Il avait déjoué les pronostics en annonçant ne pas briguer de troisième mandat, voilà le chef de l’État sénégalais qui veut rester au pouvoir jusqu’en décembre prochain. Cette décision de dernière minute, officiellement justifiée par la nécessité d’instaurer un nouveau dialogue national, d’organiser des élections irréprochables, met le feu aux poudres et porte un coup dur à la démocratie, dans une Afrique de l’Ouest en proie à diverses formes de coup d’État.

Avec ce qui prévaut chez notre voisin du nord, qui passait pour la dernière digue de la démocratie dans la sous-région, Mamadi Doumbouya et ses homologues putschistes du Mali, du Burkina et du Niger se sentiraient pousser des ailes ! A moins que le putschiste costume-cravate soit plus excusable que celui en treillis.

Déjà, les coups d’État contre les régimes constitutionnels prennent prétexte (même fallacieux) dans les comportements anti-démocratiques des présidents civils habiles à tripatouiller la constitution, comme ce fut le cas du troisième mandat controversé d’Alpha Condé en 2020. Nul n’est naïf pour croire au discours du 5 septembre 2021, selon lequel les Forces spéciales auraient investi le palais présidentiel Sékhoutouréya, délogé l’ancien président, pour restaurer la démocratie, défendre les droits et libertés fondamentaux. En deux ans de gouvernance autocratique du CNRD, les Guinéens ne se font plus d’illusion : le treillis ne fait pas mieux que le smoking. Bien au contraire.

Force hélas est d’admettre que Macky apporte de l’eau au moulin des militaires au pouvoir. Ce qui n’est pas sans inquiéter pour l’avenir de l’État de droit en Afrique de l’Ouest. Autant on aurait brandi la réussite démocratique sénégalaise pour presser les juntes à organiser des élections libres, transparentes et céder le pouvoir, autant l’échec décevant constitue un élément de langage, une arme puissante des dirigeants militaires contre une Cedeao en mauvaise posture (taxée de partialité) et tous les défenseurs de la démocratie. Disons-le tout de go, l’heure est grave ! Pour les Sénégalais, bien sûr, mais aussi les Guinéens, les Maliens, les Burkinabés, les Nigériens…Pour tous !

Sall à l’école de Ouattara ?

Le 3 juillet, le président sénégalais avait solennellement mis fin à des mois de suspense, annonçant qu’il ne briguait pas de troisième mandat quoique, selon sa lecture, la constitution le lui permettrait. Dans la foulée, il désigne son Premier ministre Amadou Ba candidat du parti au pouvoir, l’APS. Et provoque au passage des frustrations chez nombre de prétendants de la mouvance. Mais avec Macky, on n’est pas au bout de nos surprises. Alors que devait s’ouvrir ce weekend la campagne électorale pour la présidentielle du 25 février, le chef de l’État dont le mandat s’achève le 2 avril, rétropédale et annonce dans la journée du samedi : « J’ai signé le décret 2024-106 du 3 février 2024, abrogeant le décret 2023-2283 du 29 novembre 2023, portant convocation du corps électoral. » Il prétend ainsi « réunir les conditions d’une élection libre, transparente et inclusive. » A moins d’un mois de l’échéance électorale !  

Le Sénégal s’acheminait vers un scrutin présidentiel sans Ousmane Sonko condamné pour diffamation et Karim Wade écarté par décision du Conseil constitutionnel du 20 janvier, pour cause de double nationalité. Bassirou Diomaye Faye, le plan B de Sonko, a vu en revanche sa candidature validée, quoiqu’il soit en détention préventive. Tout comme celle de Rose Wardini qui, comme Karim, est française en plus d’être sénégalaise. Macky Sall y voit des conditions « troubles » qui « pourraient gravement nuire à la crédibilité du scrutin en installant les germes d’un contentieux pré et postélectoral. Alors qu’il porte encore les stigmates des violentes manifestations de mars 2021 et de juin 2023, notre pays ne peut pas se permettre une nouvelle crise. »

De président à homme fort du pays ?

Venant d’un président inflexible sur les cas Sonko et Wade, au point de mettre le Sénégal à feu et à sang, la brusque préoccupation pour la paix et l’inclusivité interroge plus d’un. Doute-t-il des capacités de son candidat à remporter la présidentielle ou veut-il prolonger illégalement son bail à la tête du Sénégal ? L’un comme dans l’autre, il s’agit de garder le pouvoir. Directement ou par procuration. Ce qui serait anti-démocratique. Le 5 février, l’Assemblée nationale a acté le report de la présidentielle au 15 décembre, sans les députés de l’opposition expulsés par les forces de l’ordre. Le Conseil constitutionnel saisi par certaines voix dissonantes et la rue chauffée à blanc restent les recours contre l’inédit coup de force.

La situation n’est pas sans rappeler le revirement du président ivoirien en 2020. Alassane Ouattara avait alors justifié sa candidature à un troisième mandat présidentiel par le décès, à quatre mois du scrutin, de son dauphin Amadou Gon Coulibaly. Macky Sall va-t-il passer de président de la République à homme fort du Sénégal ? Le signal de Walf TV, très critique envers le pouvoir et l’internet mobile coupés, des manifestations étouffées, les Sénégalais se sentiraient en Guinée.

Diawo Labboyah Barry