Le 26 octobre dernier, Mamadou Sounoussy Diallo, Maître-assistant du CAMES, docteur en socio-anthropologie de développement, enseignant-chercheur, a égrené les maux qui assaillent l’Enseignement et la Recherche scientifique en Guinée. Nous avons aussi échangé sur sa récente nomination au grade de Maître-Assistant du Conseil africain et malgache pour l’enseignement supérieur (CAMES).
Le Lynx : Vous êtes élevé au grade de Maître-assistant du CAMES. Qu’est-ce que cela vous fait ?
Dr Mamadou Sounoussy Diallo : C’est une grande joie. Notre pays a rompu avec la culture de la médiocrité, avec l’autarcie dans la recherche. La Guinée s’est ouverte au monde, au savoir universel, avec ses enseignants-chercheurs, pour une reconnaissance des pères africains et internationaux. Des pères africains reconnaissent mon diplôme, mes recherches, les valident et me nomment au grade de Maître-Assistant, c’est véritablement une immense joie. Je viens de remplir une mission régalienne que l’Etat guinéen m’a confiée, celle d’enseigner, de faire des recherches contribuant au développement socio-économique du pays. Mes recherches contribuent au développement de l’enseignement supérieur, à changer son visage. Positivement.
Une première pour la Guinée ou une continuité ?
C’est une continuité d’autant plus que notre Faculté de médecine est l’une des plus anciennes dans le domaine. Elle cherche à faire reconnaître ses diplômés (recherches des enseignants-chercheurs) par le CAMES. Même les Maîtres-Assistants de la Faculté de médecine sont désormais du CAMES. Mais, dans le domaine des Sciences sociales et humaines, la Guinée n’est pas allée loin, nous sommes très minoritaires. Il y a un ou deux ans que les premiers Maîtres-assistants dans le CTS Lettres et Sciences Humaines guinéens sont allés au CAMES. Ils viennent notamment des universités de Kindia, de Sonfonia, de Kankan.
Etiez-vous le seul candidat Guinéen ?
Je n’étais pas le seul Guinéen à le faire dans mon domaine, ni dans les autres. Vous savez, il y a six commissions techniques scientifiques (CTS) du CAMES par spécialité. En Sociologie et pour la Guinée, je crois que nous sommes deux admis, l’autre est de l’université de N’Zérékoré. Mais, il y a eu de nombreux admis, notamment en Médecine, en Sciences et Techniques, en Economie, Sciences politiques et juridiques et en Gestion. D’ailleurs petit à petit, l’enseignement supérieur guinéen se fait une place dans le CAMES.
Comment devient-on Maître-assistant du CAMES ?
Il faut d’abord être titulaire d’une thèse de doctorat, soutenue dans une université reconnue par l’Etat et les institutions de savoir scientifique. Il faut avoir publié des articles scientifiques dans des revues indexées (au minimum quatre), dont un sorti de la thèse, un autre hors de la thèse. Je suis allé au CAMES avec huit articles scientifiques, on m’en avait demandé que quatre, dont un publié dans une revue indexée. En plus, on vous demande au moins quatre colloques auxquels vous avez participés et/ou communiqués. J’en avais participé à cinq et j’avais communiqué dans quatre. On vous demandera aussi vos enseignements en termes des horaires et vos encadrements de TD et TP des étudiants. Il se trouve que j’étais dans les normes, puisque chaque année, au moins, j’ai un cours qui me fait 150 heures. J’avais deux cours l’année passée. Le tout me faisait 300 heures de cours, c’était largement suffisant. Aussi, il faut faire l’ancrage sociétal ou la responsabilité sociétale (tenir des conférences, assister les communautés, apporter des réponses à des questions de société dans les médias et dans la vie active etc.) du chercheur. Bref, il y’a beaucoup d’autres éléments qui sont exigés par l’institution. Il se trouve que je tiens des conférences, je réponds à des questions de société dans les médias, je participe à des organisations communautaires, je participe à des rencontres sous-régionales et internationales. Tout cela m’a permis d’être admis au grande de Maître-Assistant et avoir la plus haute mention du CAMES : la cote A. Au CAMES, il ne s’agit pas de dire, mais de prouver avec des documents de preuve certifiés par la justice de votre pays. C’est pour dire tous les documents de preuve que le candidat va produire doivent être légalisés par la justice.
Ce titre vous confère plus de responsabilités, assurément ?
Il donne un nouvel élan, un nouveau poids à mon département, à notre université et à notre pays. Je peux contribuer à enrichir l’enseignement, puisque je suis désormais habilité à diriger un mémoire de Master. Ce n’est pas parce qu’on est Docteur qu’on peut diriger un mémoire de recherche en Master ou une thèse. Il y a bien des exigences que sont les grades académiques. Logiquement, il faut au minimum le grade de Maitre-Assistant pour un mémoire de Master et le grade Maitre de Conférences et de Professeur Titulaire pour diriger une thèse de doctorat. En Guinée la pyramide est totalement renversée. C’est le seul pays au monde où n’importe qui enseigne à l’Université et où un licencié peut se faire appeler enseignant-chercheur. C’est aussi seul le pays où être titulaire d’un diplôme de docteur est un luxe ou un prestige. Regardez ! en Côte-d’Ivoire tout prêt, il y a au moins 3000 docteurs (titulaire d’une thèse de doctorat) qui chôment. Chez eux, ce sont les grades et les contributions scientifiques qui font la différence entre les enseignants. Dans ces, pays l’enseignement supérieur fonctionne dans le bon sens depuis très longtemps. Cependant, chez nous, on est entrain de nous tirer au fond du gouffre. Quand vous regarder la Guinée, vous vous rendez compte c’est vraiment un pays de paradoxe. Par exemple chez nos voisins, les meilleurs de la licence vont au Master et les meilleurs de ce programme vont en thèse. D’où il y a un vivier important pour le renouvellement de la banque en ressources humaines.
Dans deux ou trois ans, je pourrai postuler pour le grade de Maître de conférences. Et là, au minimum, il faut produire dix articles scientifiques, quinze pour obtenir la cote A. Il faut surtout publier dans des revues de renommées (revues indexées, à comité de lecteur et à comité scientifique). Pour cela, je m’y emploie. Déjà, j’ai sept articles scientifiques, en moins d’un an et j’ai de deux communications de colloque en Guinée et ailleurs. D’ailleurs je m’apprête à participer à deux autres dont un avec le CAMES à Yamoussoukoro en Côte d’Ivoire. Ce qui veut dire que la démarche est déjà entamée.
Comment voyez-vous le système éducatif national ?
L’enseignement a longtemps été tiré vers le bas. Nous avons prôné tout le temps la culture de la médiocrité, nous n’avons pas valorisé l’excellence. Il y a eu des grands professeurs qui sont restés dans l’anonymat, sans être célébrés ni valorisés. Figurez-vous, quelle université guinéenne organise des colloques ? Quelle université est dotée de laboratoire de recherches dignes de nom ou qui est interpellée par l’Etat ou par les institutions internationales ? Il n’y en a pas. D’ailleurs chez nous, les problèmes de sociétés sont transportés dans les QG des partis politiques pour être traités au lieu de les envoyer dans les milieux académiques afin de trouver des solutions durables. C’est pourquoi, au lieu de trouver une solution aux problèmes, on les on déplace. Le système était vraiment médiocre.
Toutefois, la refondation du système éducatif est en train de marcher en général. Ces dernières années, il faut reconnaître qu’une volonté politique est en train d’émerger, avec le « Programme 1000 PhD et 5000 Masters » au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. On est en train de sortir de l’ornière. Peu à peu le pays est entrain de se doter d’outils nécessaires à sa qualification. Parmi ces précieux outils, figurent l’ANAQ (Autorité Nationale d’Assurance Qualité) qui évalue les établissements d’enseignement et de recherche pour leur habilitation à délivrer des diplômes et évalue les programmes de formation pour accréditation. Cependant, les priorités restent énormes. Au niveau de l’Enseignement technique, un travail impeccable s’opère. On note des innovations donnant envie de retourner à l’enseignement technique.
Quelles sont ces innovations ?
La rénovation et l’équipement des écoles, l’octroi des bourses de formation, la décantation des bénéficiaires. Avant, quelqu’un du niveau BEPC (Collégien) pouvait se retrouver infirmier d’Etat. Maintenant, cela ne marchera plus. Ce sont vos connaissances qui valorisent ce que vous devez faire à l’école. L’enseignement technique n’est plus l’école de ceux qui ont échoué à tout; il est devenu plutôt un enseignement tourné vers le développement socioéconomique de notre pays.
Qu’attendez-vous de l’Etat ?
Le soutien. Il doit être financier, matériel et moral. Au minium, pour produire un article scientifique, on débourse près de deux millions de francs guinéens (c’est quasiment le salaire d’un enseignant). On réclame 30 000 CFA pour l’acceptation, l’évaluation coûte 20 000 CFA. Pour l’insertion, il faut débourser jusqu’à 50 000 CFA, ce qui fait au minium : 100 000 CFA. De même, pour participer à un colloque, il faut suffisamment de ressources financières. Or c’est la somme de tout cela qui offre le grade académique au CAMES.
Je demande à l’Etat de nous créer des conditions à la recherche et à l’épanouissement scientifique, mettre à notre disposition des moyens financiers, techniques et logistiques, ainsi que la construction des infrastructures de recherche. Motiver les chercheurs en leur octroyant des possibilités de mobilité afin de vivre et d’acquérir les expériences des autres. J’avoue que la Guinée ne fait pas de la recherche, et ceux qui le font ce n’est pas au nom de l’Etat. Il y a donc un vide. Quand on entend enseignant-chercheur, ministère de la Recherche scientifique, c’est lorsqu’il y a des recherches. D’ailleurs c’est la recherche qui fait la différence entre l’Université et les autres ordres d’enseignement. Or, tenez-vous bien, toutes les recherches que j’ai faites, l’ont été sur fonds propres. Si l’individu finance ses recherches, comment voulez-vous qu’il aboutisse à de bons résultats ? Ses résultats seront limités, car il n’aura pas tous les moyens d’atteindre toutes les cibles, d’étendre son échantillon et de couvrir un vaste espace de recherche.
L’Etat doit supporter les revues, l’organisation des colloques, former et outiller les Chercheurs. Vous savez, 60% du cours d’un enseignant-chercheur doivent provenir de ses propres résultats de recherche, les 40% devront être le fruit d’autres études. Mais en Guinée, on a l’impression que nous répétons ce qui a été déjà produit. On ne fait pas de recherche, c’est un handicap. Du coup, nos étudiants n’ont pas tous ce qu’ils attendent de nous.
Quelles solutions aux problèmes de l’enseignement ?
Il faut valoriser ceux qui obtiennent des grades. Ailleurs, dès que tu passes à un grade, tu as une prime spécifique. Il faut que l’Etat accorde de la priorité à l’Éducation : financement adéquat, mettre les enseignants et les chercheurs à l’abri du besoin, faire de l’Éducation une profession attrayante à travers des offres d’opportunités.
Un Burkinabè m’a confié ces jours-ci que son université a pris en charge son billet d’avion, ses frais de séjour à Conakry, pour une étude de quatre semaines. Deux ans après, il ira dans un autre pays. Lorsqu’il devient décideur de l’éducation, il aura un regard sur ce qui se passe ailleurs et pourra innover chez lui. Il indique qu’au Burkina Faso, en fin d’année universitaire, chaque enseignant-chercheur expose ses résultats de recherche. Un Maître-Assistant qui a publié dans une revue, fait des articles scientifiques ou participé à des colloques, a 700 000 F CFA de prime, le Maître de conférences a pour sa part 800 000 ainsi de suite.
La Guinée doit valoriser ses cadres, leur accordant les places qu’ils méritent et tout ce qu’il leur faut afin que leurs connaissances soient utiles. Mais, des thèses sont faites et l’Etat ne s’intéresse pas aux résultats afin de les exploiter et d’utiliser les solutions que celles-ci proposent. Alors pourquoi faire des thèses ? Or, les thèses sont censées résoudre des questions de société. J’ai fait huit articles, mais on ne se sert pas des résultats pour résoudre des problèmes de société. Pourquoi fais-je des recherches ? Si c’est travailler pour travailler, ce n’est plus utile. Or, récemment par exemple, Forum réfugiés (France) s’est intéressé à mes résultats de recherche qui très certainement vont lui être très utiles pour comprendre la problématique migratoire guinéenne.
Un dernier mot ?
J’encourage mes collègues, malgré les efforts limités de l’Etat, à se sacrifier pour tirer l’Enseignement supérieur et la Recherche scientifique de l’ornière. Je les invite à un travail bien fourni. J’encourage les dirigeants à ne pas répéter les erreurs du passé, à œuvrer pour la formation initiale mais aussi mettre un accent ou le maintenir dans le domaine de la formation continue (Master et Doctorat). Il faut créer, innover et soutenir l’Enseignement. Un pays ne se développe que par les recherches scientifiques. Il faut favoriser la Recherche et les Chercheurs, car ils sont le cerveau du pays et les détenteurs de la mémoire collective.
Propos recueillis par
Yaya Doumbouya