Je ne m’y habitue pas, impossible. Comment ne pas être bouleversée ? Depuis des décennies, toujours les mêmes images. Des manifestations de Conakry aux maisons rasées de Kamsar, toujours cette même désespérance. Des adolescents se révoltent et on les assassine, des enfants s’accrochent aux larmes de leurs mères, le regard figé des femmes, les visages accablés des hommes. Disparaissez, déguerpissez, y a rien à voir ! Fallait pas manifester ici, fallait pas construire là. Certes, pourquoi pas, mais pourquoi tuer sans sommation, pourquoi détruire sans nulle proposition, d’une vie ailleurs ? Pourquoi nier l’évidence ? Nous sommes des hommes, nous sommes des femmes. Après tout.
Comment l’État peut-il être aussi implacable ? Comment ceux qui nous gouvernent, depuis des décennies, peuvent-ils être aussi indifférents à la souffrance d’une mère, à la douleur d’un père, au regard d’un enfant ? Pourquoi punir au lieu de protéger ? Humilier les parents c’est condamner les enfants à la rancœur, la vengeance, la révolte et plus sûrement encore au désespoir. Humilier les enfants, c’est d’abord et avant tout condamner son pays.
Toujours les mêmes réponses. On promet, on gagne du temps, on s’enrichit vite pendant que le peuple crève de faim, lentement. Fallait pas penser ceci, fallait pas penser cela, on emprisonne sans autre motif, et selon les bons vouloirs du prince, on libère ou non. Le droit souvent n’est pas même une option envisageable.
Pour conserver l’espoir, Il est indispensable d’anesthésier sa propre mémoire. On y a cru, on y croit plus. Les opposants d’aujourd’hui seront-ils les autocrates de demain ? Toujours les mêmes constats, nous sommes bien d’accord, que l’on gouverne ou que l’on s’oppose ? (R)établir l’Etat de droit, lutter contre la corruption et la pauvreté, prôner l’égalité des hommes et des femmes, libérer l’expression. Un pas en avant, deux pas en arrière. Toujours la même rengaine. Jamais ne s’interrompt le cycle infernal : promesse, injustice, révolte, répression. Désespérant.
Je suis apolitique, mon avis importe peu. Mais comment ne pas être bouleversée ? Comment supporter que ses concitoyens soient si maltraités, et ce, depuis si longtemps ? Je désespère, mais ne me résigne pas. Impossible.
Par Docteure Yassine Kervella-Mansaré, anthropologue