Mamadou Sounoussy Diallo, PhD Socio-Anthropologie, Maître-Assistant du CAMES, enseignant à l’Université Général Lansana Conté de Sonfonia Conakry avait abordé la migration irrégulière guinéenne vers les Etats-Unis en janvier dernier. Notamment la route migratoire, Conakry-Dakar-Istanbul-Nicaragua (…) Mexique-Etats-Unis d’Amérique. Pour la suite de ses recherches, il revient dans cet article sur la vie des migrants aux Etats-Unis. Bonne lecture !
Accueil, socialisation, insertion, régulation (suite)
Le flux migratoire irrégulier en direction des Etats-Unis a apporté une valeur ajoutée au métier d’avocat dans ce pays. Pour la régulation de la situation de ces migrants irréguliers, les avocats sont sollicités, au point qu’ils seraient aujourd’hui débordés. A cet effet et au nom du principe universel de Droits de l’Homme, il existe les avocats commis par l’Etat américain, pour offrir une assistance aux immigrés. Selon nos informateurs, ces avocats de l’Etat américain sont débordés par des dizaines de milliers de demandes d’immigrés en quête de la régulation vis-à-vis de l’Etat américain. Il y a des avocats qui ont des clients dont les rendez-vous vont jusqu’en 2045, nous a confié un compatriote très introduit dans l’aide et l’orientation aux migrants. On nous rapporte aussi que les avocats de l’Etat sont devenus très rares et inaccessibles. C’est pourquoi, les migrants les plus nantis, qui sont appuyés par un parent ou un ami économiquement stable installé en Guinée, aux USA ou dans d’autres pays africains et européens ou encore asiatiques, font recours aux avocats privés. Le marché d’avocats privés est devenu un vrai ‘’business’’. Selon nos enquêtés, il se négocie entre 5 000 et 6 000 dollars américains voire plus. Le prix dépend de la célérité avec laquelle le migrant veut qu’on traite son dossier. Ceux qui misent plus sont les premiers servis. Rarement ces avocats acceptent de travailler en deçà de ce montant, puisqu’ils seraient eux-mêmes débordés par la foule d’immigrants. Cet enquêté affirme : « La plus grande difficulté actuellement, c’est de trouver un avocat, ça coûte cher surtout pour le nouvel immigré ».
Les migrants les moins fortunés et n’ayant aucun soutien ni en Guinée encore moins aux Etats-Unis ou ailleurs font le travail de l’ombre qu’ils appellent ‘’se débrouiller’’, afin de trouver de l’argent pour se payer les services d’un avocat. On les retrouve dans les centres de lavage d’automobiles, la livraison ou la plonge dans les restaurants. Bref, ils sont dans les petits boulots moins rémunérés, peu garantis et pas du tout protégés. Or, pour trouver ces activités, un minimum de documents d’autorisation est requis. Les ressources mobilisées servent aux besoins quotidiens, à se chercher un avocat, pour avoir des documents de travail et de séjour sur le sol américain, en espérant une intégration dans la société d’accueil. Ce processus n’est pas chose aisée, surtout pour un nouvel immigrant arrivé illégalement dans le pays de l’Oncle Sam, un pays de stricte loi. Témoignage d’un migrant : « Nous faisons ces petits boulots en attendant d’obtenir le permis de travail appelé ici le ‘’WORKING PERMIT’’. Les revenus tirés de ces petits jobs nous permettent de faire face à la préparation de notre dossier d’asile. Puisque sans le dossier d’asile, vivre libre sur le territoire américain est quasiment impossible. Ici, ce n’est pas comme en Guinée ; la loi est stricte ». Un autre ajoute : « Il faut trouver une assurance santé, la carte d’identité, la carte pour le bus et le métro pour se mouvoir. Ici, c’est compliqué, car tout est à l’ère du numérique ».
Selon les migrants enquêtés, les documents comme le permis de travail et la carte médicale ne sont pas vendus aux migrants, il y a une procédure à suivre pour leur obtention. Il faut d’abord faire sa demande d’asile, après l’avoir obtenue, il faudra attendre au moins 150 jours, pour demander le permis de travail. Si le gouvernement américain ne fait pas payer ces documents pour les avoir, il faut passer par l’internet, c’est l’heure de la digitalisation. Naturellement ceux qui aident à faire ces applications internet sont rémunérés, car c’est leur ‘’gagne-pain aussi’’. C’est cela aussi les sociétés industrielles ‘’ tout se vend, tout s’achète, rien ne s’offre gratuitement’’.
Accompagnement des migrants : rôle des associations à caractère ethnico-territorial
Dans le processus d’accueil, de socialisation, d’insertion et de régulation administrative des migrants, les associations à caractère ethnico-territorial jouent un rôle de premier plan. Elles sont constituées de primo-migrants ayant souvent acquis une expérience de la vie migratoire et de l’américaine. Ces primo-migrants offrent les services d’accueil, de conseil, d’orientation et d’accompagnement. A cet effet, les réseaux sociaux comme WhatsApp et Telegram sont très sollicités et utilisés par les migrants. Ce sont d’ailleurs les canaux obligatoires pour s’informer et informer les acteurs de l’écosystème migratoire. Le migrant qui entre en contact avec les primo-migrants avant, pendant et après le parcours migratoire est admis au sein des groupes (WhatsApp et Telegram) où il reçoit les informations, l’appui et l’assistance. Dans ces groupes des réseaux sociaux, il est souvent conseillé aux nouveaux migrants de respecter la loi américaine, elle est sans pitié, personne n’est au-dessus d’elle. A cette instruction, s’ajoute ce conseil : « Soyez patient, attendez votre permis de travail, évitez de travailler dans le noir, ne travaillez pas pour du ‘’Cash et du douteux’’, évitez toute activité illégale ». Ce conseil permet aux nouveaux migrants d’éviter de tomber dans les activités interdites. Les primo-migrants conseillent aux nouveaux migrants de déclarer leur revenu en gardant soigneusement les reçus de leur emploi, car c’est un principe de vie et de travail de la société américaine. Ces associations invitent parfois des avocats à leurs propres frais, pour conseiller les nouveaux migrants sur les attitudes et comportements à adopter. Les conseils de ces avocats portent souvent sur comment rédiger son histoire de vie et comment se comporter devant le juge fédéral voire dans la vie courante américaine.
Une autre étape importante où les associations ethnico-territoriales interviennent, c’est la conception de l’histoire de vie du migrant. L’histoire de vie du migrant est un document qui indique les motifs qui expliquent son départ de son pays d’origine pour les Etats-Unis. Ces motifs varient suivant l’âge et le sexe du migrant, mais aussi du contexte sociopolitique de son pays d’origine. Au cours de nos enquêtes, il est apparu que des migrants falsifient leur âge à la conception des documents de voyage, pour être dans la fourchette des mineurs, surtout des mineurs non accompagnés en situation de mobilité. Ils font tout, pour se retrouver dans la catégorie des mineurs alors que physiquement et psychologiquement, même à vue d’œil, on sait qu’ils ne le sont pas.
Les femmes, quant à elles, se cachent derrière la politique de promotion et de protection du genre, chère à la société américaine. Ces femmes affirment être persécutées par la société guinéenne, pour des faits comme : le mariage forcé ou les mutilations génitales féminines (MGF). Elles oublient souvent qu’avec ces arguments, elles mettent la Guinée dans une liste noire ou de mauvais élève dans le cadre de l’atteinte des OMD ou du Développement durable. Nombreux sont aussi des migrants qui mettent en avant les questions politiques comme facteur déclenchant leur départ migratoire. Pour obtenir l’asile, ils soutiennent bec et ongles qu’ils sont persécutés politiquement et socialement en Guinée. Une persécution qui serait due à leur opinion souvent critique vis-à-vis des gouvernants du pays. Ce qui est parfois une réalité. Mais là aussi, ils contribuent à assombrir l’image de la Guinée, amenant ainsi les partenaires étrangers à classer le pays d’infréquentable. Alors que la Guinée n’est ni en guerre encore moins victime de catastrophe naturelle.
Le draft de l’histoire de vie que les associations ethnico-territoriales ont aidé à construire va chez l’avocat. Ce dernier se charge de le réarranger, pour plus de chance d’être accepté par le juge et les responsables de l’immigration. Toutefois, ce discours ne représente pas un sésame qui garantit l’obtention de l’asile. Dans une publication récente du New York Times, il est écrit qu’un couple guinéen ayant un bébé d’environ huit mois, qui avait fourni preuves et arguments, s’est vu refuser l’asile par l’Etat de New York. Le couple n’a aujourd’hui que ses yeux pour pleurer et la religion, pour faire accepter ses fatalités et ses bévues douloureuses.
A côté des associations ethnico-territoriales des primo-migrants guinéens et africains aux Etats-Unis, des ONG et des églises aident les migrants à la fois pour leur survie mais aussi pour les démarches liées à leur situation administrative. (Suite et fin dans notre prochaine mise en ligne).
Par Mamadou Sounoussy Diallo
PhD Socio-Anthropologie Maître-Assistant du CAMES
Université Général Lansana Conté de Sonfonia Conakry