Le Partenariat stratégique global signé entre Tunis et Bruxelles risque de déstabiliser un peu plus la société tunisienne, s’inquiètent des chercheurs tunisiens, français et allemands.
Alors que l’Union européenne vient de signer avec la Tunisie le Partenariat stratégique global et cherche à l’inciter à accueillir les réfugiés renvoyés par l’Europe en échange de la somme de 250 millions d’euros et d’un soutien financier de 900 millions d’euros conditionné à la conclusion d’un accord de prêt avec le Fonds monétaire international (FMI), le pays traverse une crise socio-économique exacerbée par une montée des violences contre les Africains noirs présents sur son territoire, notamment dans la ville de Sfax.
En effet, depuis le 3 juillet, et suite à l’assassinat d’un Tunisien par trois ressortissants présumés d’origine camerounaise, la Tunisie connaît un déferlement de violences contre les Africains noirs. Actes xénophobes, agissements racistes, discours haineux et différentes formes d’agressions mettent en péril l’intégrité physique et morale des expatriés subsahariens. A ce sujet, les médias, les ONG et autres acteurs de la société civile, ainsi que des citoyens tunisiens s’exprimant via les réseaux sociaux, tirent la sonnette d’alarme sur une véritable violation des droits humains.
Ont été documentés : des expulsions de familles entières de leur domicile – dont des femmes enceintes et des enfants –, des interpellations, refoulements et arrestations arbitraires, des agressions physiques et verbales, des vols d’effets personnels et de documents d’identité, des attaques directes et virtuelles sur les réseaux sociaux et jusqu’à des déportations de centaines de personnes – dont certaines avec une situation en règle ou des demandeurs d’asile – vers les frontières tuniso-libyennes désertiques sans aucune forme d’assistance, à une période de l’année particulièrement éprouvante en raison des chaleurs torrides et des pénuries d’eau.
Exode des cerveaux
Plusieurs communiqués, tribunes et pétitions ont été signés par nombre d’organisations, d’intellectuels, de militants et d’acteurs de la société civile dans les médias internationaux afin de dénoncer cette situation insoutenable. Des collectes de fonds ont été lancées pour venir en aide aux victimes de ces évènements. Nous rejoignons toutes ces prises de parole et tenons à manifester notre plein soutien et notre solidarité envers les cibles de ces agissements.
En tant que chercheurs et citoyens provenant de Tunisie, d’Allemagne et de France, nous nous engageons pour une Méditerranée qui corresponde à un espace d’échanges, de libre circulation et de diversité. A la place de cela, la politique migratoire européenne transforme les pays du sud de la Méditerranée, et notamment la Tunisie, en garde-frontières, tout en favorisant l’exode des cerveaux vers l’Europe, à un moment où le pays a besoin de ses compétences pour faire face aux différentes crises qu’il connaît.
L’intention d’expulser des personnes et familles vulnérables dans un pays tiers, contre leur gré, est inadmissible en soi. Les expulser en Tunisie à un moment où cette dernière traverse des difficultés importantes sur tous les fronts met en péril l’un des derniers pays stables dans la région. N’est-ce pas notre but d’atténuer les effets de cette crise et de travailler à ce que personne ne soit plus dans l’obligation d’émigrer ? A ce que la circulation devienne un choix au lieu d’une nécessité, dans un monde où les deux rives de la Méditerranée coopéreraient avec un souci d’égalité grâce à des conditions économiques et sociales plus équitables ? Dans ce cas, l’Union européenne doit veiller à mieux soutenir la stabilité de la société tunisienne et à envisager des coopérations effectives et pérennes, dans l’intérêt à la fois de la Tunisie et des Européens.
In Le Monde