Les présumés bourreaux d’El Hadj Abdourahmane Diallo dit El Hadj Doura ont continué leur déposition le 5 juin, devant le tribunal criminel de Dixinn. Amadou Oury Bah nie catégoriquement les faits. Mamadou Samba Diallo, lui, reconnait avoir surveillé l’otage à Maférinyah, dans la préfecture de Forécariah.

Après son enlèvement en décembre 2017, El Hadj Doura est retenu à Sonfonia quelques jours avant d’être conduit à Kénendé dans la préfecture de Dubréka, précisément au kilomètre 66 dans Forécariah où il décède à la mi-janvier 2018. A Kénendé, il a été retenu dans une maison inachevée confiée à un certain Amadou Oury Bah. La victime y serait restée une semaine avec El Hadj Mamadou Diallo, le présumé cerveau et sa bande. A la barre, Amadou Oury Bah rejette tout en bloc : « C’est mon ami Youssouf qui m’a supplié de laisser son frère, El Hadj Mamadou Diallo, séjourner chez nous, qu’il avait des médicaments traditionnels à se laver. Il y a loué une chambre pour sept jours, il a quitté après. C’est tout ce que je connais dans cette histoire».

Pendant les enquêtes, Amadou Oury Diallo aurait pourtant reconnu, sans détour, avoir mis la maison à la disposition d’El Hadj Mamadou Diallo, avoir aidé à garder le vieil opérateur économique. Il aurait aussi fait savoir que la victime a été précipitamment déplacée parce que des travaux devaient être effectués dans la maison. L’accusé aurait aussi déclaré devant les enquêteurs qu’il est allé trois fois au kilomètre 66, pour voir l’otage. Le substitut du procureur, Mamadou Hady Diallo rappelle que les propos d’Amadou Oury Bah contrastent totalement avec ceux qu’il avait tenus pendant le premier round du procès, avant que la composition du tribunal change : « Ils se sont désormais inscrits dans une logique de dénégation totale», rappelle le substitut. Mais pour Amadou Oury Bah, toutes ces affirmations ne sont que des choses montées contre lui par les enquêteurs : « Ils ont écrit des choses que je n’ai pas dites».

Mamadou Samba Diallo, lui, ne nie pas totalement sa responsabilité dans l’affaire. Il reconnait avoir gardé l’otage pendant trois jours au Km66, mais il dit avoir été victime des « mensonges » d’El Hadj Mamadou et d’Ibrahima Diallo : « El Hadj Mamadou Diallo se lavait de médicaments traditionnels chez nous. Un certain Ibro, (Ibrahima Diallo, accusé en cavale, ndlr) lui a rendu visite. En rentrant, ce dernier m’a dit d’aller avec lui prendre un Power-bank (chargeur portable Ndlr) pour son ami El Hadj ». Mais au lieu de lui remettre le chargeur, Ibro lui aurait plutôt proposé de rester pour garder « son père malade. Il m’a dit que lui, il était souvent en déplacement. Je ne voulais pas, je lui ai dit de l’amener à l’hôpital. Il m’a dit qu’il devait se traiter avec des médicaments traditionnels. On est restés avec lui pendant trois jours, il sortait le matin, faire ses ablutions, mais le troisième jour, il n’est pas sorti. Je suis allé trouver qu’il avait rendu l’âme. Ibro m’a dit que c’était un otage, qu’il ne devait pas mourir, ce n’était pas son père…» Mamadou Samba Diallo a fui les lieux à la première occasion : « Ibro m’a dit d’aller puiser de l’eau, j’en ai profité pour fuir ». Le ministère public lui reproche de n’avoir pas alerté les autorités judiciaires : « Si je les alertais et qu’on partait trouver que tout le monde a fui, le problème allait retomber sur ma tête», répond l’accusé.

Thierno Mamoudou Kann et la rançon

Dès le rapt d’El Hadj Doura, sa famille s’est mobilisée pour le retrouver, sain et sauf. Parallèlement à l’enquête ouverte par la gendarmerie, les ravisseurs entrent en contact avec l’un des fils de l’otage. Contre la libération d’El Hadj Doura, ils réclament 100 000 dollars américains. La victime dit à son fils de payer l’argent pour recouvrer sa liberté. La famille se réunie et décide de verser la rançon, contre le gré des autorités judiciaires. L’argent est déposé nuitamment dans un coin sombre à Lambanyi, dans la commune de Ratoma. El Hadj Mamadou Diallo le récupère. Le lendemain, il confie 99 000 dollars à Thierno Mamoudou Kann. Ce dernier gérait sa boutique de produits pharmaceutiques à Madina : « J’ai longtemps hésité, je craignais même que ce ne soit de faux billets», explique l’accusé. Vu la réticence de Kann, El Hadj Mamadou Diallo lui dit alors de garder une partie de l’argent. Idrissa Diallo, un autre accusé, devait aller prendre l’autre partie. Ce qui a été fait. Le lendemain, Kann aurait cherché à lui restituer le reste du magot : « Mais son numéro ne passait plus. J’ai tenté de le joindre pendant deux jours, sans succès. Je suis allé voir Idrissa. Ce dernier l’a appelé, m’a passé le téléphone, El Hadj m’a dit de donner l’argent à Idrissa. C’est ce que j’ai fait. A partir de là, je n’ai plus parlé avec les deux».

Thierno Mamoudou Kann a été par la suite arrêté, inculpé au même titre que la vingtaine d’accusés, notamment d’enlèvement et d’assassinat… Il nie toute responsabilité dans cette affaire : « Les seules personnes que je connais ici, c’est El Hadj Mamadou et Idrissa Diallo. Je ne pouvais jamais imaginer que quelqu’un qui a fait plus de dix ans en Europe pouvait tomber dans de telles choses».

L’affaire est renvoyée au 19 juin, pour la suite des débats.

Yacine Diallo