Les récents incendies qui ont ravagé la Guinée mettent en évidence la déliquescence de la protection civile guinéenne. Retour sur les difficultés d’un secteur vital, mais oublié.

L’explosion du principal dépôt pétrolier du pays à Coronthie, la nuit du 18 décembre 2023, a été suivie d’une spirale d’incendies non encore élucidés: le Centre commercial Foula Bah au marché Madina, le Camp Samory Touré, le marché de Kounsitel, le dépôt de matériel de la société Electricité de Guinée à Hamdallaye… A Conakry, le dernier cas en date (connu) est l’incendie d’une partie du marché d’Enco5, dans la soirée du 2 juin.

Outre le mystère qui entoure ces drames, le retard ou l’absence de la protection civile interpelle. A chaque fois qu’un incendie se signale, les sapeurs-pompiers tardent à arriver ou brillent simplement par leur absence. Ce fut le cas à Enco5, où leur absence a révolté des jeunes secouristes qui s’en sont pris aux citernes d’une société privée sur le point d’aider à éteindre les flammes. Comment comprendre l’inefficacité et la lourdeur dans les interventions de la protection civile ?

Un secteur oublié

Le service de la protection civile relève du ministère de la Sécurité et de la protection civile. Mais c’est un secret de polichinelle qu’il constitue le parent pauvre de ce département. Alors que les autres services sont bien équipés, notamment en matériels de répression, la protection civile, elle, végète dans une misère indescriptible. Ses équipements sont peu, voire pas renouvelés. Ses différents sièges à Conakry laissent à désirer. Au Centre d’incendie et de secours de Matoto, la vétusté des installations frappe le visiteur. Pourtant, l’unité est censée couvrir toute la commune de Matoto, de Gbessia à Lansanaya-barrage.

Mais à date, le Centre n’a aucun équipement en état de marche. « Nous sommes oubliés par le ministère de la Sécurité et de la Protection civile. Je peux même dire que nous sommes maudits ! Ce n’est rien d’autre que de la malédiction », a fustigé, sous anonymat, un des responsables du CIS de Matoto.

Dans l’enceinte de l’unité, stationnent trois guimbardes aux pneus crevés. La première sert normalement de camion de premier secours, la seconde d’ambulance et la troisième au rôle indéfini. Aucun des trois tacots ne peut rouler, voilà des mois qu’ils sont à l’arrêt. « Nous n’avons aucun équipement fonctionnel. Il n’y a pas de protection civile en Guinée. Ce que nous avons ici comme engin ne peut intervenir dans un théâtre d’incendie. Le camion ne peut même plus bouger », décrit la source anonyme précédemment citée. Et de pointer la responsabilité des autorités dans l’abandon de la Protection civile : « Au ministère, on dit à nos responsables que notre service ne rapporte pas d’argent à l’Etat. Ils oublient que nous sommes un service social et apolitique. Mais quand tu parles, tu prends immédiatement une sanction…Le perdant, c’est la population. » Ainsi, tout le monde ferme la bouche et les oreilles devant les plaintes des populations. Mais jusqu’à quand ?

Colère légitime ?

Dans les théâtres d’incendie, les agressions contre les sapeurs-pompiers sont monnaie-courante. Souvent excédés par le retard dans leurs interventions, les populations s’en prennent à eux. Notre source se montre plutôt compréhensive : « Je comprends la colère de la population. Il n’y a pas plus difficile que de voir ses biens acquis à la sueur de son front partir en fumée en quelques secondes. Toutefois, elle doit toujours se rappeler que la protection civile est sous équipée. C’est l’Etat qui nous a tous abandonnés. Tant qu’on n’a pas un service équipé, prompt à réagir, nos agents se feront agresser. C’est une réaction naturelle.»

Selon notre source, la protection civile guinéenne ne dispose que du matériel de premiers secours. « Ce sont des engins qu’on utilise pour circonscrire le feu, en attendant l’arrivée de vrai matériel d’intervention. Mais malheureusement, ce matériel n’existe pas, nous faisons avec ce qu’on a. » Notre interlocuteur demande aux autorités de la transition de rattacher le service à un autre département, espérant qu’il se porterait mieux.
Kaloum, sans bureaux ni équipements
Si le CIS de Matoto couvre, dans les conditions normales, sa commune, celui de Kaloum s’occupe (outre la sienne) de Kassa, Matam et Dixinn. A date, le Centre n’a qu’un seul camion fonctionnel. Le deuxième est en panne depuis des mois, le moteur est même par terre; la seule ambulance est sur cale. « Nous comptons beaucoup plus sur les services de la société Topaz. La protection civile guinéenne, c’est comme le maçon qui rafle un marché, mais qui se met à emprunter du matériel de gauche à droite », compare, avec pédagogie, un responsable qui a requis l’anonymat.

Ce service, censé être le plus grand du pays, n’a même plus de bureaux. Dans la cour, tout est sens dessus dessous. Les agents se retranchent sous une tente qui leur sert d’abris de fortune. Le 13 septembre 2023, Bernard Goumou, Premier ministre d’alors, Dansa Kourouma, président du CNT et Bachir Diallo, ministre de la Sécurité et de la protection civile, ont posé, avec faste, la première pierre de la reconstruction de la caserne du Centre d’incendie et de secours de Kaloum. Presqu’un an après, les travaux n’ont pas démarré.

Le numéro vert, dont les installations sont dans un conteneur, fonctionne par intermittence. L’agent appelle tout de même la population à ne pas s’attaquer aux sapeurs-pompiers : « La population doit avoir la maturité de nous laisser faire notre travail », insiste-t-il. Il rappelle les autres entraves à une intervention dilligente: quartiers enclavés, mauvaises routes et manque d’adresses.

Un incendie révélateur

Après l’incendie du dépôt de Coronthie, toutes les forces ont été mobilisées, le gouvernement en tête, pour venir à bout des flammes. Un élan qui a fait défaut aux autres incendies, bien qu’ils n’aient pas la même ampleur. L’explosion du dépôt d’hydrocarbures a permis de comprendre que la protection civile guinéenne est pratiquement à refaire. Pour ce qui est de l’incendie d’Enco5, le CIS de Matoto s’en lave les mains. Ceux qui étaient de garde, le 2 juin, jour du sinistre, déclarent avoir redirigé l’alerte, « moins de 2 minutes après », vers la société Topaz. Il en est ainsi depuis que la logistique du Centre d’incendie et de secours de Matoto est en panne.

Sur le terrain, le service de secours de Topaz s’est malheureusement heurté à l’hostilité des jeunes en colère. Ses agents ont rebroussé chemin. Ismaël Diakité, administrateur du marché d’Enco5 et d’autres commerçants dénoncent le comportement de ces jeunes. Ils estiment que ces derniers ont aggravé les pertes. Faux, rétorque l’un d’eux, Mohamed Keïta : « Nous étions en colère parce que nous avons attendu près d’une heure, personne n’est venue. Nous avons estimé qu’ils n’avaient plus rien à faire sur les lieux, le feu déjà circonscrit. Il ne restait plus qu’à éteindre les dernières flammes. Nous avons agi sous l’effet de la colère certes, mais nous ne sommes ni loubards ni voleurs. Beaucoup de ces jeunes travaillent d’ailleurs dans ce marché. Si nous avions attendu les sapeurs-pompiers avant d’intervenir, une bonne partie du marché allait brûler. On ne serait pas là aujourd’hui à spéculer. »

Les premiers responsables communaux de Kaloum et de Matoto n’ont pas accepté de s’expliquer. A Matoto, l’assistant du maire affirme que des commissions sont mises en place pour réfléchir à « des solutions pérennes. » A quand le temps des actions ?

Yacine Diallo