Produit de l’école guinéenne, originaire de Télimélé, Mamadou Dian Baldé s’occupe de la Corne de l’Afrique et de la région des Grands Lacs pour le Haut-commissariat des Nations Unies aux réfugiés. Titulaire d’un Doctorat en droit, il a enseigné, entre autres, en Guinée et à Séoul (Corée du Sud). Dans son portefeuille, il totalise onze pays, plus de 4 000 travailleurs et suit une bonne dizaine de millions de déplacés internes et externes qui fuient notamment la guerre au Soudan. De séjour en Guinée fin décembre, il a rendu visite au Lynx ; nous l’avons soumis à un entretien à bâtons rompus.
Le Lynx : Le moins que l’on puisse dire est que vous ne chômez pas dans votre région…
Mamadou Dian Baldé : Il y a cinq mois, j’ai été nommé directeur régional de la Corne de l’Afrique et des Grands Lacs pour le HCR (Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés). Avant, j’ai été représentant en Ethiopie pendant deux ans, durant la crise dans le pays qui a affecté le Tigré, les régions Afar et Amhara. Je suis basé à Nairobi et couvre onze pays, dont l’Erythrée, l’Ethiopie, le Soudan et le Sud-Soudan, Rwanda, Ouganda, Burundi, Somalie, Tanzanie.
Certains pays comme le Kenya s’en sortent mieux, en termes de gouvernance, du respect des droits humains ou en terme d’ouverture…Malgré leurs difficultés, ils arrivent à discuter, à aller devant la justice quand il y a besoin. A l’inverse, le Soudan est retourné en guerre depuis le 15 avril 2023. Il a connu beaucoup de conflits depuis son indépendance en 1956. Mais cette fois-ci, la guerre a touché la capitale elle-même, Khartoum. En huit mois, on dénombre sept millions de déplacés forcés : une bonne partie au Tchad, en Egypte, en Centrafrique, en Ethiopie ; une grande partie au Sud-Soudan. S’y ajoutent plus de cinq à six millions de déplacés internes. Actuellement, c’est la plus grande crise de protection dans le monde que nous avons. A titre comparatif, la crise syrienne qui était la plus majeure au milieu des années 2010 a mis deux ans à atteindre un million de déplacés. Malheureusement, la communauté internationale n’y prête pas suffisamment d’attention et d’efforts pour l’éradiquer.
Et pourquoi ?
J’ignore la raison exacte. Ce qui est évident, il y a beaucoup d’autres crises. Avant, c’était celle en Ukraine ; maintenant, c’est le conflit au Moyen-Orient. Mais, je trouve tout à fait inacceptable qu’on ait six millions de déplacés externes et que malgré les appels du Conseil de sécurité, l’Union africaine et IGAD (l’Autorité intergouvernementale pour le développement présidée par Djibouti) qui est l’équivalent de la Cedeao qu’on n’ait pas suffisamment d’attention, de soutien financier envers les victimes du conflit. Les Soudanais sont des gens parmi les plus généreux que je n’ai jamais vus. Malgré le peu qu’ils ont, ils donnent et sont très accueillants.
En quoi consiste votre mission dans cette situation ?
J’ai plus de quatre mille personnes qui relèvent de mon bureau dans cette région, des expatriés et des nationaux. C’est l’une des plus grosses opérations régionales dans le monde. C’est de la gestion mais aussi du plaidoyer pour que les réfugiés soient traités dignement, en attendant qu’ils puissent retourner chez eux. Autre chose que nous faisons dans cette région, extrêmement important : plus on accorde des droits aux réfugiés, plus on arrive à attirer des ressources de développement. Les déplacés restent en périphérie des capitales, dans des zones où il y a des problèmes d’accès à l’éducation, à l’eau, aux soins de santé…Outre le peu de ressources que le HCR apporte dans ces régions-là – nous avons tout de même un budget de près d’un milliard de dollars par an, on attire de l’argent qui bénéficie non seulement aux réfugiés mais également au reste de la population. Des endroits qui étaient très peu priorisés attirent de plus en plus de financement de développement et deviennent beaucoup plus prospères.
Peut-on aujourd’hui espérer un accord entre les généraux Mohamed Hamdane Daglo et Abdel Fattah Al-Burhane qui se disputent le pouvoir au Soudan ?
Il faut toujours espérer. C’est nécessaire qu’on obtienne la paix le plus rapidement possible. Le secrétaire général de l’ONU a appelé à un rapide cessez-le-feu et que les belligérants trouvent d’autres moyens de régler leur différend.
La question humanitaire dans la région alimente la migration vers l’Occident ?
Cinq millions de réfugiés dans la Corne de l’Afrique et les Grands Lacs, c’est presque le tiers de la population guinéenne. C’est énorme. S’ils ne sont pas bien assistés dans les pays environnants, la plupart des réfugiés iront en Afrique australe, en Afrique du nord, en Europe. Cela fragilise les Etats, crée des tensions. Nous avons tous intérêt à les assister du mieux qu’on peut dans leur région.
Des arguments qui malgré tout ont du mal à faire écho auprès des partenaires ?
Il y a de l’intérêt qu’il faut davantage renforcer. On a bénéficié du soutien de l’Union européenne, des Américains…La plus grande aide serait de trouver une solution aux causes profondes. C’est ce que nous venons de faire du 13 au 15 décembre 2023 à Genève, lors du deuxième forum mondial sur les réfugiés qui a lieu tous les quatre ans. J’y ai pris part aux côtés de plus de 4000 représentants de réfugiés, d’Etats, de société civile, d’organismes privés…Tout le monde s’est accordé sur la nécessité de traiter humainement les déplacés, mais surtout de travailler sur la solution aux causes profondes des conflits. Ce sont les pays les moyens avancés qui accueillent les 80 % des réfugiés dans le monde : Bangladesh, Pakistan, Kenya, Ethiopie…Si on parle de solidarité internationale, il faut que les Etats qui sont plus forts et riches puissent aider. Mais par-dessus tout, c’est de la paix qu’on a besoin.
L’Afrique de l’Ouest, votre région d’origine est en proie au terrorisme auquel se greffe l’instabilité politique due aux coups d’Etat. C’est quoi votre lecture ?
Il y a un collègue qui s’occupe de la région, qui est basé à Dakar. A titre personnel, je suis la situation. C’est extrêmement inquiétant. Dans la mesure du possible, il faut une meilleure gouvernance, qu’on donne le moins d’opportunités possible aux coups d’Etat. L’ONU les condamne, de même que la Cedeao. Il faut qu’on ait des gouvernants soucieux des conditions de vie de leurs gouvernés.
Que dites-vous de la situation en Guinée ?
Je ne pense pas que nous saisissons toutes les nombreuses opportunités à notre portée. Nous avons une jeunesse, des ressources humaines de qualité…Ailleurs, les pays adaptent leurs politiques aux populations qu’ils ont. La nôtre est capable de faire mieux que ce qu’elle fait.
Notre pays ne connaît heureusement pas de conflit armé. D’aucuns diraient une situation de ni guerre ni paix.
Je connais les pays en guerre, je peux vous l’assurer ! Il faut qu’on reste le moins longtemps possible dans cette situation d’exception. Il faut améliorer le climat de paix qu’on a. Et puis, il faut avancer.
Un dernier mot ?
En tant que fonctionnaire international, je vois des pays qui vont dans la bonne direction. Tout le monde ne s’entend pas, les gens dialoguent et trouvent des moyens de résolution de leurs différends pour avancer. D’autres en revanche sombrent. Il faut avoir moins de Soudan et s’en sortir. La Guinée peut choisir ce chemin. On a des terres fertiles, une bonne pluviométrie, des hommes et des femmes dynamiques…
Interview réalisée par
Diawo Labboyah