La pression s’accentue sur le président Macky Sall depuis sa déclaration du 3 février 2024. Il avait alors annoncé qu’il abrogeait le décret convoquant le corps électoral pour l’élection présidentielle initialement prévue le 25 février 2024. L’annonce avait été suivie du vote d’une loi par l’Assemblée nationale fixant une nouvelle date pour le scrutin. Et depuis, les protestations, condamnations et rappels à l’ordre fusent de partout. De l’intérieur comme de l’extérieur.
Jusque-là considéré comme un modèle de démocratie, le Sénégal avait rarement fait l’objet de remontrances aussi vives liées aux questions électorales. Cette fois-ci, le pays qui a connu deux alternances démocratiques durant ces deux dernières décennies est au banc des accusés.
Première à s’inquiéter, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Après un premier communiqué relativement diplomatique mais ferme, l’organisation sous régionale dont le Sénégal est pourtant un membre influent, a élevé le ton dans un deuxième communiqué, demandant que tout soit fait « de toute urgence » pour « restaurer le calendrier électoral conformément à la Constitution du pays ».
La Cedeao, « préoccupée » par la situation politique, a déconseillé « toute action ou déclaration qui pourrait aller à l’encontre de la Constitution ».
Si la situation politique qui prévaut au Sénégal préoccupe tant la Cedeao, c’est parce que ce pays est l’un des Etats qui jouissent encore d’une stabilité démocratique dans la sous-région. En plus, depuis des années, l’organisation fait face à d’énormes pressions de la part des citoyens et de la société civile, qui n’hésitent pas à dénoncer les coups d’États « constitutionnels » et qui veulent la voir plus cohérente dans ses décisions lorsque la démocratie est menacée dans un des pays membres.
La Cedeao « a beaucoup perdu en termes de légitimité. Son image est écornée. Elle doit essayer de remettre les pendules à l’heure », indiquait Dr Romaric Lucien Badoussi, enseignant en science politique à l’Université de Parakou (Nord du Bénin) dans un entretien avec la West Africa Democracy Radio (WADR), repris par Ouestaf News.
La fermeté de la Cedeao a eu un écho favorable auprès des Etats-Unis qui disent soutenir l’organisation sous régionale dans son souhait de faire revenir le gouvernement sénégalais sur sa décision. Une note de l’Ambassade américaine au Sénégal publiée le 9 février sur X, ex-Twitter, demande l’organisation d’élection « dans les meilleurs délais ».
De son côté, le Secrétaire général des Nations unies (Onu), Antonio Guterres, a également appelé au respect de la constitution pour « assurer la tenue d’une élection présidentielle inclusive et transparente ». Dans un communiqué daté du 9 février 2024, signé par Stéphane Dujarric, son porte-parole, le Chef de l’Onu a aussi invité les acteurs politiques « à engager le dialogue » et « à s’abstenir de recourir à la violence ».
La réaction est tout aussi ferme du côté de l’Union européenne (U.E), souvent accusée par les Africains de se taire sur les dérives des chefs d’Etat du continent (pour ne pas dire d’être complice) lorsque ces derniers mènent des politiques qui leurs sont favorables. Cette fois-ci, l’U.E a demandé au gouvernement du président Macky Sall « d’organiser l’élection le plus rapidement possible » dans une déclaration publiée le 9 février 2024. Elle presse les autorités sénégalaises de « respecter les aspirations légitimes des citoyens et de toutes les forces vives de la nation à préserver la démocratie ».
Par ailleurs, l’U.E exige du gouvernement sénégalais de « garantir » le respect des libertés, alors que plusieurs organisations appellent à manifester contre le report de la présidentielle au 15 décembre 2024.
A l’intérieur aussi
Les pressions sur le pouvoir sénégalais ne viennent pas que de l’extérieur. A l’intérieur du pays également, une multitude d’acteurs politiques, d’organisations de la société civile ainsi que des hautes personnalités, ont condamné l’interruption du processus électoral et réclamé la tenue de la présidentielle « selon la constitution ».
Sur les réseaux sociaux un hashtag #AarSunuElection (Protégeons notre élection) est apparu et a commencé à circuler sur la blogosphère sénégalaise. Ces contestations ont parfois pris des allures violentes.
Ainsi, le vendredi 9 février 2024, des manifestations violentes ont éclaté à Dakar et dans certaines villes de l’intérieur du pays. Elles se sont poursuivies le lendemain samedi, notamment dans le sud du pays. Selon les médias locaux et des médias étrangers basés au Sénégal, au moins trois manifestants ont été tués à Saint-Louis (nord), Ziguinchor (sud) et Dakar.
Des organisations de la société civile réunies autour d’une nouvelle plateforme, également dénommée « Aar Sunu Élection », ont exigé « le rétablissement » du calendrier électoral, à travers un communiqué publié le 7 février 2024.
Cette plateforme composée d’Ong, de syndicats, d’universitaires, de religieux et de personnalités indépendantes, a appelé les Sénégalais à « se mobiliser en masse » dans tout le pays et dans la diaspora pour condamner le report de l’élection présidentielle.
Le Forum Civil, section sénégalaise de Transparency International, a demandé à la communauté internationale de prendre « des sanctions appropriées » à l’encontre des acteurs et partisans de « ce coup d’Etat constitutionnel ». La note de l’organisation, publiée le 9 février 2024 cite notamment le président Sall et les députés qui ont voté le projet de loi sur le report du scrutin présidentiel.
Des protestations sont également venues des milieux religieux, traditionnellement jugés proches des pouvoirs en place.
L’archevêque de Dakar, Monseigneur Benjamin Ndiaye, a souligné que les raisons invoquées par le président Sall pour reporter l’élection présidentielle ne sont pas « claires pour tout le monde ».
« Cela m’étonne que l’on ait pu remettre en cause tout un processus qui, malgré ses défauts et ses difficultés, était en voie d’être engagé pour la consultation du peuple sénégalais », regrette le chef de l’Eglise catholique dans une vidéo publiée sur YouTube par Kto, un média proche de l’Église catholique.
Avant même le vote de la loi par l’Assemblée nationale, la Ligue des imams et prédicateurs du Sénégal (Lips) avait elle aussi protesté contre ce qu’elle qualifie de « violation illégitime et illégale du droit du peuple sénégalais à choisir librement son président ». Selon cette association de religieux, la décision du président Sall est « en contradiction avec son rôle de gardien de la Constitution, car elle viole toutes les dispositions pertinentes de notre charte fondamentale ».
Des organisations du patronat et du secteur privé, souvent muettes sur les sujets politiques, se sont jointes à la vague de dénonciations du report de l’élection.
Le Rassemblement des entreprises du secteur des technologies de l’information et de la communication (Restic) a ainsi demandé « le respect de la charte fondamentale sénégalaise et la restauration du calendrier électoral ».
Le 7 février déjà, le Club des investisseurs sénégalais (Cis) avait lui aussi appelé « au respect de la Constitution » afin d’éviter que le Sénégal ne sombre dans « des lendemains incertains ».
Sept syndicats d’enseignants, considérés comme étant parmi les plus représentatifs dans leur secteur, ont exigé lors d’une conférence de presse le 9 février, « le retrait » de la loi sur le report du scrutin. Ils estiment qu’il s’agit d’« un acte illégal et anticonstitutionnel » qui risque de faire « basculer le pays dans une crise sociopolitique sans précédent ».
Le vendredi 9 février 2024, des députés de l’opposition ont déposé, auprès du Conseil constitutionnel, un recours en annulation du décret et de la loi qui ont acté le report du scrutin et tacitement prorogé le mandat du président Sall de neuf mois.
En attendant la décision du Conseil constitutionnel, des universitaires dont des professeurs agrégés de droit soutiennent que décret et la loi sur le report de l’élection « violent la Charte fondamentale qui dénie au président de la République et à l’Assemblée nationale toute prérogative pour interrompre le processus électoral déjà enclenché ».
Signataires d’une tribune, cinq professeurs parmi lesquels d’anciens recteurs d’université et doyen de faculté précisent qu’« il appartient exclusivement au Conseil constitutionnel de décider de l’opportunité du report de l’élection présidentielle ».
Face à autant de récriminations, le président Sall s’est vu obligé de réagir, en accordant un entretien le 9 février 2024 à l’agence américaine Associated Press, certainement pour s’expliquer auprès de ses alliés américains.
Selon Macky Sall, sa décision n’a rien à voir avec un quelconque désir de prolonger son mandat, mais s’explique plutôt par la volonté d’« œuvrer pour l’apaisement » à travers des « discussions inclusives », afin de ne pas laisser derrière lui « un pays qui va immédiatement sombrer dans difficultés majeures ».
Sur le recours en annulation introduit par plusieurs députés auprès du Conseil constitutionnel, Macky Sall n’a pas répondu si oui ou non il acceptera une décision d’annulation du Conseil constitutionnel, préférant dire qu’il donnera sa position le moment venu. Ce qui n’est pas sans rappeler son fameux « ni oui, ni non » qui a longtemps tenu le pays en haleine avant qu’il n’annonce finalement son intention de ne pas se représenter pour un troisième mandat.
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