Prendre l’avion en Afrique, revient comme on le dit au village, à se rendre en enfer à pied. C’est au début des années 80 que j’ai pris conscience de cette déplorable réalité. J’avais alors croisé à Roissy-Charles-De Gaulle, un cousin haut fonctionnaire de l’Etat guinéen qui, venant de Conakry se rendait à Harare pour transmettre un message de Sékou Touré à son homologue zambien Robert Mugabe. Passer par Paris pour aller de la Guinée au Zimbabwe ! Normal, me dis-je, le premier pays est en pleine dictature et le second est au début de son Indépendance !
Quarante ans après, je suis bien obligé de dire que le mal est plus profond que ça et que pire, il s’étend à l’échelle du continent. Il y a quelques années pour aller de Conakry où j’habite à Durban en Afrique du Sud, j’ai dû passer par Dubaï. Et en novembre dernier, je l’ai déjà évoqué dans ces colonnes, j’ai dû atterrir à Paris avant de rejoindre Sao-Paolo. Mais ce n’est pas tout, parti en Algérie début mai, j’ai dû, au retour, faire escale à Milan puis à Casablanca.
Le transport aérien, la circulation routière, et le ramassage des ordures sont les critères les mieux indiqués pour juger de la qualité d’un Etat. Et justement, c’est dans ces trois domaines-là que les Etats africains sont les plus défaillants. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne le premier. En Afrique, les perturbations au sol sont dix fois plus fortes qu’au ciel : les itinéraires sont alambiqués, les retards de vol ne se comptent pas en heures mais en nombre de journées et ma foi, les compagnies aériennes ne durent que ce que durent les roses.
Je suis de cette génération qui dans l’euphorie des Indépendances a vu naître Ghana Airways, Air Guinée, Air Afrique, Nigeria Airways, Air Algérie, Kenya Airways etc. Des compagnies aériennes africaines, enfin des avions bien à nous ! L’avion dans nos têtes de gamin cela voulait dire liberté, modernité, deux mots qui allaient très bien avec notre souveraineté naissante ! D’ailleurs, nous vivions une époque qui prenait des ailes, si l’on ose s’exprimer ainsi. Mac Douglas venait de sortir le DC8, le premier avion de ligne à réaction et Youri Gagarine venait de réaliser son exploit spatial. Les machines volantes ne fascinaient pas que nous les collégiens, c’est le monde entier qui rêvait de planer.
Je me souviens avoir vu en 1962, au cinéma Vox de N’Zérékoré, le célèbre haïtien, Docteur Price-Mars, muni de fusées en cartons, expliquer à une salle remplie à moitié de paysans analphabètes, comment fonctionne un spoutnik et clamant, urbi et orbi : « Bientôt les Noirs auront leurs propres fusées ». C’était une époque où tout était possible, même les rêves les plus fous. Hélas, on est loin du compte. Non seulement, l’Afrique n’a toujours pas sa fusée mais la plupart de ses compagnies aériennes ont disparu sous l’effet bien connu de la gabegie. Si l’on excepte quelques petites compagnies qui apparaissent et disparaissent ici et là, au gré des circonstances, seules Ethiopian Airlines, Kenya Airways, South African Airways, Royal Air Maroc, Egyptair, Tunis Air, et Air Algérie tiennent véritablement le coup.
On se demande après ça pourquoi l’Afrique ne décolle pas. Eh bien, parce qu’elle n’a pas encore trouvé ses ailes. « Le communisme, c’est les Soviets plus l’électricité », disait Lénine. Dommage qu’aucun de nos dirigeants n’ait songé à le parodier : « Le développement, c’est les transports plus l’électricité ».
Tierno Monénembo
Source : Le Point