Dans la livraison N° 746 du 10 juillet 2006 du Lynx, ce titre barrait la Une du satirique : ‘’Crise sociale, économique et financière, Pourquoi la Guinée ne meurt pas !’’ Au regard de la situation que nous vivons depuis 2006, comme dirait l’autre, beaucoup d’eau a coulé sous le pont, et le sort des Guinéens ne s’est guère amélioré. Nous republions l’article in extenso, pour interpeller ceux qui nous gouvernent et ceux qui aspirent à gérer le pays à prendre enfin conscience de notre retard dans tous les domaines…
A intervalles réguliers, l’Institut du Fonds Monétaire International, basé à Washington, organise des cours à l’intention des fonctionnaires des pays pauvres soumis aux différents programmes de réformes économiques. Dans ce cadre, des sujets d’études de cas pratiques présentent les distorsions qui caractérisent les économies en difficultés. A supposer que le cas guinéen soit présenté aux bénéficiaires des cours du Fonds et que les chargés de cours annoncent qu’il ne s’agit pas d’une hypothèse théorique, mais bien d’un cas réel et existant, ceux-ci seraient bien incapables de sortir sur papier, le dossier Guinée des difficultés qui nous accablent. C’est que le tableau Guinée fait apparaître les symptômes d’un malade en phase terminale irréversible.
– Un taux d’inflation à deux chiffres;
– Un ratio du déficit budgétaire par rapport au PIB supérieur à 8% ;
– Un taux de chômage réel de plus de 40% de la population active;
– Inexistence de réserves de change susceptibles d’assurer la couverture des transactions avec l’extérieur ;
– Inexistence des investissements publics et privés en dehors du secteur minier;
-Inexistence des services de base aux populations des agglomérations urbaines (eau, électricité et téléphone) ;
– Un déficit accablant de la balance des paiements, montrant une dépendance extrême vis-à-vis de l’extérieur ;
– Un effondrement du dispositif de santé dont l’incapacité à apporter le minimum requis pour la survie des populations se passe de commentaires ;
– Une faiblesse, voire une détérioration avancée des routes dénotant de l’absence d’Etat ;
– Un effondrement du dispositif de sécurité plongeant les populations dans des deuils consécutifs à la criminalité croissante ;
-Inexistence du sentiment de justice par le délabrement croissant du système, faute de moyens ;
– Une dépense excessive d’énergies des individus confrontés à la recherche de solutions multiples et difficiles pour surmonter les contraintes de l’existence ;
– Une destruction de l’école de la base au sommet ;
Face à une telle énumération, non exhaustive, les experts les plus qualifiés s’épuisent à chercher les causes de la non-explosion du pays. Au nombre des causes souvent évoquées, plusieurs éléments sont cités sans fournir de réponses satisfaisantes. Passons en revue quelques-uns des éléments les plus cités !
Pour les uns, il faut rechercher les causes de la résignation profonde du Guinéen dans la réminiscence des politiques autoritaires et dictatoriales de l’ancien régime. Celles-ci seraient, disent-ils, responsables de la diffusion de la peur et de l’inhibition collective qui caractérise les Guinéens.
Pour les autres, il faut rechercher les causes de l’inaptitude du Guinéen à s’emparer de son destin par la prévalence d’un grand nombre d’analphabètes et donc, par l’état d’arriération culturelle des masses, rendant celles-ci inaptes à réagir pour changer le cours de son histoire. A l’appui de cet état culturel défectueux, on ajoute aussi les oppositions de source ethnique et régionale.
Pour d’autres encore, les causes de la soumission aveugle du Guinéen à toute autorité, même celle caractérisée par l’ignorance et la bêtise, serait due à la prévalence du taux de religiosité des populations. Pour les tenants de cette hypothèse, les religions dominantes pratiquées par les Guinéens, en l’occurrence l’Islam et la Chrétienté, véhiculeraient les gènes de la fatalité, selon laquelle tout ce qui arrive à l’homme serait pré écrit et que l’homme ne peut pas changer les malheurs qui s’abattent sur lui, vu que ceux-ci figuraient déjà dans sa table initiale de vie. De même, les défenseurs de cette argumentation évoquent l’incursion du religieux dans la sphère politique. Cela serait particulièrement observable à travers les agissements du Ministère de la Ligue Islamique et le silence assourdissant de l’Eglise catholique après le départ de Monseigneur Robert Sarah.
Il est aisé de constater que toutes ces hypothèses tentent de fournir des explications partielles et insuffisantes de la situation de refus d’extinction de la Guinée face à l’avalanche des catastrophes d’origine humaine qui s’abattent sur elle. La combinaison des arguments des uns et des autres n’arrive pourtant pas à éclairer l’esprit le plus docile.
A mon humble avis, à l’appui de ces arguments combinés à l’appui aussi de ceux que certains cerveaux moins sclérosés que le mien pourraient apporter, il faut ajouter l’explication que voici : les chiffres officiels ou formels, qui ressortent de l’analyse macroéconomique et des statistiques, ne reflètent pas la situation de la Guinée réelle.
L’économie parallèle et sou- terraine est la seule responsable de la non-disparition de la Guinée. Or, elle est inconnue et a pris des proportions importantes. Elle est la résultante du recul, voire de l’inexistence de l’Etat. Sans être visible, elle tient à bout de bras et de manière désordonnée, la nation. Jusqu’à quand ? Attendons de voir. Si nous ne mourrons pas avant.
La Guinée des « Pourquoi ? »
Pourquoi, durant ces 5 dernières décennies, la Guinée a-t-elle réussi à produire deux systèmes autoritaires et dictatoriaux ?
La culture, les traditions, les systèmes familiaux et l’organisation démographique de la population guinéenne contiennent-ils les germes sur lesquels poussent les systèmes totalitaires ?
Pourquoi le peuple de Guinée applaudit-il les régimes politiques qui rivalisent dans la voie de son anéantissement?
Pourquoi la population se rend-elle coupable active ment des régimes politiques totalitaires ?
Pourquoi, par sa résignation tout aussi coupable, les Guinéens sont-ils plus aptes à favoriser la naissance et la croissance de régimes politiques voués aux massacres des gens ?
Pourquoi les médiocres ont-ils toujours réussi à conquérir le pouvoir et à anéantir le pays avec le consentement beat des populations ?
Pourquoi la démagogie, la délation et le mensonge sont- ils plus respectés et honorés par les Guinéens ?
Pourquoi le massacre de ses fils par les deux régimes politiques violents que la Guinée a secrétés, laisse-t-il les Guinéens indifférents ? Le débat est plus qu’ouvert…
La technique du bouc-émissaire
Pour expliquer leurs échecs, les hommes et les organisations ont la pernicieuse tendance à rejeter la responsabilité sur les autres. A première vue, et compte tenu du confort que procure cette situation, un esprit avisé peut être amené à en rire, voire à se moquer tout en sous-estimant les conséquences qui peuvent en découler. Celles-ci sont pourtant graves en ce qu’elles permettent d’occulter les responsabilités réelles.
Or, en jetant un voile sombre sur les causes effectives d’un échec, en orientant l’appréciation des facteurs objectifs sur des fausses pistes et en détournant l’examen consciencieux des motifs de la catastrophe, on se prive, des véritables moyens d’action pour apporter les corrections requises, avec le risque de croire aux balivernes qu’on s’est racontées à soi-même.
Il en est ainsi du cas de la Guinée où tout ce qui échoue est de la responsabilité des autres. Puisque les actions qui débouchent sur un échec retentissant sont les plus nombreuses, l’ensemble du système s’effondre avec les conséquences désastreuses que l’on connait: Quelques exemples illustrent cette affirmation.
En 1964, tout ce que ce pays compte de ressources humaines de qualité adopte une loi dite loi cadre du 8 novembre. Cette loi proclame avec force que désormais, la Guinée s’engage dans la voie de développement non capitaliste qui rejette le système capitaliste fondé sur les principes du respect de la propriété privée, sans adhérer aux fondements de l’organisation de la société socialiste. Toute l’élite du pays plonge celui-ci dans un système dont l’aber ration saute aux yeux. Les conséquences d’un tel choix ne tardent pas à apparaitre au grand jour, avec la destruction de l’embryon de structure économique.
L’échec économique, avec les désordres sociaux et culturels qui en résultent, entrainent, non pas une révision déchirante du choix de départ, mais un renforcement de l’appareil sécuritaire de répression et une fuite en avant dans le renforcement des décisions de plus en plus aberrantes. Au titre de la répression, le complot Kaman-Fodéba est une illustration tandis que l’adoption de la révolution culturelle, le 2 août 1968, déclenche le processus d’anéantissement système éducatif.
Les résultats médiocres à tous les niveaux et les contre- performances enregistrées par le système, sont imputés à « l’impérialisme international », au « néocolonialisme français » et à l’action de la « 5ème colonne intérieure ».
De cette façon, les cerveaux embrumés, desquels ont jailli les choix anachroniques, ne sont responsables de rien. La faute incombe aux autres. Le même raisonnement s’applique à la collectivisation absurde de l’agriculture par les BMP, BAP et autres FAPA, avec les résultats que l’on sait.
De même, avec l’avènement de la Deuxième République, la communauté internationale appuie le gouvernement en injectant plus de 500 millions de dollars américains dans le secteur énergétique. Tout le monde connaît, sans être allé à l’école, les performances de ces deux secteurs. Les statistiques relatives à l’accroissement des importations de céréales attestent de l’effondrement de l’agriculture guinéenne tandis que l’inexistence de l’électricité choque toutes les consciences.
Les responsables de ces échecs sont à rechercher du côté des ennemis de la Guinée généralement représentés par les Européens, les Blancs, qui ont eu le malheur de priver leurs pays de ressources qu’ils nous ont affectées. On n’a même pas la décence de se taire ou d’avoir honte de l’utilisation humiliante de l’argent reçu. Le même raisonnement s’applique aux flux d’argent reçus de l’extérieur pour les secteurs de l’éducation et de la santé durant les deux dernières décennies.
En imputant la responsabilité de nos échecs aux autres, on persévère dans les mauvais choix et dans l’usage des pratiques les plus scandaleuses, tout en se donnant bonne conscience sur le tas de nos incohérences. Notre incapacité à imaginer un projet et à le mener à bien est-elle inscrite dans nos gènes, à moins qu’elle ne dépende de l’incompétence…congénitale des dirigeants ?
Karim Ismaël