Le 19 juillet, sous la présidence du Premier ministre Bah Oury, le ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique, Alpha Bacar Barry, a lancé les travaux d’aménagement de la Cité des sciences et de l’innovation, à Ratoma-centre. Nous en avons profité pour échanger avec le professeur Alpha Issiagha Pallè Diallo, directeur général du Centre de recherches de Conakry Rogbanè (CERESCOR), devenu Centre de recherches marines et côtières (CEREMAC).
Il aborde la future collaboration avec la nouvelle Cité, ainsi que d’autres sujets comme le changement climatique qui plombe la production de l’électricité à Souapiti.
« Le CERESCOR n’était que l’ombre de lui-même, les ateliers mécaniques ont pris la place des labos », a déploré le Premier ministre lors de la cérémonie de lancement des travaux de construction de la Cité des sciences et de l’innovation, le 19 juillet, sur le hall décrépit du Centre de recherches de Conakry Rogbanè. Des travaux qui dureront six mois et dont le coût demeure mystère. « Rogbanè va renaître de ses cendres, promet Bah Oury. Le présent projet témoigne de notre engagement de remettre en selle la recherche et l’innovation. »
La Cité sera dédiée à la recherche et l’innovation en environnement et développement durable à l’ère du numérique, a renchéri Alpha Bacar Barry, ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique. Elle comprendra un Institut en océanographie et bassins côtiers, un Centre d’intelligence des données, un Centre d’exposition, une Maison de l’innovation et un Digital media Lab. Elle servira également de siège à l’Académie des Sciences de Guinée.
Pour en savoir sur la cohabitation et la collaboration entre la nouvelle Cité et le Centre de recherches de Conakry Rogbanè (CERESCOR), devenu Centre de recherches marines et côtières (CEREMAC), nous nous sommes entretenus avec le professeur Alpha Issiagha Pallè Diallo.
La Lance: Pourquoi ce changement de nom?
Professeur Alpha Issiagha Pallè Diallo: Pour celui qui ne connaît pas bien le CERESCOR, il ne saurait l’activité qu’il mène. On n’a réalisé que l’ancien nom ne dirait rien à un étranger ou à celui qui ne l’a pas visité. Le changement de nom, opéré par le ministère de l’Enseignement supérieur dans le cadre d’une série de réformes, est intervenu au début du mois de juillet. Nous n’avons pas encore reçu le décret.
Et il y aura la Cité des sciences et de l’innovation. Comment se fera la cohabitation ?
Ce sont deux structures différentes. Nous, nous restons toujours CEREMAC. Les autres viennent nous rejoindre. Nous sommes indépendants les uns des autres. Mais nous avons besoin de collaborer, travaillant tous dans le cadre de l’environnement. Le CERE (Centre d’études et de recherches en environnement) couvre l’environnement en général, nous nous intéressons à l’environnement marin et côtier, l’océanographie ; d’autres s’occupent de la gestion des déchets…
On a des missions similaires, éparpillées. Le ministère veut réunir toutes les structures qui interviennent dans l’environnement, en vue d’une véritable collaboration entre elles. Mais au-delà du Centre de recherches, il y a l’Académie qui doit venir, l’Observatoire de la mer, ainsi que plusieurs autres structures. C’est juste la dénomination qui change.
La Cité des sciences et de l’innovation associe d’autres Centres au CEREMAC. On a 16 labos et deux musées. Si on a un bon laboratoire sur la qualité des eaux, il servirait à tout le monde. On fait à peu près la même chose, à quelques exceptions près.
L’État a mis beaucoup d’argent pour rénover le Centre, mais il en faudra plus pour l’équiper. Rien ne sert d’avoir un Centre, sans laboratoires, ni d’investir des milliards dans leur équipement sans former les ressources humaines qui doivent s’en servir. Donc, ils viendront installer des équipements modernes, former le personnel.
Nous collaborons déjà. L’année dernière, j’ai reçu des Russes ici: une équipe sur le terrain, l’autre au laboratoire. Tous les labos au CERE sont esquintés. Les travaux de rénovation, démarrés en 2019 pour 18 mois, sont à moins de 50% d’exécution.
En termes clairs, à quoi consiste votre mission ?
Nous cherchons à comprendre comment l’océan est venu; l’évolution des différents paramètres environnementaux en relation avec les activités humaines. On développe ac
tuellement deux thèmes. L’un sur la Fatala, les impacts des activités anthropiques sur les bassins des fleuves en Afrique. Nous travaillons avec les Russes, dont neuf arrivent demain (samedi 20 juillet) pour un séjour de deux mois. L’année dernière, ils étaient-là en saison sèche. C’est pour voir l’agriculture, l’élevage, l’exploitation minière et forestière, la construction des ports minéraliers et leurs impacts sur la mer, l’océan, les estuaires. Si on pollue la mer, c’est là-bas qu’on s’approvisionne en poisson. Les mouvements des navires minéraliers peuvent affecter la reproduction des poissons. Quand les animaux sont stressés, ils ne peuvent pas se reproduire.
On est en train de développer, pour les trois départements de la mer (océanographie, hydrobiologie et géologie-environnement), une recherche sur les impacts concomitants du changement climatique, des exploitations minières et la construction des ports minéraliers sur la dynamique des paramètres environnementaux de l’estuaire du fleuve Tinguilinta. Avant l’arrivée des Russes, sur la Fatala, on était au niveau de l’estuaire. Désormais, on prend tout le bassin : Boffa, Fria et Télimélé. Les paramètres de la qualité des eaux, du sol, de la végétation…Nous cherchons à voir comment fonctionne l’océan. On avait une station météo, mais qui ne fonctionne plus ; une borne sismique qui permettait de déterminer l’intensité d’un tremblement de terre. Quand il y en a eu à Gaoual en 1984, c’est ici que les données avaient été récoltées.
Le comportement de la mer, avec la montée des eaux, tout cela vous intéresse-t-il ?
On travaille sur ce qu’on appelle la dynamique du trait de côtes. J’ai encadré une thèse qui couvre de Matoto à Forécariah, pour déterminer comment évolue la mer. Le problème de l’environnement, c’est l’incertitude. Il est extrêmement difficile de savoir quand se produira un événement, avec force détails. D’où le principe de précaution.
A quoi servent vos productions ?
La recherche, c’est notre activité. Nous sommes payés pour être enseignants-chercheurs. Les centres de recherches sont différents des universités. Lorsqu’elles délibèrent leurs résultats en fin d’années, les universités ont fait 80 à 85 % de leurs activités. Mais si nous, à la fin de l’année, on ne présente pas notre rapport de recherches, on n’aura rien fait. Si nous ne grignotons pas dans nos budgets de fonctionnement pour faire de la recherche, on n’existerait pas. On serait comme un cultivateur sans daba ni champ. Nous faisons des productions scientifiques, publions les résultats. C’est en fonction de cela que nous évoluons en grade.
Le dernier point, et c’est là le nœud du problème : c’est de mettre à la disposition de la population les résultats des recherches. Honnêtement, on pèche dans ce domaine. Je prends l’exemple d’un projet sur l’impact du changement climatique sur l’agriculture des coteaux et des montagnes à Dabola. Quand on a terminé, on a non seulement présenté les résultats, mais fait une formation en langues nationales pour la bonne compréhension des paysans. Nous projetons de créer un partenariat avec les communautés de pêcheurs et riverains des mines de Boffa, pour disséminer les résultats de nos recherches.
Si les recherches démontrent qu’il n’y a pas de poissons par exemple, cela pourrait être dû au fait que les pêcheurs utilisent des petits filets qui prennent même les petits. S’ils utilisent l’engrais chimique pour l’agriculture, on leur dira que c’est peut-être ce qui a pollué les eaux et tué les poissons. De tels échanges leur permettent de savoir que nos activités leur sont utiles et que leur comportement a des répercussions sur la mer. Cela nous permet aussi d’être acceptés par les communautés. Si on voit quelques Blancs accompagnés de Guinéens creuser en brousse, elles pensent qu’on cherche du diamant. Il faut des conciliabules toute la journée, pour avoir un seul trou. Cela est dû au déficit de communication entre chercheurs et communautés.
Est-ce que vos recherches servent aussi à guider les choix politiques du gouvernement?
Effectivement, elles permettent aux autorités de décider en tenant compte de données factuelles issues des résultats scientifiques. Il y a des panneaux solaires qui ont été développés ici qui ont servi dans un Centre de recherches à Kindia. On est en train d’expérimenter la fabrication de briques en terre stabilisée, pour voir quel est le mélange le plus résistant à vulgariser…
Quel est votre avis sur le manque d’eau au barrage hydroélectrique de Souapiti?
Les questions environnementales n’ont pas été prises en compte dès le départ. Dans un projet de barrage, on fait les études sociales et environnementales jusque dans la zone d’influence. Tous les cours d’eau côtiers prennent leur source au Fouta Djalon, dans les montagnes de Mamou, Dalaba, Pita, Labé… Mais l’étude ne remonte pas jusque là-bas. Une étude sérieuse et exhaustive devait prendre en compte cet aspect. Les riverains, s’ils n’ont pas d’alternative, sont obligés de défricher et de labourer les têtes de source. Non seulement l’eau va commencer à tarir, mais avec l’érosion, elle va drainer de la boue au niveau du barrage. Conséquence: même quand il est plein, plus de la moitié de la retenue est constituée de la boue. Au bout de quelque temps, plus d’eau. On doit prendre l’ensemble du bassin comme un écosystème. On aménage des espaces agricoles et donne des semences améliorées, des intrants aux communautés, pour améliorer leur production. Ainsi, personne n’ira couper des arbres pour gagner sa vie. Autrement, on va construire mille barrages sans résoudre la crise d’électricité.
Interview réalisée par
Diawo Labboyah Barry