Les changements anticonstitutionnels de pouvoir, ces dernières années, dans la sous-région ouest-africaine est la preuve qu’en matière de démocratie et d’Etat de Droit rien n’est encore acquis. Après le discours de la Baule, suivi des conférences nationales souveraines, au début des années 1990, le plus afro-pessimiste ne pouvait parier sur la situation actuelle de l’espace CEDEAO. Comme dans les années 1970 et 1980, les coups d’Etat reviennent de plus bel.

Ce recul démocratique n’est rien d’autre que la conséquence de l’incapacité des régimes dits démocratiques à répondre aux aspirations des populations, notamment dans les domaines de la liberté et du développement. La mise en place des gouvernements par les peuples et pour les peuples était censée apporter la démocratie, elle-même gage de développement.

Il n’en a rien été. L’instauration du multipartisme n’a pas apporté véritablement le progrès tant espéré, surtout en Afrique francophone. La seule chose qui a changé, fondamentalement, c’est le niveau de la liberté d’expression. Avec la libéralisation partout du secteur de l’audiovisuel obtenue de haute lutte.

A l’exception de ce changement notable, la démocratie n’a véritablement pas répondu aux immenses espoirs des citoyens. En Guinée, pour persuader l’armée d’abandonner le pouvoir en 2010, la communauté internationale, qui avait pesé de tout son poids pour rendre le pouvoir aux civils, avait promis aux dirigeants d’alors une « prime de la démocratie ». Le président par intérim de la transition, le général El Tigre Konaté, avait sillonné les camps militaires pour promettre aux bidasses monts et merveilles, si jamais ils acceptaient de transférer le pouvoir aux civils.

L’élection du « premier président démocratiquement élu » n’aura pas changé grand-chose. Le nouvel élu ne se sera en rien distingué de ses prédécesseurs dans la répression contre l’opposition. Le nombre de victimes du régime civil était à peu près le même que celui du régime militaire qui l’a précédé. La seule différence est que le massacre du 28 septembre 2009 s’est passé dans un espace (le stade) et un temps limités ; tandis que la centaine de morts sous Alpha Grimpeur a été enregistrée sur une décennie.

Sur le plan du respect des droits de l’Homme, les Guinéens espéraient un changement positif. Une prémonition toutefois : avant son élection, un journal de la place avait barré à sa Une : « Alpha Condé, un potentiel dictateur ». A l’époque ce titre fut interprété comme l’acharnement d’un journaliste proche du pouvoir d’alors contre un opposant. Plus tard, l’histoire donnera malheureusement raison à l’actuel président de la Haute autorité des cancans (HAC), qui était l’auteur du papier en question.

Peu avant sa chute, et à l’occasion de la reforme constitutionnelle controversée pour le troisième mandat, l’ancien président déclara que partout où il y a eu un changement constitutionnel, il  y a eu des morts. Justifiant ainsi le bilan macabre de son règne. Il est indéniable que les militaires observaient de près la gestion des affaires publiques  par les civils. Il est tout aussi indéniable que s’ils avaient vu une différence entre leur gestion et celle des civils, ils n’auraient pas eu la tentation de reprendre le pouvoir.

Mais cela n’est pas une particularité de la Guinée. Au Mali, la situation était quasi identique. Avec la seule différence que ce pays est conforté à  d’autres  types de violences. Chez le voisin, il y a plus de violences terroristes que d’Etat contre les citoyens. Mais là aussi, le régime issu des élections s’est illustré dans la corruption. L’achat de l’avion présidentiel a fait les choux gras de la presse malienne et étrangère. Ibrahim Boubacar Keïta et son clan se sont servis au lieu de servir le peuple malien. Les scandales financiers et l’incapacité du régime à mettre fin aux violences ont, là aussi, incité la grande muette à revenir aux affaires. L’audit de l’achat du coucou présidentiel au Mali et d’équipements militaires avait fait des vagues : différents rapports d’enquêtes ont évoqué des surfacturations d’environ 40 milliards de francs CFA. C’est tout dire.

En attendant de savoir quelle sera la suite du bras de fer actuel entre la CEDEAO et les juntes militaires qui règnent d’une main de fer dans quatre pays de la sous-région, seule une gouvernance vertueuse pourrait dissuader la grande muette de s’immiscer dans le jeu politique. S’ils se rendent compte qu’il n’y a aucune différence entre eux et les civils en termes de gestion de nos Etats, il va de soi qu’ils seront tentés de « mettre de l’ordre ».

Habib Yembering Diallo