vocation. Excellent chanteur, Demba a acquis une diction entraînante dans son propre village. Il crée une section musicale du nom de Bembeya Jazz de Beyla. La réputation de l’orchestre gagne toutes les régions de Guinée. A partir de la même année (1963), dans chacune des 33 préfectures de Guinée, le gouvernement organise une biennale au cours de laquelle s’affrontent les orchestres locaux. Le but de cette initiative, rassembler le patrimoine musical guinéen à partir de ses nombreuses traditions régionales. Les gagnants sont invités au Festival national de Conakry. Deux orchestres de la province accèdent, en 1966, à la dignité d’orchestre national : le Horoya Band de Kankan et le Bembeya Jazz de Beyla. L’orchestre de Beyla gagne la médaille d’or aux deux premières biennales (1964 – 1966). Il est envoyé en tournée à Cuba. Aboubacar Demba Camara dit le Bègue (il l’est en parlant, pas en chantant ) devient une superstar dans toute la sous-région, après le spectacle et le disque “Regards sur le Passé” (1967) qui, à travers l’histoire de Samory Touré, constitue un hommage à Ahmed Sékou Touré. L’élévation du Bembeya Jazz au rang de formation nationale marque le début d’une aventure qui devait solliciter Demba et ses amis sur tous les fronts de bataille où l’émancipation culturelle de l’Afrique était en jeu. La musique du Bembeya est une synthèse des styles afro-cubains et mandingue, se voulant aussi un mélange de toutes les traditions musicales guinéennes.

L’artiste s’en est allé sans avoir épuisé son immense talent. Cette citation du chroniqueur culturel Ibrahima Kalil Diaré, dans les colonnes du journal Horoya N°1990, dimanche 8 avril 1973 : « Pour être interprète d’une grande formation nationale, Demba apprit vite qu’il faut travailler sa voix, soigner sa diction, acquérir du souffle, discipliner ce souffle, exercer ses oreilles et aviver son sens du rythme et de la mesure. En somme un travail de tous les jours, et de longue haleine. Passionné de chants et de musique, attentif aux différents rythmes, qui s’accumulent dans la musique africaine, Demba s’est affirmé comme un chercheur qui aime le folklore africain sans pour autant dédaigner les autres genres ».

Thierno Saïdou Diakité