Le 14 janvier, le journaliste français, Thomas Dietrich, a été interpellé dans un hôtel de Kipé, Conakry. Thomas Dietrich menait des enquêtes journalistiques sur des présumés détournements à la Société guinéenne de pétrole, SGP.
L’incendie du dépôt de Coronthie est encore sur toutes les lèvres. Les autorités guinéennes « se démerdent » pour juguler la crise du carburant qui frappe le pays. Elles ont annoncé, tambours battants, les arrivées successives au Port autonome de Conakry de deux navires contenant de dizaines de millions de litres d’essence et de gasoil. Mais au même moment pratiquement, un scandale éclabousse le pouvoir guinéen, qui aboutit à l’expulsion d’un journaliste français devenu une sorte d’épine sous leurs pieds.
Thomas Dietrich a publié une enquête sur des pratiques douteuses que la SONAP, Société nationale des pétroles, rattachée à la Présidence, aurait orchestré. La SONAP est chargée d’importer du carburant pour la Guinée. L’enquête de Thomas Dietrich aurait dérangé jusqu’au haut sommet de l’Etat, qui aurait ordonné son interpellation et son expulsion immédiate.
Thomas Dietrich reposait tranquillement dans sa chambre d’hôtel à Kipé, dans l’après-midi du dimanche 14 janvier lorsqu’une unité mixte, « militaires-gendarmes», est allée le chercher. Ils lui intiment l’ordre de les suivre sans poser des questions. Thomas Dietrich demande qu’on le laisse se changer. Il remonte dans sa chambre, change d’habit : « Il n’a subi aucune agression, il est sorti de sa chambre devant nous. Il a quitté l’hôtel en rigolant même », explique un témoin de la scène. Ce journaliste, proche de la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon, a finalement été expulsé dans la soirée du 14 janvier, suite à l’implication de l’ambassade de France en Guinée.
Thomas Dietrich est parti de la Guinée sans son ordinateur, non sans avoir écrasé discrètement ses données : « Les militaires ont conditionné sa libération par la confiscation de son ordinateur, mais il n’a pas cédé. Il en a finalement supprimé le contenu et a laissé la machine dans les mains des militaires », ajoute le témoin.
Thomas Dietrich avait mis le pied dans le plat de la SONAP et de son Directeur, Amadou Doumbouya. De sources étrangères soupçonnent qu’Amadou Doumbouya aurait passé par des « manœuvres » illicites pour changer de traders et rehausser les parts de ces derniers pour des fins de rétros commissions : « La Guinée a besoin de 60 à 70 millions de litres de carburant par mois. Elle passe par un négociant chargé d’acheter le carburant sur les marchés mondiaux. Avant le 5 septembre 2021, la société suisse qui s’en occupait percevait 38 dollars par tonne. Elle aurait été remplacée par une société nigériane qui aurait négocié le carburant à 53 dollars la tonne. Par la suite, un avenant serait signé pour faire monter la commission à 115 dollars. Je me demande si ce n’est pas une façon de récupérer une partie après », s’interroge le journaliste qui accuse le DG de la SONAP de s’être tapé une luxueuse villa au Texas, Etats-Unis d’Amérique : « Amadou Doumbouya s’est offert une villa au Texas avec 5 chambres et autant de salles de bain, une piscine, de sols en marbre pour plus de 1 300 000 dollars américains », accuse Thomas Dietrich.
En juillet 2023, l’inspection générale des Finances, IGF, sous la houlette du ministère de l’Economie et des Finances, aurait mené des enquêtes sur ce changement de marge impliquant la SONAP. Elle aurait relevé des incohérences : « L’inspection générale guinéenne a dénoncé dans un rapport cette marge accordée à la société. Au total, près de 10,5 millions d’euros qui atterrissent dans la poche de SAHARA groupe chaque mois. La SONAP prélève, elle aussi, une taxe sur le carburant, relativement modeste jusqu’en 2022, 20 Gnf par litre. La marge est passée à 150 gnf en 2022 ».
L’arrestation de Thoma Dietrich a suscité une avalanche de réactions à l’extérieur du pays. Après Jean-Luc Mélenchon, Alioune Tine d’Africajom Center s’est fait entendre : « Nous exigeons la libération immédiate et sans condition de ce journaliste dont les compétences professionnelles et le sens de l’éthique ne se discutent pas sur le Continent. Le crime ce n’est pas l’enquête qu’il mène, mais c’est de l’empêcher et de l’intimider pour éviter que la vérité n’éclate sur la prédation des ressources minérales en Guinée. »
Ce journaliste n’est pas à ses premiers ennuis en Guinée. En 2020, au plus fort de la crise liée au 3e mandat, il avait eu des démêlés avec le pouvoir d’Alpha Condé. Là aussi, il avait été expulsé de la Guinée par les autorités qui l’accusaient d’être de mèche avec le FNDC, le Front national pour la défense de la Constitution.
Yacine Diallo