Quand sur une personne on prétend se régler
C’est par les beaux côtés qu’il lui faut ressembler
Et ce n’est point du tout la prendre pour modèle
Ma sœur, que de tousser et de cracher comme elle.
Molière (Les femmes savantes)
Les Guinéens ont été un peu étonnés, flattés, et gênés à la fois, de voir qu’au moment où ils étaient lassés et blasés de jouer aux révolutionnaires, les ‘’Hommes intègres du Burkina Faso reprenaient le relais pour faire la révolution, avec les mêmes slogans… Sékou Touré mettait à bas l’impérialisme, le colonialisme, le néocolonialisme, Thomas Sankara, lui, mettait à bas les cadres véreux, les élèves paresseux, les élèves hiboux et autres, mais encore, Sankara n’épargnait aucune forme de néocolonialisme et d’exploitation économique, appelant les pays africains à ne pas payer la dette, s’opposant frontalement à la France de Mitterrand, sans se douter que Mitterrand n’a pas froid aux yeux. Sékou Touré l’a bruyamment traité de « franc-maçon », en 1981, juste avant d’aller à Paris, en 1982 pour être bien reçu par le même Mitterrand. Si Sankara avait voulu aller dans le même sens, mal lui en a pris… Quand sur une personne on prétend se régler…
-Si Sékou Touré faisait sa Révolution avec tonitruance, au moment où le bloc socialiste tenait bien la route (jusqu’en 1975), et au moment où il amorçait un grand virage avec son ‘’offensive diplomatique’’ pour dire qu’il n’a jamais été socialiste, que sa parole n’est pas une montagne (à déplacer), Thomas Sankara, la tête dans le guidon, a pris le relais sans tenir compte du changement géopolitique, au moment où bloc socialiste ne tenait plus debout avec la mort de Leonid Brejnev. Mal lui en a pris… c’est par les beaux côté qu’il lui faut ressembler.
Les jeunes de maintenant, et même les « Témoins de l’histoire » ont soutenu que Sékou n’a jamais été socialiste, alors que pendant sa jeunesse, pendant la lutte pour le RDA, on l’appelait « Sékou TP », autrement dit ‘’ Sékou trois poches’’. Molotov, le ministre des Affaires Etrangères de l’URSS était venu à la conférence de Genève, de 1954, pour les négociations de paix sur le Vietnam en trois poches. Les « Témoins de l’histoire ont encore soutenu que Sékou Touré n’a jamais été socialiste, comme si la Révolution Culturelle Socialiste du 2 août 1968, dont le lycée de Donka porte le nom, n’a pas existé. Et puis, il faut rappeler que Sékou Touré avait bien dit « Nous préférons la pauvreté dans la liberté à la richesse dans l’esclavage », pas autrement. L’histoire veut qu’elle ne soit pas déformée par les uns et par les autres. Nous sommes tous de la Révolution. Tous les Guinéens du temps de Sékou Touré étaient de la Révolution. Personne ne peut se défiler, ou s’en prévaloir plus qu’un autre !
Il faut encore rappeler que la citation : « Toute aide qui ne nous aide pas à nous passer de l’aide est à rejeter » attribuée à Thomas Sankara, n’est pas de lui. Les collégiens guinéens avaient commenté cette citation en dissertation à qui mieux-mieux, en 1969, quand l’étude des tomes du PDG était de mise. Cette citation est dans le tome « Défendre la Révolution ». A l’époque de la parution de ce tome, en 1967 (n’est-ce pas Petit Barry ?), Thomas Sankara devait être encore sur les bancs …
Pour les Guinéens, c’était bon de savoir que quelqu’un d’autre trouve que ce qui se fait chez eux n’était pas mauvais. Seulement, Thomas Sankara est venu un peu tard et à contre-courant. La Révolution guinéenne était moribonde de ses sauts dans l’inconnu et de ses erreurs capitales. L’une de ces erreurs fut l’introduction des langues nationales dans l’enseignement, ce qui a entrainé la chute du niveau dans l’enseignement et l’Education. Tous les cadres moyens et supérieurs mal formés ont conduit le pays dans l’ignorance. La Guinée a été lésée et flouée dans tous les contrats miniers et autres. Et en Guinée, on avait 4 langues, au Burkina, actuellement, il y a 14 langues, dit-on, une véritable Tour de Babel. Les tout petits qui auront appris à chanter le Ditanyè, l’hymne national, par-ci ne pourront pas le chanter par-là avec les mêmes paroles. C’est la cacophonie que l’on veut créer autour de l’hymne national. On serait curieux de voir les mouvements des lèvres des Etalons lors des matchs de football …
Mais encore, les langues nationales nécessitent un travail de fond et en profondeur, ce n’est pas de but en blanc, il faut des lexiques adaptés aux nouvelles technologies avec leurs néologismes. Il en faut beaucoup, pas par simple coup de tête dans un guêpier.
La véritable motivation de ces langues nationales ?
On s’est demandé si c’est Sékou Touré qui avait imité Senghor ou l’inverse. Senghor avait deux motivations plus fondées que Sékou Touré : Il était membre de l’Académie Française, pour enrichir le français et pour compenser son indigence vis-à-vis de l’anglais, il avait écrit son livre Leuk-le-Lièvre, dans lequel il a fait connaître le nom des animaux en wolof-français, et comme ça résonnait bien, il a tenté un coup de poker avec l’enseignement du wolof à l’école. Son successeur Abdou Diouf a encensé comme jamais l’enseignement de « la langue de lait ». Le wolof est la langue parlée au Sénégal, l’adopter comme langue d’enseignement n’était pas tropcompliqué, contrairement à la Guinée de Sékou Touré, le nationaliste, qui a au moins une quinzaine et ne sachant pas laquelle choisir entre le pular et le malinké, il a choisi la parlée en majorité pour chaque région naturelle.
Au Burkina Faso, il y a 14 langues homologuées, une véritable Tour de Babel. Il faudrait 14 dictionnaires, 14 traducteurs et interprètes, 14 staffs techniques, 14 groupes d’enseignants par matière, qui doivent chercher à accorder les violons, mais dans combien de temps et à quel budget ? La raison principale de tous ces changements est le ras-le-bol de l’ingérence française dans tous les domaines depuis l’exfiltration de Blaise Compaoré, en 2015 et les tentatives de reprendre les commandes sous différentes formes.
En Guinée, Bah Oury avait, tout au début de cette transition, estimé qu’une durée de 24 à 32 mois était raisonnable. Il y avait eu petit tollé. Devenu Premier-ministre, il dit que les élections ne seront pas organisées en 2024, c’est-à-dire 48 mois après. Son argumentaire est frustrant, mais il a un argument, qu’il n’a pas développé : les différents gouvernements du CNRD se sont torpillés de l’intérieur : le premier PM, Mohamed Béavogui, est parti sans dire un mot et sans poser un acte probant ; le second PM, Bernard Gomou, a été menacé d’être arrêté avec certains membres de son gouvernement, pour faits de détournement, par son ministre de la Justice, comble de cacophonie, ce dernier était, lui-même, impliqué dans des affaires de mœurs… le fonctionnement du gouvernement a pris du sable dans les engrenages, ce qui a compromis le calendrier de la transition.
Le lecteur doit comprendre que personne n’est plus pressé de voir cette transition se terminer au plus vite que quelqu’un qui a un litige domanial en souffrance depuis que Ousmane Gaoual était à l’Habitat. Pour ne pas dire qu’il a mis le pied dessus, mais être informé et laisser construire un étage sur des murs de clôture dans le domaine d’un autre, et faire des aménagements sur la voie publique pour obstruer les caniveaux pour inonder tout le voisinage à des fins d’occupation des domaines de l’Etat, cela ne se voit nulle part, mais si cela est connu de quelqu’un qui ne bouge pas, ça ne dit pas qu’il y a quelque chose de louche ? Et si cela n’est pas rectifié par MUHAT du CNRD, ce sera certainement avec le prochain gouvernement.
Tout ça pour dire aux Guinéens qu’une année de plus sera une éternité, mais si c’est le temps qu’il faut pour faire table rase et dégager tous les contentieux électoraux, cela est plus souhaitable que bâcler le travail à cause des menaces de manifestations de rue avec leurs conséquences imprévisibles. La CEDEAO, quand elle veut être raisonnable et empathique, elle le peut. Elle qui avait vite condamné le coup de force du 5 Septembre 2021 avec des menaces de sanctions qui ont égratigné des Guinéens, après un examen de la situation, elle vient de reconnaitre « qu’il y a eu progrès réalisés », en dépit du glissement dans le temps, mais la CEDEAO est le dernier recours, il faut rester derrière elle.
Tout vient à point pour qui sait attendre.
Moïse Sidibé