Dans une lettre adressée au ministre du Travail et de la Fonction publique, virale sur la toile, le Premier ministre, Dr Bernard Goumou, étale sur la place publique, les lacunes politiques et un sens très approximatif de l’État pour le moins inquiétant de la part d’un Chef de Gouvernement d’une Transition vouée à la Refondation et qui se veut la dernière de l’histoire de la Guinée, en dotant le pays de solides fondements d’une véritable République.
On ne le rappellera jamais assez. Après la capture du Président Alpha Condé, le 05 Septembre 2021, le Colonel Mamadi Doumbouya, celui qui était encore Commandant du Groupement des Forces Spéciales, depuis le perron du Palais Présidentiel de Sékhoutoureya, avant même d’aller à la RTG proclamer le coup d’état opéré, déclarait : «La situation sociopolitique et économique du pays, le dysfonctionnement des Institutions républicaines, l’instrumentalisation de la Justice, le piétinement des Droits des citoyens, l’irrespect des Principes démocratiques, la politisation à outrance de l’Administration publique, la gabegie financière, la pauvreté et la corruption endémique ont amené l’Armée républicaine à prendre ses responsabilités vis-à-vis du Peuple souverain de Guinée».
Les différents points évoqués dans cette toute première déclaration, retenus comme les motifs sinon les justifications du renversement du régime en place, ont reflété une certaine sincérité chez le tombeur du Président Alpha Condé et conféré à son putsch l’adhésion dès les premières heures. Dès lors, les jours, semaines et mois suivants, comme la ruée vers l’or, des cadres Guinéens ou se faisant passer comme tels, partis de tous les horizons, en quête de postes administratifs, ont afflué vers le siège du nouveau pouvoir afin de s’arracher un acte de nomination.
Si le Colonel Mamadi Doumbouya était sincère, il est évident que le Commandant du Groupement des Forces Spéciales qui vient de se hisser au sommet de l’Etat Guinéen ignore tout de l’administration publique et connaît peu de cadres. Globalement, sur la base des propositions de ses proches et connaissances investis de sa confiance, il a procédé aux nominations des dignitaires du régime du CNRD qui gouvernent et gèrent aujourd’hui la Guinée à tous les niveaux de responsabilité (ministres, secrétaires généraux, chefs de cabinets, gouverneurs, préfets, directeurs généraux et nationaux, EPA, PCA, Chef de DAAF, etc.).
Conformément à la logique de correction des maux dénoncés dans la toute première déclaration, tout cet Establishment du Nouvel Ordre a juré sur le Saint Coran ou la Bible Sacrée avant la prise de fonction. Tout cela dénotait un souci de réussite chez le Colonel Mamadi Doumbouya. Des cadres compétents et honnêtes, sans doute, dans ce lot de promus toutes catégories confondues. Il faut avouer tout de même que certains ont été proposés non sans marchandage. Mais, il ne faut pas tomber dans les querelles de clocher.
Inquiétants doutes
Ainsi, à ne tenir compte que du rapport annuel sur l’état de la gouvernance et la reddition des comptes de l’Inspection générale d’État, publié en juin dernier et évoqué lors du Conseil des ministres du 15 juin, par le Chef de l’État, le Colonel Mamadi Doumbouya, il est officiellement établi désormais que des insuffisances existent dans l’Administration publique.
Une fois, l’amer constat fait, le phénomène admis, on remarque que le Président de la Transition, le Colonel Mamadi Doumbouya, a parfaitement pris ses responsabilités en instruisant «le Gouvernement d’y apporter des améliorations», comme le mentionne le courrier du Premier ministre, Dr Bernard Goumou.
Cependant, si le Colonel Mamadi Doumbouya a bien perçu le mal et recommandé le malade, le docteur Bernard Goumou interprète mal le diagnostic et pèche gravement sur les remèdes à apporter en demandant précipitamment au ministre du Travail et de la Fonction Publique, Julien Yombouno, de lui « faire parvenir une proposition de permutation des Directeurs généraux et Adjoints à la tête des Organismes publics (EPA, Société publique ou mixte, Autorité administrative indépendante, etc.) relevant de votre Déportement. Ce projet ainsi que les CV des personnes proposées devront me parvenir avant le 30 juin 2023.
Cette proposition d’alternance devra faire permuter les dirigeants pour une période pouvant aller jusqu’au 31 décembre 2023. Au terme de cette période et au vu des résultats atteints dans la mise en œuvre du contrat de performance qu’ils ont signé, vous serez amené à soumettre des propositions soit de maintien des promus ou de nomination de nouveaux cadres à la direction de ces organismes publics.»
Il est possible que le très enthousiaste, Dr Bernard Goumou, soit de bonne foi, mais la « solution » qu’il envisage face à la vraie équation posée par le Président Mamadi Doumbouya en plus d’être inappropriée laisse également planer d’inquiétants doutes sur la maturité politique et le sens de l’Etat du Premier ministre qu’il est, ainsi que la capacité d’analyse et les compétences administratives de ses collaborateurs.
Sur quelle base et sur quels critères le ministre du Travail et de la Fonction publique va-t-il proposer la permutation à la tête des Organismes publics (EPA, Société publique ou mixte, Autorité administrative indépendante ? Pourquoi sur un si court délai ? A-t-il seulement la compétence et les moyens de répondre tout seul à une telle incurie administrative dont rien, pour le moment, ne l’épargne personnellement ?
Les directeurs généraux et les adjoints de ces organismes publics (EPA, Société publique ou mixte, Autorité administrative indépendante ne sont-ils pas au même titre que le ministre, lui-même, ainsi que ses collègues membres du gouvernement parties intégrantes de la même Administration qui dégage des insuffisances ? Ne sont-ils pas tous nommés par le Chef de l’Etat ? En quoi la permutation des Directeurs généraux et adjoints des EPA peut-il suffire à corriger les insuffisances administratives ?
Dans un régime aussi Présidentialisé que la Transition, une telle instruction si claire et si précise du Chef de l’État aurait dû conduire le Premier ministre a d’abord définir un schéma objectif et transparent d’identification des insuffisances et inefficacités signalées dans tous les secteurs de l’administration et non à les réduire ou limiter à une échelle si inférieure et si insignifiante que les EPA qui suscitent malheureusement la convoitise et la gourmandise des différents clans. Soumettre, ensuite, les résultats de ces différentes évaluations, inspections ou audits au Président de la Transition. Une telle démarche paraît mieux indiquée, juste et plus efficace que celle contenue dans la lettre adressée, à la hâte, au ministre du Travail et de la Fonction Publique susceptible de sauver du naufrage des amis et proches médiocres ou incapables, de sacrifier des directeurs performants et méritants, causer du tort au CNRD et faire du mal au pays tout entier.
Opportunité de faire le ménage ?
En effet, à la veille de l’an 2 de l’avènement du CNRD au Pouvoir, le Premier ministre n’a-t-il pas ainsi une opportunité officielle avec cette instruction Présidentielle pour procéder à une évaluation générale de l’administration centrale, à commencer d’abord par les membres du gouvernement dont, comme on le sait, peu d’entre eux étaient connus par le Colonel Mamadi Doumbouya lors de la formation du Gouvernement ?
Ainsi, les ministres, secrétaires généraux, chefs de cabinets, gouverneurs, préfets, directeurs généraux et nationaux, EPA, chefs de DAAF sans résultats ou incompétents seront purement et simplement remplacés. Au besoin, poursuivre ceux qui se seraient livrés à une gestion indélicate.
Le temps n’est plus propice à l’essai ou à l’expérimentation par le jeu des permutations et pour les directeurs généraux et adjoints des EPA que pour tous les dirigeants, nommés depuis près de 2 ans par le Président de la Transition. Il s’agit de savoir aujourd’hui qui, sur la base des performances et de la moralité, a le mérite ou non de continuer la marche vers l’atteinte des objectifs attendus du régime de la Transition avant le retour à un ordre constitutionnel durable. La solution de l’équation et le salut du régime CNRD sont à ces prix, pas du tout coûteux.
Abdoulaye Condé